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Ariane Web: Conseil d'État 455263, lecture du 27 janvier 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:455263.20230127

Décision n° 455263
27 janvier 2023
Conseil d'État

N° 455263
ECLI:FR:CECHR:2023:455263.20230127
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public


Lecture du vendredi 27 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 août 2021, le 21 février 2022 et le 12 juillet 2022, la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2021-654 du 9 juin 2021 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux dispositions du point I. 1. de l'article 2 de la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, ainsi qu'aux dispositions du point 1. de la recommandation n° 2021-01 du 17 mars 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique les 13 et 20 juin 2021, en assurant un accès équitable à l'antenne des listes en présence sur l'ensemble de la période sur laquelle son respect doit être apprécié.

2°) de mettre à la charge du CSA la somme de 8 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative au principe de pluralisme dans les services de radio et de télévision en période électorale ;
- la recommandation n° 2021-01 du 17 mars 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique les 13 et 20 juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.


Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 janvier 2023, présentée par la SESI.



Considérant ce qui suit :

1. La société d'exploitation d'un service d'information (SESI), exploitant le service de télévision diffusé par voie hertzienne en mode numérique dénommé " CNews ", demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° 2021-654 du 9 juin 2021 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu au 1er janvier 2022 l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux dispositions du point I. 1. de l'article 2 de la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, ainsi qu'aux dispositions du point 1. de la recommandation n° 2021-01 du 17 mars 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique les 13 et 20 juin 2021, en assurant un accès équitable à l'antenne des listes en présence sur l'ensemble de la période sur laquelle son respect doit être apprécié.

Sur la légalité externe :

2. Le moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que la décision attaquée a été prise selon les formes prévues par le décret du 28 mars 2014 relatif à l'organisation et au fonctionnement du CSA et le règlement intérieur du 9 avril 2014 n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure les titulaires d'autorisation pour l'exploitation d'un service de communication audiovisuelle de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis à l'article 1er de la présente loi ". Aux termes de l'article 16 de la même loi : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales que les sociétés nationales de programme sont tenues de produire et de programmer et que la société prévue à l'article 51 de la présente loi est tenue de diffuser. Les prestations fournies à ce titre font l'objet de dispositions insérées dans les cahiers des charges. / Pour la durée des campagnes électorales, le conseil adresse des recommandations aux exploitants des services de communication audiovisuelle autorisés en vertu de la présente loi ".

4. En application des dispositions de ce dernier article, le CSA a adopté la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale ainsi que la recommandation n° 2021-01 du 17 mars 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l'élection des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des conseillers à l'Assemblée de Corse, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique les 13 et 20 juin 2021. Aux termes de la délibération du 4 janvier 2011 : " I. - Traitement de l'actualité / I-1. Actualité liée à l'élection / 1° Lorsqu'il est traité d'une circonscription électorale déterminée, les éditeurs veillent à ce que les candidats ou listes de candidats, les personnalités ou les partis et groupements politiques qui les soutiennent bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne. / 2° Lorsque le traitement de l'élection dépasse le cadre d'une circonscription électorale concernée par le scrutin, les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne. / (...) I-2. Actualité non liée à l'élection / (...) 2° Les invitations de candidats doivent être liées aux nécessités de l'actualité. (...) " Aux termes de la recommandation du 17 mars 2021 : " 1. Traitement de l'actualité liée à l'élection / Conformément à la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale : / - lorsqu'il est traité des circonscriptions au sens des articles L. 191, L. 338, L. 365, L. 558-3 et L. 558-7 du code électoral, les services de radio et de télévision veillent à ce que les binômes ou listes de candidats, ainsi que les personnalités ou les partis et groupements politiques qui les soutiennent bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne ; / - lorsque le traitement de l'élection dépasse le cadre d'une circonscription électorale concernée par le scrutin, les éditeurs veillent à ce que les partis et groupements politiques présentant des candidats et leurs soutiens bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne. / (...) 3. Transmission et publication des relevés d'interventions / 1° Les services suivants transmettent par voie électronique au Conseil supérieur de l'audiovisuel le décompte des temps de parole des binômes de candidats, des listes de candidats, des partis et groupements politiques et de leurs soutiens relevés dans leurs programmes : (...) CNews (...) ".

5. Pour adresser à la société requérante la mise en demeure attaquée, le CSA a relevé que M. A..., candidat tête de la liste du Rassemblement National à Paris dans le cadre des élections régionales des 20 et 27 juin 2021 en Ile-de-France, avait été invité à neuf reprises sur le plateau de CNews entre le 10 et le 28 mai 2021, s'exprimant pendant une durée globale de près d'une heure et bénéficiant de ce fait d'une exposition significative favorable à sa candidature, alors que la société éditrice du service n'a déclaré que sept minutes environ de ce temps dans le cadre de sa couverture de l'actualité liée à la campagne en vue des élections régionales en Ile-de-France.

6. Si la société requérante fait valoir que M. A... a été invité à s'exprimer sur des sujets d'intérêt national sans lien avec la campagne électorale dans la circonscription d'Ile-de-France et en sa qualité d'ancien journaliste, le CSA a toutefois relevé que ses interventions portaient sur des thèmes, tels que la sécurité, la politique pénale et la politique sanitaire, indissociables du débat électoral dans cette circonscription et qu'il n'est pas établi ni même allégué que l'intéressé, qui a été présenté à l'antenne dans presque chacune de ses interventions en sa qualité de candidat aux élections régionales, ait alors assumé au sein de sa formation politique des responsabilités nationales. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le CSA a estimé, en se fondant sur l'ensemble de ces éléments, que ces interventions devaient être décomptées au titre du 1° du 1. du I de la délibération du 4 janvier 2011 cité ci-dessus relatif au traitement d'une circonscription électorale déterminée afin d'assurer une présentation et un accès équitables à l'antenne des candidats ou listes de candidats. Il suit de là que c'est sans commettre d'erreur de droit ni, compte tenu tant de la teneur des interventions en cause que du temps d'antenne des différents candidats, d'erreur d'appréciation, que le CSA a adressé à la SESI la mise en demeure litigieuse. Eu égard à la nature des manquements relevés comme à l'effet d'une mise en demeure, celle-ci n'a pas porté une atteinte excessive à la liberté d'expression protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et par l'article 10, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société SESI doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SESI est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société d'exploitation d'un service d'information et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 janvier 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 27 janvier 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


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