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Ariane Web: Conseil d'État 441387, lecture du 15 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:441387.20221115

Décision n° 441387
15 novembre 2022
Conseil d'État

N° 441387
ECLI:FR:CECHR:2022:441387.20221115
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Françoise Tomé, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mardi 15 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a porté plainte contre Mme C... D... devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 6 novembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme D... la sanction du blâme.

Par une décision du 16 mars 2020, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel de Mme D..., annulé la décision de première instance et rejeté la plainte de M. B....

Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 23 juin et 22 septembre 2020 et le 1er juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme D... ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;
- le code de procédure civile ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B... et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme C... D... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, M. A... B..., assuré auprès de la société Macif assurances, a été victime le 7 octobre 2014 d'un accident de la circulation impliquant un camion poids-lourd, assuré auprès de la société Axa assurances. Dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable mise en oeuvre en application de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, la société Axa assurances a communiqué à Mme D..., son médecin-conseil, le rapport d'expertise amiable concernant M. B..., établi par le médecin-conseil désigné par la société Macif assurances. Après avoir mis fin à cette procédure amiable et saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Grenoble qui a désigné un expert judiciaire en vue de la réalisation d'une expertise, M. B... a porté plainte devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins contre Mme D..., médecin-conseil désigné par la société Axa assurances, pour violation du secret médical dans le cadre de cette expertise judiciaire. Par une décision du 6 novembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins a infligé à Mme D... la sanction du blâme. La chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, sur appel de Mme D..., a annulé cette décision et rejeté la plainte de M. B... par une décision du 16 mars 2020, contre laquelle l'intéressé se pourvoit en cassation.

2. Aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " I. Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel (...) / II. Un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu'ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social. / III. Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins, au sens de l'article L. 1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d'informations nécessaires à la prise en charge d'une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-4 du même code : " Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. / Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ".

3. Aux termes de l'article 275 du code de procédure civile : " Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. / En cas de carence des parties, l'expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l'autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l'état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l'expert ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... ayant assigné la société Axa assurances devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Grenoble le 29 juin 2016, dans le cadre de la procédure d'indemnisation de l'accident de circulation dont il avait été victime, le juge des référés a désigné un expert judiciaire, l'ordonnance le désignant mentionnant que ce dernier était chargé notamment de recueillir " toute information orale ou écrite des parties : se faire communiquer puis examiner tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime ", tout en précisant que " la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l'accord de la personne concernée ".

5. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a relevé que Mme D..., médecin-conseil de la société Axa assurances, couvrant le poids-lourd impliqué dans l'accident dont a été victime M. B..., a communiqué à l'expert judiciaire désigné par le juge des référés le rapport d'expertise concernant M. B... réalisé lors de la procédure amiable par le médecin-conseil de la compagnie d'assurance de la société Macif assurances, auprès de laquelle M. B... était assuré, sans que M. B... n'ait donné son accord préalablement à cette communication. Elle a ensuite jugé que la communication d'un rapport d'expertise, réalisé dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable, par un médecin-conseil d'une compagnie d'assurance au médecin chargé d'une expertise médicale par le juge des référés d'un tribunal de grande instance aux fins d'évaluer le préjudice subi par une victime, sans que cette dernière n'ait donné son accord préalable à une telle transmission, n'est pas constitutive d'une méconnaissance des dispositions citées au point 2, dès lors que l'obligation de respecter le secret médical s'appliquait aux deux médecins et que l'échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique cité au point 2 que le partage d'informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d'une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, ce à quoi l'article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a entaché sa décision d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 16 mars 2020 qu'il attaque. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme que M. B... demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 16 mars 2020 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme D... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à Mme C... D....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.


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