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Ariane Web: Conseil d'État 461428, lecture du 5 décembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:461428.20221205

Décision n° 461428
5 décembre 2022
Conseil d'État

N° 461428
ECLI:FR:CECHR:2022:461428.20221205
Publié au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Jean-Marc Vié, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 5 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Aéroports de Paris a demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis, prise lors de sa séance du 9 novembre 2018 et publiée au bulletin d'informations administratives de la préfecture de la Seine-Saint-Denis du 14 décembre 2018, portant mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels.

Par une ordonnance n° 427866 du 4 mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis cette demande au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 1902627 du 19 avril 2019, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 19VE02206 du 14 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles, saisie par la société Aéroports de Paris d'un appel contre ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis contestée en ce qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France, a, après avoir admis les interventions de la commune de Tremblay-en-France et de l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol, annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté la demande de la société Aéroports de Paris.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février, 16 mai et 16 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Aéroports de Paris demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'article 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Aéroports de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. La société Aéroports de Paris (ADP) se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir annulé le jugement du 19 avril 2019 du tribunal administratif de Montreuil, a rejeté la demande d'annulation qu'elle avait formée à l'encontre de la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis, prise lors de sa séance du 9 novembre 2018 et publiée au bulletin d'informations administratives de la préfecture de la Seine-Saint-Denis du 14 décembre 2018, portant mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels, en tant que cette décision assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Le premier alinéa du II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, repris, à compter du 1er janvier 2018, au second alinéa du I de l'article 1498 du code général des impôts, prévoit que la valeur locative des propriétés bâties est déterminée en fonction de l'état du marché locatif ou, à défaut, par référence aux autres critères prévus par cet article et qu'elle tient compte de la nature, de la destination, de l'utilisation, des caractéristiques physiques, de la situation et de la consistance de la propriété ou fraction de propriété considérée.

3. En prévoyant, par l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, le législateur a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque-là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.

4. À cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d'évaluation regroupant les communes ou parties de communes qui, dans chaque département, présentent un marché locatif homogène et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie, modulé, le cas échéant, par l'application d'un coefficient de localisation de 0,7, 0,8, 0,85, 0,9, 1,1, 1,15, 1,2 ou 1,3, destiné, en vertu du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts, à tenir compte de la situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation.

Sur l'office du juge :

5. Si, en vertu des dispositions, issues du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, codifiées à l'article 1518 F du code général des impôts, les décisions fixant les tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation ne peuvent pas être contestées par la voie de l'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie, ces décisions peuvent faire l'objet devant le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir formé dans le délai de recours contentieux par les personnes intéressées.

6. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. Si le juge peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

7. Ainsi, lorsqu'un requérant conteste, devant le juge de l'excès de pouvoir, la fixation des tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation pour la parcelle sur laquelle se situe ce local et qu'il fait état d'éléments suffisamment étayés à l'appui de son recours, il appartient au juge de se déterminer sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties, l'administration, sollicitée en tant que de besoin par le juge, devant apporter au débat les éléments relatifs au calcul de ces tarifs et, lorsqu'elle n'est pas suffisamment prise en compte par ceux-ci, à la situation de la parcelle en cause justifiant l'application d'un coefficient de localisation.

Sur l'arrêt attaqué :

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de la mise à jour permanente des valeurs locatives révisées à compter de 2018 prévue par les dispositions codifiées au II de l'article 1518 ter du code général des impôts, la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels du département de la Seine-Saint-Denis, après avis de la commission intercommunale des impôts directs de Paris Terres d'Envol rendu lors de sa séance du 17 octobre 2018, a arrêté, dans sa séance du 9 novembre 2018, la liste des parcelles devant nouvellement, à compter de l'année 2019, être affectées d'un coefficient de localisation. Conformément à l'avis de la commission intercommunale, et en dépit de la préconisation de l'administration fiscale qui proposait de ne pas retenir de coefficient particulier, la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels du département de la Seine-Saint-Denis a décidé d'affecter un coefficient de localisation de 1,3 à l'ensemble des parcelles de la section cadastrale BI, correspondant à la zone aéroportuaire de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, située sur le territoire de la commune de Tremblay-en-France, dont la société ADP est le principal propriétaire et comprenant en son sein les terminaux 2A à 2D de l'aéroport, la zone " Roissy-pôle ", la gare RER aéroport Charles de Gaulle 1, partiellement l'emprise de la gare TGV RER aéroport Charles de Gaulle 2, des infrastructures routières et autoroutières majeures desservant la plate-forme aéroportuaire et ses zones de fret, les sièges sociaux de nombreuses entreprises et de nombreux hôtels de luxe et d'affaires.

9. Il ressort des écritures d'appel que la société Aéroports de Paris soutenait, sans être contredite par l'administration, que la section BI, située sur le territoire de la commune de Tremblay-en-France, qui regroupe plus de la moitié des locaux professionnels du secteur n° 6 d'évaluation auquel cette section appartient, comprenait, à la date à laquelle les loyers servant à la révision des valeurs locatives ont été observés, au sein de ce secteur d'évaluation, la totalité des biens des catégories de locaux professionnels, définies par l'article 310 Q de l'annexe II au code général des impôts, HOT1 (hôtels " confort ", 4 étoiles et plus, ou confort identique), HOT2 (hôtels " supérieur ", 2 ou 3 étoiles, ou confort identique), MAG3 (magasins appartenant à un ensemble commercial) et MAG4 (magasins de grande surface, surface principale comprise entre 400 et 2 500 m2), la quasi-totalité des biens relevant des catégories BUR3 (locaux assimilables à des bureaux mais présentant des aménagements spécifiques), DEP3 (parcs de stationnement à ciel ouvert) et DEP4 (parcs de stationnement couverts), ainsi que plus de la moitié de ceux relevant de la catégorie BUR2 (locaux à usage de bureaux d'agencement récent). La société ajoutait que, compte tenu des règles de détermination des valeurs locatives rappelées au point 4, il résultait directement de cette situation que les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites de l'ensemble du secteur d'évaluation n° 6 étaient déterminés, entièrement pour les quatre premières catégories et de manière prépondérante pour les quatre dernières, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section cadastrale en litige, ce qui excluait toute possibilité d'appliquer un coefficient de localisation à ces parcelles, sauf à majorer indument, pour une grande part des locaux situés dans les limites de cette section, les tarifs moyens qui y étaient appliqués, en contrariété avec la logique de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.

10. En écartant ce moyen au motif, au demeurant démenti par les pièces versées au dossier, que la société ne produisait aucun élément à l'appui de ses affirmations ni aucune précision de nature à les étayer, alors qu'il lui appartenait, en présence d'allégations sérieuses non contestées par l'administration, d'apprécier le bien-fondé de la contestation qui lui était soumise au vu des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction et en sollicitant, le cas échéant, des éléments de l'administration fiscale en charge d'établir les valeurs locatives cadastrales, la cour a commis une erreur de droit.

11. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Aéroports de Paris est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur les frais de l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Aéroports de Paris au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 de l'arrêt du 14 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il rejette la demande de la société ADP dirigée contre la décision attaquée en tant qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la société Aéroports de Paris une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Aéroports de Paris et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 novembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 5 décembre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle



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