Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 465784, lecture du 9 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:465784.20221109

Décision n° 465784
9 novembre 2022
Conseil d'État

N° 465784

Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Alexandra Bratos, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public


Lecture du mercredi 9 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun de suspendre l'exécution de la décision du 31 mai 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé sa mise à l'isolement jusqu'au 27 août 2022, décision à laquelle s'est substituée une décision du Premier ministre du 16 juin 2022 ayant le même objet. Par une ordonnance n° 2205564 du 28 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.

Par un pourvoi, enregistré le 13 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Première ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. B... ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code pénitentiaire ;
- le décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2022-847 du 2 juin 2022 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;


Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 31 mai 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé le maintien à l'isolement de M. A... B..., détenu au centre pénitentiaire Sud Francilien, jusqu'au 27 août 2022. Par une décision du 16 juin 2022, la Première ministre a pris une décision se substituant à la décision initiale du garde des sceaux, signée, par délégation, par la cheffe du service des métiers de la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice. La Première ministre se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 28 juin 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Melun a prononcé la suspension de cette décision au motif qu'en l'absence de délégation de signature de la Première ministre à la cheffe du service des métiers de la direction de l'administration pénitentiaire, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision du 16 juin 2022 était propre, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité .

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. D'une part, aux termes de l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres : " Le ministre qui estime se trouver en situation de conflit d'intérêts en informe par écrit le Premier ministre en précisant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses attributions. Un décret détermine, en conséquence, les attributions que le Premier ministre exerce à la place du ministre intéressé. / Ce dernier s'abstient de donner des instructions aux administrations placées sous son autorité ou dont il dispose, lesquelles reçoivent leurs instructions directement du Premier ministre ". Aux termes de l'article 1er du décret du 2 juin 2022 pris en application de l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 : " Le garde des sceaux, ministre de la justice ne connaît pas des actes de toute nature relevant des attributions fixées par le décret n° 2022-829 du 1er juin 2022 susvisé relatifs : (...) / -aux conditions d'exécution des peines et au régime pénitentiaire de personnes condamnées qui ont été, directement ou indirectement, impliquées dans les affaires dont il a eu à connaître en sa qualité d'avocat ou dont le cabinet Vey a à connaître ; (...) / Conformément à l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 susvisé, les attributions correspondantes sont exercées par le Premier ministre ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre (...) et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) / 2° Les chefs de service (...) / Cette délégation s'exerce sous l'autorité du ou des ministres et secrétaires d'Etat dont relèvent les agents, ainsi que, le cas échéant, de leur supérieur hiérarchique immédiat ".

5. Il résulte de la lecture combinée des dispositions citées aux points 3 et 4 que, lorsque le Premier ministre exerce les attributions d'un ministre empêché par une situation de conflit d'intérêts, les agents mentionnés à l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 peuvent signer en son nom et sous son autorité, dans le cadre de la délégation de plein droit prévue par cet article, les actes relatifs aux affaires des services dont ils ont la charge. L'ordonnance attaquée est par suite entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle a estimé qu'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cette décision en l'absence d'une délégation de signature expressément consentie par la Première ministre.

6. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la décision contestée a, en tout état de cause, cessé de produire effet le 28 août 2022. Dans ces conditions, le pourvoi en cassation formé par la Première ministre contre l'ordonnance rendue le 28 juin 2022 par le juge des référés a perdu son objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de la Première ministre.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la Première ministre.
Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 9 novembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana



Voir aussi