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Ariane Web: Conseil d'État 452223, lecture du 1 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:452223.20220701

Décision n° 452223
1 juillet 2022
Conseil d'État

N° 452223
ECLI:FR:CECHR:2022:452223.20220701
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Martin Guesdon, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SARL LE PRADO - GILBERT ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du vendredi 1 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1104898 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Versailles, saisi sur déféré du préfet de l'Essonne, a annulé la délibération du 31 mars 2011 du conseil municipal de Wissous décidant le versement des indemnités de fonctions aux élus et en fixant les montants bruts mensuels, respectivement, à 1 829,04 euros pour le maire de la commune, à 609,68 euros pour les sept adjoints au maire et à 207,48 euros pour les dix conseillers municipaux bénéficiant d'une délégation de fonctions. Par un jugement n° 1606329 du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête en tierce opposition présentée par M. E... D..., Mme H... C..., M. I... G..., M. B... J... et Mme L... A... F... contre ce jugement.

Par un arrêt n° 18VE04315 du 4 mars 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 mai et 4 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de M. E... D..., de M. B... J..., de Mme L... A... F... épouse K..., de M. I... G... et de Mme H... C... et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la commune de Wissous ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un jugement du 3 juillet 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Versailles a annulé, sur la demande du préfet de l'Essonne, la délibération du 31 mars 2011 par laquelle le conseil municipal de Wissous a fixé le montant brut mensuel des indemnités de fonctions du maire à 1 829,04 euros, à 609,68 euros pour chacun des adjoints et à 207,48 euros pour chacun des dix conseillers municipaux bénéficiant d'une délégation de fonctions. M. D..., Mme C..., M. G..., M. J... et Mme A... F... ont demandé au tribunal administratif de Versailles, par la voie de la tierce opposition, à titre principal, de déclarer nul et non avenu ce jugement et, à titre subsidiaire, de le déclarer nul et non avenu en tant, d'une part, qu'il n'a pas prononcé l'annulation des seules dispositions de la délibération fixant les indemnités des conseillers municipaux et, d'autre part, qu'il n'a pas modulé dans le temps les effets de l'annulation. Par un jugement du 25 octobre 2018, le tribunal administratif a rejeté leur tierce opposition. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 4 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement.

Sur le pourvoi principal de M. D... et autres :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2123-20 du code général des collectivités territoriales : " I.- Les indemnités maximales pour l'exercice des fonctions de maires et adjoints au maire des communes, de conseillers municipaux des communes de 100 000 habitants et plus, de présidents et membres de délégations spéciales faisant fonction d'adjoint sont fixées par référence au montant du traitement correspondant à l'indice brut terminal de l'échelle indiciaire de la fonction publique (...). " L'article L. 2123-23 et le I de l'article L. 2123-24 du même code prévoient les plafonds, calculés en pourcentage du traitement de référence, applicables pour le calcul des indemnités des maires et adjoints en fonction de la population de la commune. Le II de l'article L. 2123-24 du même code dispose que " L'indemnité versée à un adjoint peut dépasser le maximum prévu au I, à condition que le montant total des indemnités maximales susceptibles d'être allouées au maire et aux adjoints ne soit pas dépassé ". Le II de l'article L. 2123-24-1 du même code dispose que " Dans les communes de moins de 100 000 habitants, il peut être versé une indemnité pour l'exercice effectif des fonctions de conseiller municipal dans les limites prévues par le II de l'article L. 2123-24 ". Enfin, le III de ce même article dispose notamment que " Les conseillers municipaux auxquels le maire délègue une partie de ses fonctions en application des articles L. 2122-18 et L.2122-20 peuvent percevoir une indemnité allouée par le conseil municipal dans les limites prévues par le II de l'article L. 2123-24 ".

3. Il résulte des dispositions précitées que, dans les communes de moins de 100 000 habitants, lorsque le conseil municipal décide d'attribuer des indemnités à des conseillers municipaux pour l'exercice effectif de leurs fonctions ou à raison d'une délégation du maire, la somme des indemnités fixées pour le maire, les adjoints et les conseillers municipaux concernés, avant majoration éventuelle des indemnités attribuées au maire et aux adjoints, ne doit pas excéder le plafond mentionné au II de l'article L. 2123-24, constitué du montant total des indemnités maximales, hors majoration, susceptibles d'être allouées au maire et aux adjoints, telles que mentionnées à l'article L. 2123-23 et au I de l'article L. 2123-24.

4. Dès lors, en jugeant que le nombre d'adjoints devant être pris en compte dans le calcul du plafond mentionné au II de l'article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales, d'une part, correspondait au nombre d'adjoints exerçant effectivement leurs fonctions et non au nombre d'adjoints désignés en début de mandat en application des dispositions de l'article L. 2122-2 du code général des collectivités territoriales et, d'autre part, ne pouvait inclure de conseillers municipaux, fussent-ils délégataires de fonctions précédemment exercées par un adjoint au maire, la cour, qui a apprécié la légalité de la délibération à la date à laquelle elle a été adoptée, n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En deuxième lieu, l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

6. A l'appui de leur demande tendant à ce que le jugement du tribunal administratif de Versailles du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il annule la délibération du 31 mars 2011 de manière rétroactive, M. D... et autres soutenaient que cette annulation emportait des conséquences manifestement excessives au motif qu'elle conduisait au reversement de l'intégralité des indemnités perçues, alors que le plafond mentionné au II de l'article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales n'avait été que légèrement dépassé et que, n'ayant pas été informés du déféré préfectoral, ils n'avaient pu anticiper ce reversement. En estimant qu'eu égard au montant des indemnités litigieuses, l'annulation de la délibération n'emportait pas de conséquences manifestement excessives, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier.

7. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D... et autres ont demandé à la cour administrative d'appel de Versailles, dans l'hypothèse où les dispositions citées au point 2 auraient été méconnues, de déclarer non avenu le jugement du tribunal administratif de Versailles du 3 juillet 2014 en tant qu'il prononce l'annulation totale de la délibération du 31 mars 2011 et non des seules dispositions de cette délibération fixant les indemnités des conseillers municipaux. La cour administrative d'appel, qui a écarté le moyen tiré de ce que la délibération n'aurait pas eu pour effet d'excéder le plafond mentionné au II de l'article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales, a omis de se prononcer sur cette demande subsidiaire.

8. Il résulte de ce qui précède que M. D... et autres sont seulement fondés à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a omis de statuer sur leurs conclusions subsidiaires tendant à ce que le jugement du tribunal administratif de Versailles du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il prononce l'annulation totale de la délibération du 31 mars 2011 et non des seules dispositions de cette délibération fixant les indemnités des conseillers municipaux.

Sur le pourvoi incident de la commune :

9. Contrairement à ce que soutient la commune, la cour a rejeté l'appel de M. D... et autres sans se prononcer sur la recevabilité de la tierce opposition. Le moyen tiré de ce qu'elle aurait commis une erreur de droit en jugeant recevable la tierce opposition doit, par suite, être écarté, et son pourvoi incident rejeté.

Sur le règlement de l'affaire au fond :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et dans la mesure de l'annulation prononcée au point 8, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

11. Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation partielle d'un acte dont les dispositions forment un ensemble indivisible, le juge administratif est tenu de les rejeter comme irrecevables. A l'appui de leurs conclusions tendant à ce que le jugement du tribunal administratif de Versailles du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il prononce l'annulation totale de la délibération du 31 mars 2011, M. D... et autres font valoir que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales ne devait conduire qu'à l'annulation de la partie de la délibération fixant les indemnités des seuls conseillers municipaux, divisible du reste de la délibération. Il ressort néanmoins des pièces du dossier que, pour fixer les indemnités du maire, des adjoints et des conseillers municipaux bénéficiant d'une délégation de fonctions, la commune de Wissous a déterminé le montant du plafond mentionné au II de l'article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales, avant de définir, compte tenu de ce plafond, l'indemnité allouée à chaque élu concerné. Eu égard à ces modalités de détermination des indemnités de fonctions, la délibération du 31 mars 2011 doit être regardée comme formant un ensemble indivisible.

12. Il s'ensuit que M. D... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'ils attaquent, le tribunal administratif a rejeté leurs conclusions tendant à ce que le jugement du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il a prononcé l'annulation totale de la délibération et non de ses seules dispositions fixant les indemnités des conseillers municipaux.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Wissous au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette commune qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 4 mars 2021 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions subsidiaires tendant à ce que le jugement du tribunal administratif de Versailles du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il a prononcé l'annulation totale de la délibération et non de ses seules dispositions fixant les indemnités des conseillers municipaux.
Article 2 : La demande tendant à ce que le jugement du 3 juillet 2014 soit déclaré non avenu en tant qu'il a prononcé l'annulation totale de la délibération est rejetée.
Article 3 : Le pourvoi incident et les conclusions de la commune de Wissous présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. D... et autres est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. E... D..., M. B... J..., Mme L... A... F..., M. I... G..., Mme H... C... et à la commune de Wissous.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 1er juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin



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