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Ariane Web: Conseil d'État 440521, lecture du 27 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:440521.20220427

Décision n° 440521
27 avril 2022
Conseil d'État

N° 440521
ECLI:FR:CECHR:2022:440521.20220427
Publié au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Catherine Brouard-Gallet, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 27 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire enregistrés le 13 mars 2020, les 17 mai et 18 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Force ouvrière des employés et cadres demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 janvier 2020 de la ministre du travail portant extension de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 novembre 2009 étendue ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Pôle emploi ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 avril 2022, présentée par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 5312-9 du code du travail : " Les agents de l'institution nationale [Pôle emploi], qui sont chargés d'une mission de service public, sont régis par le présent code dans les conditions particulières prévues par une convention collective étendue agréée par les ministres chargés de l'emploi et du budget. Cette convention comporte des stipulations, notamment en matière de stabilité de l'emploi et de protection à l'égard des influences extérieures, nécessaires à l'accomplissement de cette mission. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, la convention collective nationale de Pôle emploi (n° 2847) a été conclue le 21 novembre 2009, avant d'être agréée par un arrêté des ministres chargés de l'emploi et du budget en date du 21 décembre 2009, puis étendue par un arrêté du ministre chargé de l'emploi en date du 19 février 2010.

2. La Fédération Force ouvrière des employés et cadres demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 15 janvier 2020 par lequel la ministre du travail a étendu les stipulations de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de cette convention collective, lequel a été agréé par un arrêté du 22 novembre 2019 de la ministre du travail et du ministre de l'action et des comptes publics.

Sur la fin de non-recevoir opposée par Pôle Emploi :

3. Il ressort des pièces du dossier que la Fédération Force ouvrière des employés et cadres est composée, en vertu de l'article 2-1 de ses statuts, de sections fédérales professionnelles, dont chacune " comprend les syndicats fédérés d'une même profession, de professions similaires ou connexes, ou d'un secteur d'activité ", dont le " champ professionnel est défini en annexe " et dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles aient la personnalité morale. Au nombre des sections fédérales professionnelles énumérées à l'annexe 1 des statuts de la fédération requérante figure celle des " organismes sociaux divers et divers " (OSDD), dont le champ professionnel comprend Pôle Emploi. Dans ces conditions, la fédération requérante justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les dispositions de l'arrêté du 15 janvier 2020 par lequel la ministre du travail a étendu les stipulations de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle Emploi. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

4. En premier lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 2261-19 du code du travail, pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9 du même code. Il ressort des pièces du dossier que l'avenant portant modification des stipulations de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle emploi a été négocié au sein de la " commission paritaire nationale de négociation " (CPNN), instituée par l'article 3.4 de la convention collective nationale de Pôle emploi, qui s'est réunie le 4 septembre 2019, et qu'il a été signé le 18 septembre 2019. Par suite, le moyen selon lequel l'arrêté contesté aurait été pris au terme d'une procédure méconnaissant l'article L. 2261-19 du code du travail doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2261-24 du code du travail : " La procédure d'extension d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel est engagée à la demande d'une des organisations d'employeurs ou de salariés représentatives mentionnées à l'article L. 2261-19 ou à l'initiative du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (...) ". Il ressort des pièces du dossier que la Commission nationale de la négociation collective a émis le 7 novembre 2019 un avis sur la demande d'extension de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle Emploi, lequel rappelle l'objet de l'accord et précise qu'aucune observation n'a été émise par les partenaires sociaux. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure prévue à l'article L. 2261-24 du code du travail aurait été méconnue, faute pour la Commission nationale de la négociation collective d'avoir motivé son avis sur l'avenant du 18 septembre 2019, doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail : " Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ". Aux termes de l'article L. 1244-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail : " A l'expiration d'un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements (...) ". Aux termes de l'article L. 1244-4 du même code, dans sa rédaction issue de la même ordonnance : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 1242-1, une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir les cas dans lesquels le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 n'est pas applicable ". L'article L. 1244-4-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la même ordonnance, prévoit plusieurs cas dans lesquels, à défaut de stipulation dans la convention ou l'accord de branche conclu en application de l'article L. 1244-4, le délai de carence n'est pas applicable. En vertu de l'article L. 1248-11 de ce code, le fait de méconnaître les stipulations d'une convention ou d'un accord de branche prises en application de l'article L. 1244-3 ou, lorsqu'elles sont applicables, les dispositions de l'article L. 1244-3-1 relatives à la succession de contrats sur un même poste, est puni d'une amende de 3 750 euros et, en cas de récidive, d'une amende de 7 500 euros et d'un emprisonnement de six mois.

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 5312-9 du code du travail, citées au point 1, en vertu desquelles la convention collective nationale de Pôle Emploi est agréée par les ministres chargés de l'emploi et du budget et étendue par le ministre chargé du travail, et des dispositions de l'article L. 1244-4 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, citées au point 6, en vertu desquelles seule une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir les cas dans lesquels le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 n'est pas applicable, qu'un avenant à la convention collective nationale de Pôle Emploi ayant fait l'objet d'un arrêté d'extension pouvait prévoir les cas dans lesquels le délai de carence prévu à l'article L. 1244-3 du même code n'est pas applicable. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'avenant du 18 septembre 2019 étendu par l'arrêté contesté devrait être regardé comme un accord d'entreprise et qu'il méconnaîtrait ainsi l'article L. 1244-4 du code du travail.

8. En quatrième lieu, les stipulations contestées de la première phrase du paragraphe 4 de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle Emploi modifié par l'avenant du 18 septembre 2019 prévoient que : " Dans le souci d'offrir un environnement stable aux agents, le volume (exprimé en ETPT) de contrat à durée déterminée pour motif d'accroissement temporaire d'activité (hors contrats aidés et contrats d'apprentissage), ne peut excéder, par année civile, 4 % de l'effectif sous plafond (exprimé en ETPT) inscrit au budget soumis au vote du conseil d'administration ". Il ressort des termes mêmes de ces stipulations qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de déroger aux dispositions du code du travail, citées au point 6, encadrant le recours au contrat à durée déterminée et prévoyant notamment des sanctions pénales. Par suite, le moyen tiré de ce que les stipulations en cause méconnaîtraient les dispositions des articles L. 1221-2 et L. 1242-1 du code du travail ne peut qu'être écarté.

9. En cinquième lieu, selon les stipulations contestées de la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle Emploi tel que résultant de l'avenant du 18 septembre 2019 : " Par ailleurs et dans l'objectif de lutter contre la précarité, de réduire le nombre annuel d'agents recrutés en contrats à durée déterminée et ainsi de favoriser leur intégration, aucun délai de carence n'est appliqué dans tous les cas de succession de CDD ". Ces stipulations ont pour objet d'exclure de façon générale l'application du délai de carence dans tous les cas de succession de contrats à durée déterminée à Pôle Emploi.

10. Toutefois, les dispositions de l'article L. 1244-4 du code du travail, citées au point 6, ne permettent à une convention ou un accord de branche étendu de déroger au principe, prévu par l'article L. 1244-3 du même code, de l'application d'un délai de carence que dans certains cas seulement, qu'il lui appartient alors de définir. Elles font, par suite, obstacle à ce qu'une telle convention ou accord de branche puisse légalement prévoir que le délai de carence ne s'appliquera pas de façon générale dans tous les cas de succession de contrats à durée déterminée.

11. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 5312-9 du même code, citées au point 1, qui prévoient que les agents de Pôle Emploi sont régis par le code du travail dans les conditions particulières prévues par la convention collective agréée et étendue de Pôle Emploi, n'ont pas pour effet de permettre à cette convention de déroger aux dispositions des articles L. 1244-3 et L. 1244-4 du code du travail.

12. Il s'ensuit que la Fédération Force ouvrière des employés et cadres est fondée à soutenir que, les stipulations de la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 8.4 de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 à la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 novembre 2009 méconnaissant les dispositions des articles L. 1244-3 et L. 1244-4 du code du travail, l'arrêté attaqué ne pouvait légalement les étendre.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération Force ouvrière des employés et des cadres n'est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 15 janvier 2020 qu'en tant qu'il procède à l'extension de la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 8.4 de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 à la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 novembre 2009, laquelle est divisible des autres stipulations de cet avenant.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Fédération Force ouvrière des employés et cadres qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la Fédération Force ouvrière des employés et cadres au titre des mêmes dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 15 janvier 2020 portant extension d'un avenant à la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 novembre 2009 est annulé en tant qu'il procède à l'extension des dispositions de la deuxième phrase du paragraphe 4 de l'article 8.4 de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 à la convention collective nationale de Pôle Emploi du 21 novembre 2009.
Article 2 : L'Etat versera à la Fédération Force ouvrière des employés et cadres la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération Force ouvrière des employés et cadres est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par Pôle emploi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Force ouvrière des employés et cadres, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à Pôle Emploi et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... J..., Mme D... I..., présidentes de chambre ; M. B... H..., Mme F... G..., M. Jean-Luc Nevache, conseillers d'Etat et Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 avril 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Brouard-Gallet

La secrétaire :
Signé : Mme E... C...




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