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Ariane Web: Conseil d'État 460445, lecture du 7 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:460445.20220707

Décision n° 460445
7 juillet 2022
Conseil d'État

N° 460445
ECLI:FR:CECHR:2022:460445.20220707
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SARL DIDIER-PINET, avocats


Lecture du jeudi 7 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer, Mme N... K..., Mme D... C..., Mme P... L..., Mme H... E..., M. I... E..., M. B... M..., Mme O... M..., M. A... F... et M. J... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 octobre 2018 par laquelle la préfète de la Loire-Atlantique a nommé " Divatte-sur-Loire " la commune nouvelle issue du rapprochement des anciennes communes de La Chapelle-Basse-Mer et de Barbechat, à compter du 20 octobre 2018. Par un jugement n° 1811687 du 21 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Par une ordonnance n° 20NT03983 du 9 mars 2021, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales.

Par un arrêt n° 20NT03983 du 19 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel contre le jugement du 21 octobre 2020.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 janvier et 15 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 20 janvier 2022, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, l'Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres contestent le refus qui leur a été opposé par le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales.

Par un mémoire, enregistré le 21 février 2022, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales soutient que cette question était dépourvue de caractère sérieux dès lors, à titre principal, qu'elle repose sur une interprétation erronée des dispositions contestées et, à titre subsidiaire, que le grief tiré de la méconnaissance des articles 34 et 72 de la Constitution est irrecevable et celui tiré de la méconnaissance du principe de souveraineté nationale infondé.

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales, en ce qu'elles instituent une différence de traitement injustifiée entre, d'une part, les communes fusionnant au sein d'une commune nouvelle et dont le changement de nom est décidé par les communes elles-mêmes ou, à tout le moins, par le préfet et, d'autre part, les communes qui souhaitent changer de nom en application des dispositions de l'article L. 2111-1 du code général des collectivités territoriales, la décision relevant alors d'un décret en Conseil d'Etat.

Par un mémoire, enregistré le 16 juin 2022, le ministre de l'intérieur soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que la question ne présente ni un caractère nouveau, ni un caractère sérieux.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'Association de défense de La Chapelle-Basse-Mer, de Mme D... C..., de Mme H... E..., de M. I... E..., de M. B... M..., de Mme O... M..., de M. A... F... et de M. J... G... ;



Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales, dans sa version issue de l'article 2 de la loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes : " I. - En l'absence d'accord des conseils municipaux sur le nom de la commune nouvelle par délibérations concordantes prises en application de l'article L. 2113-2, le représentant de l'Etat dans le département leur soumet pour avis une proposition de nom. A compter de sa notification, le conseil municipal dispose d'un délai d'un mois pour émettre un avis sur cette proposition. A défaut de délibération dans ce délai, son avis est réputé favorable. / II. - L'arrêté du représentant de l'Etat dans le département prononçant la création de la commune nouvelle détermine le nom de la commune nouvelle, le cas échéant au vu des avis émis par les conseils municipaux, fixe la date de création et en complète, en tant que de besoin, les modalités ".

3. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

4. Il résulte des termes mêmes des dispositions citées au point 2 qu'il appartient au représentant de l'Etat dans le département de déterminer le nom d'une commune nouvelle, aussi bien en l'absence d'accord des conseils municipaux sur ce point qu'en présence de délibérations concordantes. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales méconnaîtraient le principe d'égalité au motif que le nom d'une commune nouvelle serait décidé par les communes elles-mêmes.

5. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige : " Le changement de nom d'une commune est décidé par décret en Conseil d'Etat, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil départemental. / Toutefois, les changements de noms qui sont la conséquence d'une modification des limites territoriales des communes sont prononcés par les autorités compétentes pour prendre les décisions de modification ".

6. Si les requérants soutiennent, à titre subsidiaire, que les dispositions de l'article L. 2113-6 du code général des collectivités territoriales méconnaissent le principe d'égalité en ce qu'elles prévoient que le nom de la commune nouvelle est déterminé par arrêté du représentant de l'Etat dans le département alors que le changement de nom d'une commune existante doit être adopté par un décret en Conseil d'Etat en vertu des dispositions de l'article L. 2111-1 du code général des collectivités territoriales citées au point 5, cette différence de traitement, instituée entre des communes qui se trouvent dans des situations différentes, est en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui visent à faciliter le regroupement de communes au sein de communes nouvelles.

7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, l'association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres soutiennent que :
- le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils soulevaient au motif qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales combinées avec celles du II de l'article L. 2113-6 du même code que le choix du nom de la commune nouvelle appartient en dernier lieu au préfet alors même que les conseils municipaux à l'origine de la procédure de création lui ont adressé des avis concordants à cet égard ;
- la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en rejetant sa requête pour les mêmes motifs.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres.
Article 2 : Le pourvoi de l'association de défense de La Chapelle-Basse-Mer et autres n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association de défense de La Chapelle-Basse-Mer, premier dénommé pour l'ensemble des requérants.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 7 juillet 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin



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