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Ariane Web: Conseil d'État 454799, lecture du 24 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:454799.20220624

Décision n° 454799
24 juin 2022
Conseil d'État

N° 454799
ECLI:FR:CECHR:2022:454799.20220624
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP SPINOSI, avocats


Lecture du vendredi 24 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La Ligue française pour la défense des droits de l'Homme et du citoyen (Ligue des droits de l'Homme) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de suspendre l'exécution de la délibération du 13 avril 2021 par laquelle le conseil d'administration du centre communal d'action sociale de la commune de Caudry a décidé d'autoriser son président à suspendre l'accès aux aides sociales facultatives telles que prévues dans le règlement de l'aide sociale facultative adopté le 22 juin 2020 aux personnes décrites dans la délibération ainsi qu'à la famille directe de ces dernières lorsque ces personnes sont mineures.

Par une ordonnance n° 2105036 du 5 juillet 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juillet et 4 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'Homme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de la commune de Caudry la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'Homme et à la SCP Foussard, Froger, avocat du CCAS de la commune de Caudry ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lille que, par une délibération du 13 avril 2021, le conseil d'administration du centre communal d'action sociale (CCAS) de la commune de Caudry a décidé d'autoriser son président à " suspendre l'accès aux aides facultatives " prévues par le règlement de l'aide sociale facultative adopté le 22 juin 2020 aux personnes ayant " fait l'objet d'un rappel à l'ordre ", ou " refusé l'accompagnement parental proposé par le conseil des droits et devoirs des familles au titre de l'article 141-2 du code de l'action sociale et des familles ", ou " fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public " ou " causé un préjudice à la commune ", ainsi qu'à la " famille directe " de ces personnes " lorsque lesdites personnes sont mineures ". Par une ordonnance du 5 juillet 2021, le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de la Ligue des droits de l'Homme tendant à la suspension de l'exécution de cette décision au motif qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt pour agir. La Ligue des droits de l'Homme se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

3. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

4. En jugeant qu'eu égard à son champ d'intervention national, la Ligue des droits de l'Homme ne justifiait pas d'un intérêt pour agir à l'encontre de la délibération du 13 avril 2021, alors que cette décision, qui était de nature à affecter des personnes vulnérables, présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'Homme est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de se prononcer sur la demande de suspension présentée au titre de la procédure de référé engagée par la Ligue des droits de l'Homme.

Sur la tardiveté alléguée de la requête en annulation :

6. En se bornant à soutenir que la délibération contestée a été affichée le 13 avril 2021, alors que l'extrait du registre des délibérations ne mentionne aucune date d'affichage, le centre communal d'action sociale n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que la requête en annulation de la Ligue des droits de l'Homme aurait été formée plus de deux mois après l'expiration du délai de recours prévu à l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Dès lors, le centre communal d'action sociale n'est pas fondé à soutenir que, la requête en annulation de la Ligue des droits de l'Homme étant tardive, la demande tendant à la suspension de l'exécution de la délibération contestée ne pourrait qu'être rejetée.

Sur la condition d'urgence :

7. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.

8. Eu égard aux effets de la délibération contestée sur la situation des personnes susceptibles de bénéficier des aides sociales facultatives prévues par le règlement de l'aide sociale facultative adopté par le centre communal d'action sociale, telles que l'accès à l'épicerie sociale et le versement de sommes couvrant tout ou partie des frais liés à la restauration scolaire, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie et justifie que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision contestée soit suspendue.

Sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée :

9. Aux termes de l'article L. 123-5 du code de l'action sociale et des familles : " Le centre communal d'action sociale anime une action générale de prévention et de développement social dans la commune, en liaison étroite avec les institutions publiques et privées. Il peut intervenir sous forme de prestations remboursables ou non remboursables (...) ".

10. Le moyen tiré de ce que, en raison de ses imprécisions quant aux circonstances pouvant conduire à la suspension des aides sociales facultatives et de l'absence de tout encadrement de la faculté ainsi reconnue au président du centre communal d'action sociale, la délibération contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.


Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de la commune de Caudry la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille du 5 juillet 2021 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la délibération du 13 avril 2021 du conseil d'administration du centre communal d'action sociale de la commune de Caudry est suspendue.
Article 3 : Le centre communal d'action sociale de la commune de Caudry versera à la Ligue des droits de l'Homme la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Ligue française pour la défense des droits de l'Homme et du citoyen et au centre communal d'action sociale de la commune de Caudry.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 mai 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Hérondart, M. Hervé Cassagnabère, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat ; M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 24 juin 2022.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne



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