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Ariane Web: Conseil d'État 447631, lecture du 5 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:447631.20220405

Décision n° 447631
5 avril 2022
Conseil d'État

N° 447631
ECLI:FR:CECHR:2022:447631.20220405
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mardi 5 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La SCI Familiale Triguel a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner solidairement l'État et la commune de Vallauris à lui verser la somme de 493 100 euros majorée des intérêts de retard avec capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi de leur fait.

Par un jugement n° 1504344 du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Nice a condamné l'État à verser à la SCI Familiale Triguel la somme de 7 000 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts et capitalisation.

Par un arrêt n° 19MA00619 du 15 octobre 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales contre ce jugement, ainsi que l'appel incident formé par la SCI Familiale Triguel.

Par un pourvoi, enregistré le 15 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la SCI Familiale Triguel ;





Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 13 novembre 2012, confirmé par un arrêt du 19 novembre 2013 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Grasse a déclaré coupables la société franco italienne de location, ainsi que MM. Iperti et Martinez Artacho, des faits de travaux d'exhaussement et de coupe d'arbres sans autorisation sur plusieurs parcelles sur le territoire de la commune de Vallauris. Ils ont été condamnés à une amende et à la remise en état des lieux dans un délai de six mois sous astreinte de 75 euros par jour de retard. La SCI Familiale Triguel, propriétaire d'une des parcelles, a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Vallauris et l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de leur abstention à faire exécuter l'arrêt du 19 novembre 2013. Par un jugement du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande formée contre la commune de Vallauris comme mal dirigée et a condamné l'État à verser à la SCI Familiale Triguel la somme de 7 000 euros en raison de sa carence fautive. Par un arrêt du 15 octobre 2020, contre lequel la ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel de l'Etat contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme : " En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 160-1 et L. 480-4, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur. / (...) ". Aux termes de l'article L. 480-7 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence : " Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir sa décision d'une astreinte de 7,5 à 75 euros par jour de retard. Au cas où le délai n'est pas observé, l'astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l'expiration dudit délai jusqu'au jour où l'ordre a été complètement exécuté. Si l'exécution n'est pas intervenue dans l'année de l'expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l'astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus (...) ". Par ailleurs, en vertu de l'article L. 480-8 de ce code : " Les astreintes sont liquidées au moins une fois chaque année et recouvrées par l'Etat, pour le compte de la ou des communes aux caisses desquelles sont reversées les sommes perçues, après prélèvement de 4 % de celles-ci pour frais d'assiette et de recouvrement ". Enfin, selon l'article L. 480-9 du même code : " Si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol. / Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l'alinéa précédent qu'après décision du tribunal de grande instance qui ordonnera, le cas échéant, l'expulsion de tous occupants. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, au terme du délai fixé par la décision du juge pénal prise en application de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme, il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 480-9 du même code, de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics justifient un refus. En outre, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l'autorité compétente n'est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables. Dans le cas où, sans motif légal, l'administration refuse de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l'absence de toute faute de l'administration, la responsabilité sans faute de l'État peut être recherchée, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d'un préjudice revêtant un caractère grave et spécial.

4. En premier lieu, l'obligation à laquelle est tenue l'autorité compétente de faire procéder aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice prend effet à l'expiration du délai fixé par le juge pénal, indépendamment du prononcé éventuel d'une astreinte par le juge ou de sa liquidation par l'Etat. Par suite, en jugeant que la liquidation de l'astreinte ne constituait ni un préalable ni une alternative à cette exécution d'office, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En second lieu, en relevant que la ministre n'avait invoqué que le coût d'une remise en état des lieux pour justifier de son abstention à y faire procéder, sans faire valoir de motif tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics, la cour ne s'est pas méprise sur la portée des écritures qui lui étaient soumises. En estimant qu'un tel motif n'était pas de nature à justifier légalement le refus des services de l'Etat et en en déduisant que leur carence avait constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, elle n'a pas non plus commis d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCI Familiale Triguel au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la ministre de la transition écologique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la SCI Familiale Triguel la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique et à la SCI Familiale Triguel.



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