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Ariane Web: Conseil d'État 459433, lecture du 21 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:459433.20220721

Décision n° 459433
21 juillet 2022
Conseil d'État

N° 459433
ECLI:FR:CECHR:2022:459433.20220721
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Alexandre TREMOLIERE, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du jeudi 21 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 2 décembre 2021, enregistré le 14 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement du 5 janvier 2021 par lequel le tribunal de commerce de Bobigny avait débouté la société Aéroports de Paris de sa demande de sursis à statuer sur la demande indemnitaire formulée à son encontre par la société EasyJet Airline Company Limited, jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit prononcée sur la question préjudicielle relative à la légalité des tarifs de la redevance aéroportuaire CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016, et a transmis au Conseil d'Etat cette question préjudicielle.

Par deux mémoires enregistrés les 4 mai et 2 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Aéroports de Paris demande au Conseil d'État d'apprécier la légalité des tarifs de la redevance CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 et de déclarer que ces tarifs ne sont pas entachés d'illégalité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;





Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la société Easyjet Airline Compagny Limited ;




Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt du 2 décembre 2021, la cour d'appel de Paris, saisie d'un litige opposant la société Aéroports de Paris à la société EasyJet Airline Company Limited sur le paiement de redevances aéroportuaires pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016, a sursis à statuer et a transmis au Conseil d'Etat une question préjudicielle relative à la légalité des tarifs, pour ces périodes, de la redevance aéroportuaire dite " CREWS ", exigée en contrepartie de l'utilisation par les compagnies aériennes d'un système informatique d'enregistrement et d'embarquement mis à leur disposition par la société Aéroports de Paris.

Sur le cadre juridique :

2. D'une part, le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance pour service rendu et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. Dans tous les cas, le tarif doit être établi selon des critères objectifs et rationnels, dans le respect du principe d'égalité entre les usagers du service public et des règles de la concurrence. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 6325-1 du code des transports applicables pendant la période considérée : " Les services publics aéroportuaires rendus sur les aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique donnent lieu à la perception de redevances pour services rendus (...) / Le montant des redevances tient compte de la rémunération des capitaux investis. Il peut tenir compte des dépenses, y compris futures, liées à la construction d'infrastructures ou d'installations nouvelles avant leur mise en service. / Il peut faire l'objet, pour des motifs d'intérêt général, de modulations limitées tendant à réduire ou compenser les atteintes à l'environnement, améliorer l'utilisation des infrastructures, favoriser la création de nouvelles liaisons ou répondre à des impératifs de continuité et d'aménagement du territoire. / Le produit global de ces redevances ne peut excéder le coût des services rendus (...) ".

3. Il résulte de l'ensemble de ces règles et principes que le tarif d'une redevance aéroportuaire, établi de manière objective et rationnelle, en tenant compte des critères définis par l'article L. 6325-1 du code des transports et des dispositions réglementaires prises pour son application, peut ne pas être strictement proportionné au coût du service correspondant dès lors, d'une part, que le produit global des redevances n'excède pas le coût des prestations servies et, d'autre part, que la compensation entre les différentes redevances est limitée. Le caractère limité de la compensation opérée entre redevances s'apprécie au regard, d'une part, du rapport entre le montant compensé et le produit de l'ensemble des redevances et, d'autre part, de l'écart entre le tarif fixé pour la redevance concernée et la valeur de la prestation ou du service correspondant.

Sur la légalité des tarifs de la redevance CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 :

4. En premier lieu, si la société EasyJet Airline Company Limited soutient que les tarifs de la redevance CREWS appliqués pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 ne sont pas conformes à ces dispositions, elle n'apporte, pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2014, aucun élément de nature à l'établir, la seule circonstance que le tarif de la redevance ait diminué de manière importante à partir de la période tarifaire 2017 ne pouvant être utilement invoquée à l'encontre de tarifs antérieurs.

5. Pour les périodes tarifaires 2015 et 2016, il ressort des pièces du dossier que le produit de l'ensemble des redevances aéroportuaires perçues par la société Aéroports de Paris n'excédait pas le coût des prestations servies. S'agissant de la redevance CREWS, il ressort en outre des éléments versés au dossier que le produit de cette redevance était très faible par rapport au produit de l'ensemble des redevances perçues par la société Aéroports de Paris, étant inférieur à 1 % du produit total des redevances, et que le tarif fixé pour cette redevance aboutissait à un taux de couverture du coût de la prestation correspondante demeurant inférieur à 120 %. Il résulte de ces éléments qu'il ne peut être soutenu que la compensation effectuée entre les différentes redevances ne présenterait manifestement pas un caractère limité et que les tarifs fixés en conséquence pour cette redevance auraient été manifestement disproportionnés.

6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les tarifs de la redevance CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 auraient été fixés en méconnaissance du principe d'équivalence doit être écarté.

7. En second lieu, si la société Easyjet Airline Company Limited soutient que le tarif des redevances aurait été établi en méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination, dès lors notamment que son produit était supérieur au coût du service rendu en raison des avantages accordés à certaines compagnies aériennes, il ressort des pièces du dossier que les compagnies aériennes n'étaient redevables de cette redevance, pendant la période considérée, qu'au titre des terminaux dans lesquels avait été déployé le système informatique d'enregistrement et d'embarquement CREWS. Ainsi, cette différence de traitement reposait sur une différence de situation objective en rapport avec l'utilisation d'un service mis en place par la société Aéroports de Paris, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les compagnies utilisant leur propre système auraient été avantagées de manière injustifiée par le non-paiement d'une redevance dont le montant était supérieur au coût du service et le bénéfice de la compensation avec les autres redevances. Le moyen doit, par suite, être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'exception d'illégalité soulevée devant la cour d'appel de Paris portant sur les tarifs de la redevance CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 n'est pas fondée.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Aéroports de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité des tarifs de la redevance aéroportuaire informatique d'enregistrement et d'embarquement CREWS pour les périodes tarifaires allant de 2011 à 2016 n'est pas fondée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société EasyJet Airline Company Limited sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Aéroports de Paris, à la société EasyJet Airline Company Limited, à l'Autorité de régulation des transports, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la cour d'appel de Paris.



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