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Ariane Web: Conseil d'État 457621, lecture du 23 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:457621.20221123

Décision n° 457621
23 novembre 2022
Conseil d'État

N° 457621
ECLI:FR:CECHR:2022:457621.20221123
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Philippe Bachschmidt , rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du mercredi 23 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 3 novembre 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France a confirmé la sanction de confinement en cellule ordinaire pour une durée de cinq jours prononcée à son encontre par la présidente de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Liancourt le 2 octobre 2017. Par un jugement n° 1800130 du 13 mars 2020, le tribunal administratif a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 20DA01224 du 6 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel du garde des sceaux, ministre de la justice, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Amiens.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 octobre 2021, 19 janvier et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi et Texier, son avocat, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. C... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. B... C..., incarcéré au centre pénitentiaire de Liancourt (Oise), s'est vu infliger, par une décision prise le 2 octobre 2017 par la présidente de la commission de discipline du centre pénitentiaire, une sanction de confinement en cellule ordinaire pour une durée de cinq jours, pour avoir été l'auteur, le 29 août 2017, d'une inscription sur le mur d'une cour de promenade du quartier disciplinaire du centre pénitentiaire. Cette sanction a été confirmée sur recours administratif par une décision du directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France du 3 novembre 2017, laquelle s'est substituée à la décision initiale du 2 octobre 2017. Par un jugement du 13 mars 2020, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 3 novembre 2017 sur la demande de M. C.... Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel du garde des sceaux, ministre de la justice, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Amiens.

2. En premier lieu, en application de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un fonctionnaire appartenant à un corps de catégorie A ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. " En application de l'article R. 57-7-15 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, figure parmi les compétences du chef d'établissement en matière disciplinaire la décision d'engager des poursuites disciplinaires.

3. Pour écarter le moyen tiré de ce que la décision d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. C... aurait été signée par une autorité incompétente, la cour administrative d'appel a relevé que cette décision a été signée par le directeur adjoint du centre pénitentiaire, en vertu d'une délégation de signature qui lui avait été accordée par une décision de la directrice du centre pénitentiaire du 24 juillet 2017, publiée le 11 août 2017 au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Oise, mis en ligne sur le site internet de la préfecture. En jugeant qu'eu égard à l'objet d'une délégation de signature, une telle publication au recueil des actes administratifs, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, avait constitué une mesure de publicité adéquate, la cour, qui a porté sur les faits et les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n'a pas commis d'erreur de droit ni insuffisamment motivé son arrêt.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. " Aux termes de l'article R. 57-7-7 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont prononcées, en commission, par le président de la commission de discipline. Les membres assesseurs ont voix consultative. " En application de l'article R. 57-7-8 du même code : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement (...) ". L'article R. 57-7-13 du même code dispose que : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline. " L'article R. 57-7-14 du même code dispose que : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline. "

5. Il résulte de ces dispositions que la présence dans la commission de discipline d'un assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement, qui ne peut être ni l'auteur du compte rendu établi à la suite d'un incident, ni l'auteur du rapport établi à la suite de ce compte rendu, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline.

6. M. C... soutenait, devant les juges du fond, qu'il n'avait pas été, en l'espèce, en mesure de s'assurer du respect de cette garantie, au motif que le registre des sanctions ne mentionnait que les premières lettres du prénom et du nom de famille du premier assesseur. Pour écarter ce moyen, la cour administrative d'appel a jugé, d'une part, que les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale autorisaient l'administration pénitentiaire à occulter l'identité du premier assesseur et, d'autre part, que les mentions figurant dans le registre des sanctions permettaient de s'assurer que les garanties prévues par les articles R. 57-7-8, R. 57-7-13 et R. 57-7-14 avaient été respectées.

7. Lorsqu'il est envisagé de prendre une décision individuelle défavorable à une personne détenue, l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale dispose que : " (...) la personne détenue dispose d'un délai pour préparer ses observations qui ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat ou du mandataire agréé, si elle en fait la demande. / L'autorité compétente peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue, à son avocat ou au mandataire agréé les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires ". Ces dispositions permettent à l'administration pénitentiaire de ne pas communiquer à la personne détenue certains éléments du dossier au cours de la phase préalable à l'intervention d'une décision administrative défavorable. Ces dispositions, comme d'ailleurs dans le cas particulier où est envisagée l'infliction d'une sanction celles de l'article R. 57-7-16, selon lequel : " la personne détenue, ou son avocat, peut consulter l'ensemble des pièces de la procédure disciplinaire, sous réserve que cette consultation ne porte pas atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes ", ne sont pas applicables à l'information de la personne détenue quant à la composition même de la commission de discipline.

8. Sont, en revanche, applicables à toutes les procédures dans le cadre desquelles un agent est chargé du traitement d'une affaire, y compris les procédures disciplinaires, les dispositions de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes desquelles : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne (...). Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté ". Si la méconnaissance de ces dispositions est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision prise, au terme de la procédure, par l'autorité administrative compétente, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, le cas échéant en ordonnant la production par l'administration des informations nécessaires et sans que communication en soit alors donnée au requérant, que le premier assesseur a bien été choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement et qu'il n'était l'auteur ni du compte rendu d'incident ni du rapport d'enquête, comme l'exigent les articles R. 57-7-8, R. 57-7-13 et R. 57-7-14 du code de procédure pénale.

9. Il en résulte que, pour juger que des informations relatives à la composition de la commission de discipline pouvaient ne pas être communiquées à la personne détenue à l'encontre de laquelle des poursuites disciplinaires ont été engagées lorsqu'une telle communication est susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires, la cour s'est fondée, à tort, sur les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale, lesquelles, à l'instar de celles de l'article R. 57-7-16 du même code, s'appliquent à la procédure contradictoire antérieure à la réunion de la commission de discipline et régissent notamment l'accès de la personne détenue ou de son avocat aux éléments de la procédure disciplinaire, alors qu'étaient seules applicables, en l'espèce, les dispositions de la seconde phrase de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, la méconnaissance de l'obligation d'informer toute personne du nom et du prénom de l'agent chargé de traiter l'affaire qui le concerne étant, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision prise au terme de la procédure, il y a lieu de substituer ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait et justifie légalement sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué, à celui retenu par la cour.

10. En l'espèce, c'est sans erreur de droit et au terme d'une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation que la cour a jugé que la composition de la commission de discipline était régulière, après avoir relevé, en se fondant notamment sur les indications figurant dans le registre des sanctions, que le premier assesseur avait été choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement et qu'il n'était l'auteur ni du compte rendu d'incident ni du rapport d'enquête, ainsi que l'exigent les articles R. 57-7-8, R. 57-7-13 et R. 57-7-14 du code de procédure pénale.

11. En troisième lieu, d'une part, eu égard à la nature et au degré de gravité des sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues, qui n'ont, par elles-mêmes, pas d'incidence sur la durée des peines initialement prononcées, les poursuites disciplinaires engagées à leur encontre ne sauraient être regardées comme une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et doivent être regardées de ce fait comme portant sur des contestations sur des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne ne saurait être utilement invoquée à l'encontre d'une sanction disciplinaire prononcée par le président de la commission de discipline d'un établissement pénitentiaire ou de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires qui s'y substitue en application de l'article L. 412-7 du code des relations entre le public et l'administration.

12. Il résulte de ce qui précède que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'était inopérant, à l'encontre de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires des Hauts-de-France du 3 novembre 2017, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêt attaqué serait entaché d'inexactitude matérielle des faits. C'est par une appréciation souveraine des faits et des pièces du dossier, exempte de dénaturation, que la cour a estimé que M. C... était l'auteur des faits qui lui étaient reprochés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la SCP Zribi et Texier, avocat de M. C....


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. C... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 23 novembre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt


La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana




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