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Décision n° 462599
27 janvier 2023
Conseil d'État

N° 462599
ECLI:FR:CECHR:2023:462599.20230127
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Vincent Mazauric, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 27 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Le Saphir a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. Par un jugement n° 1710429 du 4 février 2020, le tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20VE00971 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Le Saphir contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mars et 23 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Saphir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Le Saphir ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Le Saphir a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle lui ont été notifiés des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés, des pénalités ainsi qu'une amende. Par un jugement du 4 février 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société Le Saphir tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des pénalités et de l'amende, consécutifs à cette vérification. La société Le Saphir se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant son appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Aux termes de l'articles L. 252 A du livre des procédures fiscales : " Constituent des titres exécutoires les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir ". Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2017, applicable au litige : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est signé et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret (...) ". Aux termes de l'article R.*256-1 du même livre : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ". Aux termes de l'article R.*256-3 du même livre : " L'avis de mise en recouvrement est rédigé en double exemplaire : / a) Le premier, dit " original ", est déposé au service compétent de la direction générale des finances publiques ou à la recette des douanes et droits indirects chargé du recouvrement ; / b) Le second, dit " ampliation ", est destiné à être notifié au redevable ou à son fondé de pouvoir ". Aux termes de l'article R.*256-6 du même livre : " La notification de l'avis de mise en recouvrement comporte l'envoi au redevable, soit au lieu de son domicile, de sa résidence ou de son siège, soit à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître au service compétent de la direction générale des finances publiques ou au service des douanes et droits indirects compétent, de l'" ampliation " prévue à l'article R. * 256-3. (...) ".

3. La loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 a modifié les dispositions citées au point précédent de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, pour prévoir que l'avis de mise en recouvrement " est émis et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret, selon les modalités prévues aux articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration ". Elle a également modifié les dispositions de l'article L. 212-2 de ce dernier code, pour ajouter les avis de mise en recouvrement à la liste, figurant à cet article, des actes dispensés de la signature de leur auteur, dès lors qu'ils comportent ses prénom, nom et qualité ainsi que la mention du service auquel celui-ci appartient, quelles que soient les modalités selon lesquelles ils sont portés à la connaissance des intéressés. L'ensemble de ces nouvelles dispositions s'applique, en vertu du A du V de l'article 90 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, aux avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017. Il résulte de ces dispositions que les avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 n'ont pas nécessairement à comporter la signature de leur auteur, dès lors que, par les autres mentions qu'ils comportent, ils sont conformes aux prescriptions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration.

4. Pour l'application des dispositions antérieures, citées au point 2, applicables au litige, le contribuable auquel a été adressé, avant le 1er janvier 2017, un avis de mise en recouvrement, lequel constitue un titre exécutoire authentifiant la créance de l'administration, doit être à même de vérifier que son signataire est effectivement l'autorité compétente en vertu des dispositions des articles L. 256, L. 257 A et R. 256-8 du livre des procédures fiscales. Si l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement adressée au contribuable n'a pas nécessairement à comporter de signature dès lors que l'original déposé au service compétent en est revêtu, il résulte des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration qu'elle doit en revanche comporter les mentions de nature à permettre l'identification de son auteur et sa qualité.

5. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que l'absence de telles mentions dans les avis de mise en recouvrement ampliatifs en litige était sans incidence sur la régularité de ces derniers au seul motif que les originaux, produits au cours de l'instance, les comportaient et étaient signés.

6. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, la société Le Saphir est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de l'instruction que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, les pénalités et l'amende en litige ont été réclamés à la société Le Saphir par deux avis de mise en recouvrement ampliatifs en date du 16 décembre 2016, l'un, numéroté 00011, pour un montant de 110 996 euros et l'autre, numéroté 00010, pour un montant de 2 100 euros. Outre la date, ces documents comportaient l'identification du service des impôts des entreprises de Garges-Lès-Gonesse Extérieur, chargé du recouvrement et, dans le cadre " nom et qualité du signataire ", les mots : " Le comptable public ". Ces mentions ne mettant pas, à elles seules, à même le destinataire de ces avis d'en identifier le signataire ainsi que sa qualité, la requérante est fondée, sans que l'administration fiscale puisse utilement faire valoir que les originaux qu'elle a produits devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et la cour administrative d'appel de Versailles étaient, quant à eux, bien revêtus du nom, du prénom et de la signature de la comptable publique, cheffe du service des impôts des entreprises de Garges-Lès-Gonesse Extérieur, à soutenir que ces avis étaient irréguliers et à demander à être déchargée des impositions supplémentaires, majorations, intérêts de retard et amende qui lui ont été réclamés.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la société Le Saphir est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre de la première instance et des instances d'appel et de cassation, la somme de 6 000 euros, à verser à la société Le Saphir au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 25 janvier 2022 et le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 4 février 2020 sont annulés.
Article 2 : La société Le Saphir est déchargée des sommes mises en recouvrement par les avis n° 00010 et n° 00011 du 16 décembre 2016.

Article 3 : L'Etat versera à la société Le Saphir la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Le Saphir et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 décembre 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 27 janvier 2023.


Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam



La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :