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Ariane Web: Conseil d'État 457264, lecture du 13 janvier 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:457264.20230113

Décision n° 457264
13 janvier 2023
Conseil d'État

N° 457264
ECLI:FR:CECHR:2023:457264.20230113
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Hortense Naudascher, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 13 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 26 mars 2021 par laquelle la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 174 000 euros ou, à titre subsidiaire, d'en diminuer le montant ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2011-636 du 8 juin 2011 portant dispositions relatives aux personnels des offices publics de l'habitat ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. A....



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de deux contrôles de l'activité de l'office public de l'habitat (OPH) Confluence Habitat - Pays de Montereau, ayant mis en évidence des irrégularités commises par M. A..., ancien directeur général de l'office licencié en avril 2017, le conseil d'administration de l'Agence nationale de contrôle de logement social (ANCOLS) a, par une délibération du 7 octobre 2020, proposé à la ministre chargée du logement de prononcer à l'encontre de M. A... une sanction pécuniaire d'un montant de 174 000 euros. Par une décision du 26 mars 2021, la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, a infligé à M. A... une sanction pécuniaire d'un montant de 174 000 euros. M. A... demande au Conseil d'Etat d'annuler cette sanction ou, à titre subsidiaire, d'en diminuer le montant.

2. Aux termes de l'article L. 342-12 du code de la construction et de l'habitation : " En cas de manquements aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, d'irrégularité dans l'emploi des fonds de la participation à l'effort de construction ou des subventions, prêts ou avantages consentis par l'Etat ou par ses établissements publics et par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics, de faute grave de gestion, de carence dans la réalisation de l'objet social ou de non-respect des conditions d'agrément constatés, l'agence demande à l'organisme ou la personne contrôlée de présenter ses observations et, le cas échéant, le met en demeure de procéder à la rectification des irrégularités dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article L. 342-14 du même code : " I. Après que la personne ou l'organisme a été mis en mesure de présenter ses observations en application de l'article L. 342-12 ou, en cas de mise en demeure, à l'issue du délai mentionné à ce même article, l'agence peut proposer au ministre chargé du logement de prononcer les sanctions suivantes : / 1° Une sanction pécuniaire, qui ne peut excéder deux millions d'euros. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 342-16 : " Les sanctions mentionnées au I de l'article L. 342-14 sont fixées en fonction de la gravité des faits reprochés, de la situation financière et de la taille de l'organisme (...) Leur produit est affecté à la Caisse de garantie du logement locatif social. / Les décisions de sanction prononcées en application des articles L. 342-14 et L. 342-15 sont susceptibles d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au ministre chargé du logement, lorsque, à la suite d'une proposition de l'ANCOLS tendant à ce que soit prononcée une sanction à l'encontre d'une personne ou d'un organisme soumis à son contrôle, il prononce l'une des sanctions prévues à l'article L. 342-14, d'une part, de tenir notamment compte, dans le choix de la sanction retenue, du délai qui s'est écoulé depuis la date des faits reprochés et, d'autre part, de prononcer cette sanction dans un délai raisonnable après la transmission de la proposition de l'ANCOLS. Il lui appartient également, lorsque la sanction est prononcée à l'encontre d'une personne physique, de tenir compte de la gravité des faits reprochés pour en déterminer le montant.

Sur le principe de la sanction :

3. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l'habitation citées au point 2 que l'ANCOLS peut proposer au ministre chargé du logement de prononcer une sanction contre un organisme qu'elle a contrôlé ou contre l'un de ses dirigeants ou membres de son conseil d'administration. Par suite, M. A..., ancien directeur général de l'OPH Confluence Habitat - Pays de Montereau, n'est pas fondé à soutenir que seul l'office public de l'habitat (OPH) Confluence Habitat - Pays de Montereau aurait pu être sanctionné à raison des manquements relevés par l'ANCOLS et que la décision attaquée lui infligeant une sanction serait illégale pour ce motif.

Sur la régularité de la décision attaquée :

4. En premier lieu, la sanction attaquée a été prise à l'issue d'un second contrôle de l'OPH Confluence Habitat - Pays de Montereau, achevé en juin 2018. M. A... ne saurait ainsi utilement se prévaloir de la longueur du délai écoulé depuis le premier contrôle de l'ANCOLS, à l'issue duquel aucune sanction n'a été prise, pour contester la régularité de la décision attaquée. En outre, il résulte de l'instruction que le délai d'un peu plus de cinq mois qui s'est écoulé entre la transmission de la proposition de l'ANCOLS et l'intervention de la sanction litigieuse n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, revêtu un caractère déraisonnable qui entacherait d'irrégularité la sanction attaquée.

5. En deuxième lieu, la décision attaquée fixe le montant de la sanction pécuniaire infligée à M. A... en se référant à la gravité des manquements relevés à son encontre, à leur répétition et à leurs conséquences sur les finances de l'OPH Confluence Habitat - Pays de Montereau. Contrairement à ce qui est soutenu, aucune disposition n'impose au ministre du logement de mentionner dans sa décision des éléments de calcul du montant de la sanction. Par suite, la décision attaquée est suffisamment motivée sur ce point.

Sur les griefs :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par une délibération du 17 juillet 2015, le conseil d'administration de l'office a modifié le contrat de travail de M. A... pour supprimer la mise à disposition d'un véhicule de fonction, un tel avantage ne pouvant être accordé qu'aux directeurs généraux des offices gérant plus de 5 000 logements locatifs, en vertu des dispositions du 3° de l'article R. 421-20-1 du code de la construction et de l'habitation. Si le conseil d'administration a ensuite autorisé rétroactivement, par une délibération du 5 septembre 2016, la conclusion par M. A... d'un contrat de location avec option d'achat d'un nouveau véhicule de fonction, M. A... a pourtant constamment conservé le bénéfice de ce véhicule, qu'il n'a, au demeurant, restitué que près de trois semaines après la fin effective de ses fonctions. Contrairement à ce qu'il soutient, la circonstance qu'il était compétent, en application de l'article R. 421-18 du code de la construction et de l'habitation, pour conclure tous actes et contrats au nom de l'office, est sans incidence sur le caractère irrégulier de l'octroi puis d'un maintien d'un tel avantage. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision serait sur ce point entachée d'inexactitude matérielle, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a bénéficié du 1er janvier 2016 au 30 juin 2017 de titres-restaurant alors qu'un tel avantage n'est pas au nombre de ceux susceptibles d'être attribués aux directeurs généraux des offices publics de l'habitat en vertu de l'article R. 421-20-1 du code de la construction et de l'habitation, et qu'il n'était, par suite, pas prévu par son contrat de travail. Les circonstances, à les supposer établies, que le prédécesseur de M. A... aurait bénéficié d'un tel avantage et que M. A... n'aurait jamais sollicité le remboursement, prévu par l'article R. 421-20-1, des frais exposés dans le cadre des déplacements et activités liés à ses fonctions, n'est pas de nature à rendre régulière l'attribution à son profit de titres-restaurant. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision serait sur ce point entachée d'inexactitude matérielle, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a bénéficié en 2013 d'une formation en sophrologie, représentant un coût de 3 900 euros, dans le cadre d'une convention de formation professionnelle qu'il avait lui-même conclue, sans l'avoir soumise à l'autorisation préalable du président du conseil d'administration de l'office. M. A... ne peut utilement faire valoir qu'il bénéficiait, en sa qualité d'agent contractuel de la fonction publique territoriale, d'un droit à la formation, ce droit n'étant pas susceptible de le dispenser de solliciter l'autorisation préalable du président du conseil d'administration sur la convention de formation professionnelle qu'il avait conclue. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision serait sur ce point entachée d'inexactitude matérielle, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 423-11 du code de la construction et de l'habitation : " Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre un organisme public d'habitations à loyer modéré et son directeur général, l'un de ses directeurs ou l'un de ses administrateurs doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Les conventions auxquelles une des personnes visées au présent alinéa est indirectement intéressée sont également soumises à autorisation préalable ". Il résulte de l'instruction qu'en janvier 2017 M. A... a recruté la soeur de son ex-épouse sur un poste d'assistante de direction, par un contrat de travail à durée indéterminée. Au regard du lien qui l'unissait à la personne dont le recrutement était envisagé, M. A... doit être regardé, en l'espèce, comme ayant été indirectement intéressé à la conclusion de son contrat de travail et aurait dès lors dû, en application des dispositions précitées, le soumettre à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision serait sur ce point entachée d'inexactitude matérielle, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

10. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a conclu des avenants aux contrats d'une dizaine de cadres de l'office, prévoyant une indemnité de rupture de contrat équivalente à vingt-quatre mois de salaire mensuel dès l'acquisition d'un an d'ancienneté, soit des conditions beaucoup plus avantageuses que l'indemnisation prévue, en cas de licenciement, par l'article 45 du décret du 8 juin 2011 portant dispositions relatives aux personnels des offices publics de l'habitat. Si M. A... soutient notamment que ces avenants répondaient à l'objectif de réduction de la masse salariale, il n'établit pas, en tout état de cause, qu'ils y auraient effectivement contribué. Il s'ensuit que la ministre a pu, sans entacher sa décision d'inexactitude matérielle, d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit, regarder la conclusion de ces avenants comme des actes de gestion contraires aux intérêts financiers de l'office.

Sur le montant de la sanction :

11. Il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté en défense par la ministre chargée du logement, que pour fixer à 174 000 euros le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. A..., la ministre s'est référée au coût total des actes de gestion contraires aux intérêts de l'office imputés à M. A..., qui avaient été évalués à la somme de 174 510 euros par l'ANCOLS dans le rapport établi à l'issue de son deuxième contrôle. S'il appartenait, le cas échéant, à l'OPH Confluence Habitat - Pays de Montereau d'émettre des titres exécutoires à l'encontre de M. A... en vue de la répétition des sommes correspondant à tout ou partie des dépenses irrégulières, la ministre, qui pouvait tenir compte de l'ampleur du préjudice financier ayant résulté pour l'OPH des fautes de gestion commise par l'intéressé, ne pouvait toutefois se fonder sur ce seul critère pour fixer le montant de la sanction pécuniaire à son encontre.

12. Eu égard à la gravité des faits reprochés à M. A..., telle qu'elle résulte de l'ensemble des considérations mentionnées aux points 6 à 10 et des circonstances de l'espèce, notamment la part de responsabilité du conseil d'administration dans la mise à disposition irrégulière d'un véhicule de fonction, ainsi que de l'importance du préjudice subi par l'organisme, il y a lieu de ramener à la somme de 50 000 euros le montant de la sanction pécuniaire de 174 000 euros infligée à M. A.... M. A... est, par suite, fondé à demander, dans cette mesure, la réformation de la décision attaquée.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La sanction prononcée le 26 mars 2021 à l'encontre de M. A... est réformée pour être ramenée à un montant de 50 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à l'Agence nationale de contrôle du logement social et à l'office public de l'habitat Confluence Habitat - Pays de Montereau.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 décembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 13 janvier 2023.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras



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