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Ariane Web: Conseil d'État 456348, lecture du 24 juin 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:456348.20220624

Décision n° 456348
24 juin 2022
Conseil d'État

N° 456348
ECLI:FR:CECHR:2022:456348.20220624
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; BALAT ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats


Lecture du vendredi 24 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière des Centaures, Mme H... B... et M. E... F... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 septembre 2015 I... lequel le maire de Roquefort-la-Bédoule a délivré à M. D... A... et Mme C... G... un permis de construire modificatif du permis de construire une maison individuelle avec garage délivré le 9 mai 2014, les modifications portant sur l'augmentation de la surface de plancher sans modification de l'emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l'implantation du dispositif d'assainissement non collectif, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux.

I... un premier jugement n° 1602293 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a sursis à statuer sur cette demande en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, en invitant M. A... et Mme G... et la commune de Roquefort-la-Bédoule à justifier de la délivrance d'un permis de construire modificatif permettant d'assurer le respect de l'obligation de consulter l'architecte des bâtiments de France sur le projet.

Un permis de construire modificatif a été délivré à M. A... et Mme G... I... le maire de Roquefort-la-Bédoule le 20 décembre 2018, que la société des Centaures, Mme B... et M. F... ont également contesté.

I... un second jugement n° 1602293 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société des Centaures et autres.

I... un arrêt nos 18MA05375, 19MA05816 du 8 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur les appels formés I... la société des Centaures, Mme B... et M. F... contre ces deux jugements et l'appel incident formé I... M. A... et Mme G... contre le premier jugement, annulé les jugements des 11 octobre 2018 et 7 novembre 2019, les arrêtés des 21 septembre 2015 et 20 décembre 2018, ainsi que le rejet du recours gracieux.

I... un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 septembre et 1er décembre 2021 et le 4 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et Mme G... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société des Centaures, de Mme B... et de M. F... la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. A... et de Mme G... et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société des Centaures ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Roquefort-la-Bédoule a délivré à M. A... et Mme G..., le 9 mai 2014, un permis de construire, devenu définitif, pour la réalisation d'une maison individuelle avec garage. I... un arrêté du 3 août 2015, le maire a ordonné l'interruption des travaux au motif que " l'implantation altitudinale " du bâtiment n'était pas conforme à ce permis de construire puis, le 21 septembre 2015, il a délivré à M. A... et Mme G... un permis de construire modificatif portant sur l'augmentation de la surface de plancher sans modification de l'emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l'implantation du dispositif d'assainissement non collectif. La société des Centaures, Mme B... et M. F... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir ce permis de construire modificatif. I... un premier jugement du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a sursis à statuer sur leur demande en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, en impartissant un délai de quatre mois à M. A... et Mme G... ainsi qu'à la commune de Roquefort-la-Bédoule pour justifier de la délivrance d'un permis de construire modificatif permettant d'assurer la conformité du projet à l'obligation de consulter l'architecte des bâtiments de France. Un permis de construire modificatif a alors été délivré à M. A... et Mme G... I... le maire de Roquefort-la-Bédoule le 20 décembre 2018 et versé à l'instruction, que la société des Centaures, Mme B... et M. F... ont également contesté. I... un second jugement du 21 novembre 2019, le tribunal a constaté que le vice relevé I... le premier jugement avait été régularisé I... la délivrance du nouveau permis modificatif et a rejeté les conclusions de la demande. M. A... et Mme G... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 8 juillet 2021 I... lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur les appels formés I... la société des Centaures, Mme B... et M. F... contre les deux jugements du tribunal administratif de Marseille et sur l'appel incident formé I... M. A... et Mme G... contre le premier jugement, annulé les deux jugements, les arrêtés des 21 septembre 2015 et 20 décembre 2018, ainsi que le rejet du recours gracieux des requérants.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable au litige : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé I... un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ".

3. Lorsqu'un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, a cependant retenu l'existence d'un vice entachant la légalité du permis de construire, de démolir ou d'aménager dont l'annulation lui était demandée et a alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour inviter l'administration à régulariser ce vice, l'auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme et également en tant qu'il a fait application de ces dispositions de l'article L. 600-5-1. Toutefois, à compter de la délivrance du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé, dans le cadre du sursis à statuer prononcé I... le jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en oeuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont privées d'objet.

4. Lorsque le juge a fait usage de la faculté de surseoir à statuer ouverte I... l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, qu'un permis modificatif a été délivré et que le juge a mis fin à l'instance I... un second jugement, l'auteur d'un recours contre ce jugement peut contester la légalité du permis de construire modificatif I... des moyens propres et au motif que le permis initial n'était pas régularisable.

5. D'autre part, l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme prévoit que, I... dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative permettant de fixer I... ordonnance, sans clore l'instruction, la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code permettant de fixer, I... ordonnance, la date à partir de laquelle l'instruction sera close, " lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie I... le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 611-3 du code de justice administrative. / (...) Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu'il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l'affaire le justifie. / Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées I... le pétitionnaire ".

6. Il résulte ainsi des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme que, tant à l'appui d'un recours contre un jugement avant dire droit recourant à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme qu'à l'appui d'un recours contre le jugement mettant fin à l'instance, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à l'appui de leurs conclusions passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties, faite I... un dispositif permettant d'en attester la date de réception, du premier mémoire en défense présenté dans l'instance I... l'un quelconque des défendeurs. La circonstance que le délai de recours puisse ne pas être expiré, notamment compte tenu des dispositions de l'article R. 811-6 du code de justice administrative prévoyant que le délai d'appel contre un jugement avant dire droit court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige, ou même que ce jugement ne soit pas encore intervenu, est sans incidence à cet égard.

7. Il ressort des pièces de la procédure de la cour administrative d'appel que le moyen tiré de ce que le permis modificatif délivré le 21 septembre 2015 méconnaissait les dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme a été soulevé pour la première fois I... les appelants, à l'appui des conclusions de leur requête dirigée contre le premier jugement rendu I... le tribunal administratif de Marseille, dans le mémoire en réplique qu'ils ont produit le 18 septembre 2019, alors que le premier mémoire en défense présenté dans cette instance leur avait été communiqué le 11 juillet 2019. Il suit de là que ce moyen, présenté après l'expiration du délai prévu à l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, ne pouvait qu'être écarté comme irrecevable, la circonstance que le délai d'appel ouvert contre le jugement qu'ils contestaient, qui courait jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le second jugement en vertu de l'article R. 811-6 du code de justice administrative, n'était pas expiré, ce second jugement n'étant lui-même pas encore intervenu, étant à cet égard, comme il a été dit au point précédent, sans incidence, peu important que l'article L. 600-5-2 ait imposé aux parties de contester le permis de régularisation délivré le 20 décembre 2018 à la suite du premier jugement dans le cadre de l'instance qui se poursuivait ainsi devant le tribunal administratif.

8. Si, I... ailleurs, le même moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme avait également été soulevé I... les appelants à l'appui des conclusions de leur requête dirigée contre le jugement du 21 novembre 2018 mettant fin à l'instance, ce moyen, qui était, en application des principes rappelés au point 4, sans incidence sur la légalité de la mesure de régularisation seule en cause dans cette instance, devait être écarté comme inopérant.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'en accueillant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme pour annuler le permis de construire délivré le 21 septembre 2015 et, I... voie de conséquence, le permis modificatif délivré le 20 décembre 2018, la cour a commis une erreur de droit. Il suit de là que les requérants sont fondés à demander l'annulation de cet arrêt pour ce motif, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société des Centaures, de Mme B... et de M. F... une somme globale de 1 000 euros à verser chacun à M. A... et Mme G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre I... la société des Centaures, Mme B... et M. F....



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 8 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La société des Centaures, Mme B... et M. F... verseront chacun à M. A... et Mme G... une somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société des Centaures, Mme B... et M. F... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et Mme C... G... et à la société civile immobilière des Centaures, première dénommée, pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la commune de Roquefort-la-Bédoule.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er juin 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache et M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat ; M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 24 juin 2022.



La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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