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Ariane Web: Conseil d'État 469199, lecture du 23 février 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:469199.20230223

Décision n° 469199
23 février 2023
Conseil d'État

N° 469199
ECLI:FR:CECHR:2023:469199.20230223
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du jeudi 23 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B..., à l'appui de son mémoire en défense présenté devant la Cour de discipline budgétaire et financière et tendant au rejet du déféré présenté par la Procureure générale près la Cour des Comptes le 31 août 2022 pour qu'il soit statué sur sa responsabilité au titre des articles L. 313-4, L. 313-5 et L. 313-6 du code des juridictions financières et fait application à son encontre des sanctions prévues par ces articles, a produit un mémoire, enregistré le 3 novembre 2022 au greffe de cette cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un arrêt n° 264-865 du 24 novembre 2022, enregistré le 28 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Cour de discipline budgétaire et financière, avant qu'il soit statué sur le déféré de la Procureure générale près la Cour des comptes, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 29 et 30 de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un mémoire complémentaire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 décembre 2022, M. B... soutient que les dispositions du I de l'article 29 et du II de l'article 30 de l'ordonnance du 23 mars 2022, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- les articles 29 et 30 de l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 29 de l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : " I. Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables à compter du 1er janvier 2023 dans les conditions fixées au II (...) / II. - Les dispositions relatives au régime de responsabilité des comptables publics patents et assimilés, des comptables de fait, des régisseurs, des trésoriers militaires et des comptables des organismes primaires de sécurité sociale demeurent applicables dans leur version antérieure à la présente ordonnance aux opérations ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de leur responsabilité notifié avant le 1er janvier 2023, lorsque le manquement litigieux a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné ". Aux termes de l'article 30 de la même ordonnance : " I. - Les affaires ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d'un comptable public devant les chambres régionales des comptes à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date, transmises à la Cour des comptes. / II. - Les affaires ayant fait l'objet d'un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire et financière à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date, transmises à la Cour des comptes ".

3. Ces dispositions, qui n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, déterminent les conditions d'application dans le temps du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et le juge compétent pour en connaître.

4. M. B... soutient que les dispositions citées au point 2 méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en tant que le I de l'article 29 reporte au 1er janvier 2023 l'application du nouveau régime de responsabilité aux ordonnateurs et en tant que le II de l'article 30 fixe à cette même date la transmission, à la Cour des comptes, des affaires ayant fait l'objet d'un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire et financière à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance. Il résulte toutefois de ces dispositions que M. B..., initialement poursuivi devant la Cour de discipline budgétaire et financière au titre de faits commis dans ses fonctions d'ordonnateur, doit, compte tenu de l'entrée en vigueur des dispositions de l'ordonnance du 23 mars 2022 le concernant, soit le 1er janvier 2023, être jugé par la Cour des comptes, qui appliquera le nouveau régime de responsabilité mis en place par l'ordonnance. Dès lors, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I de l'article 29 et du II de l'article 30 en tant qu'elles reportent l'entrée en vigueur du nouveau régime de responsabilité des ordonnateurs, est sans incidence sur le litige dont est désormais saisi la Cour des comptes. Par suite, ces dispositions ne sont pas applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

5. Il n'y a, par suite, pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de discipline budgétaire et financière.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Procureur général près la Cour des Comptes et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Première ministre, au Conseil constitutionnel et à la Cour de discipline budgétaire et financière.