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Ariane Web: Conseil d'État 464355, lecture du 10 mars 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:464355.20230310

Décision n° 464355
10 mars 2023
Conseil d'État

N° 464355
ECLI:FR:CECHR:2023:464355.20230310
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Thalia Breton, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du vendredi 10 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :


Par un mémoire distinct et deux nouveaux mémoires, enregistrés les
14 décembre 2022 et 13 janvier et 14 février 2023, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi formé contre l'arrêt n° 21VE02142 du 24 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant son appel formé contre le jugement du 9 avril 2021 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d'Etat a prononcé la mutation de
M. D... C... en qualité de président du tribunal administratif de Paris et la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux contre cette décision, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;
- la décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Une question prioritaire de constitutionnalité, présentée par un mémoire distinct et portant sur les dispositions d'une ordonnance prise par le Gouvernement sur le fondement d'une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, est recevable si le délai d'habilitation est expiré et qu'elle porte sur la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, de dispositions de l'ordonnance qui relèvent du domaine de la loi. Elle doit alors être transmise au Conseil constitutionnel si les conditions fixées par les articles 23-2, 23-4 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du
7 novembre 1958 sont remplies.

3. Aux termes de l'article L. 232-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel connaît des questions individuelles intéressant les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'Etat. / Il établit les tableaux d'avancement et les listes d'aptitude prévus aux articles L. 234-2-1, L. 234-2-2, L. 234-4 et L. 234-5. / Il émet des propositions sur les nominations, détachements et intégrations prévus aux articles L. 233-3,
L. 233-4 et L. 233-5 et sur la désignation des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel siégeant au jury des concours prévus par l'article L. 233-6 en vue du recrutement direct des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. / Il est saisi pour avis conforme sur la nomination des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en qualité de rapporteur public et de président d'un tribunal administratif. Il est saisi pour avis conforme de tout licenciement d'un magistrat pour insuffisance professionnelle après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire. / Il émet un avis sur les mutations des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, sur leur demande de placement en disponibilité, sur l'acceptation de leur démission, sur leurs demandes de réintégration à l'issue d'une période de privation de droits civiques, d'interdiction d'exercer un emploi public ou de perte de la nationalité française, ainsi que sur leur nomination aux grades de conseiller d'Etat et de maître des requêtes prononcées sur le fondement de l'article L. 133-8 ainsi que sur les propositions de nomination aux fonctions de président d'une cour administrative d'appel. / Il peut être saisi par les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel d'un recours contre l'évaluation prévue par l'article L. 234-7 ou contre un refus d'autorisation d'accomplir un service à temps partiel ou un refus d'honorariat ".

4. Aux termes de l'article L. 232-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-1366 du 13 octobre 2016 portant dispositions statutaires concernant les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, prise sur le fondement de l'article 86 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, lequel article fixait un délai d'habilitation à ce jour expiré : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel est présidé par le vice-président du Conseil d'Etat et comprend en outre : / 1° Le conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives ; / 2° Le secrétaire général du Conseil d'Etat ; / 3° Le directeur chargé au ministère de la justice des services judiciaires ;
/ 4° Un chef de juridiction et un suppléant élus par leurs pairs ; / 5° Cinq représentants des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à l'exception de ceux détachés dans le corps depuis moins de deux ans, élus au scrutin proportionnel de liste à raison : a) D'un représentant titulaire et d'un suppléant pour le grade de conseiller ; / b) De deux représentants titulaires et de deux suppléants pour le grade de premier conseiller ; / c) De deux représentants titulaires et de deux suppléants pour le grade de président ; / 6° Trois personnalités choisies pour leurs compétences dans le domaine du droit en dehors des membres du Conseil d'Etat et des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et qui n'exercent pas de mandat parlementaire nommées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. / (...) ". Cet article prévoit en outre que le mandat du chef de juridiction et des représentants des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est d'une durée de trois ans renouvelable une seule fois, celui des personnalités qualifiées étant d'une durée de trois ans non renouvelable.

5. A l'appui de son pourvoi dirigé contre l'arrêt du 24 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du 9 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d'Etat a prononcé, après avis conforme du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA), la mutation de M. D... C... en qualité de président du tribunal administratif de Paris, d'autre part, de la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux contre cette décision, M. B... demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions citées aux points 3 et 4.

6. En premier lieu, les attributions et la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA), résultant des dispositions des articles L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative, citées aux points 3 et 4, concourent à garantir l'indépendance et l'impartialité de la juridiction administrative.
La circonstance que l'article L. 232-4, relatif à la composition du CSTACAA, prévoit qu'il comprend, parmi ses treize membres, le vice-président du Conseil d'Etat, en qualité de président, le conseiller d'Etat, président de la mission d'inspection des juridictions administratives et le secrétaire général du Conseil d'Etat, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est en rien de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Au demeurant, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'Etat sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance, en particulier à son égard. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne soulève pas une question sérieuse. De plus, M. B... ne peut utilement faire valoir que les dispositions de l'article L. 232-1, relatives aux attributions du CSTACAA, seraient, faute de préciser les modalités selon lesquelles il les exerce, entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte à ces mêmes principes, dès lors que le fonctionnement du CSTACAA est régi par l'article L. 232-6 du même code, qui n'est pas contesté dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité.

7. En deuxième lieu, eu égard à l'objet des dispositions des articles L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative, qui ne sont pas relatives aux voies de recours contentieux contre les décisions de nomination de magistrats administratifs, M. B... ne peut utilement soutenir qu'elles méconnaîtraient le droit à un recours effectif devant une juridiction indépendante et impartiale, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789.

8. En troisième et dernier lieu, M. B... ne peut en tout état de cause sérieusement soutenir que les dispositions des articles L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ne sont pas relatives aux voies de recours contentieux contre les décisions de nomination de magistrats administratifs, méconnaîtraient le principe d'égalité devant la justice, garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration du 26 août 1789, en ce que le magistrat administratif qui conteste la nomination du président d'une juridiction administrative doit, selon que cette nomination est prononcée par décret du Président de la République ou par arrêté du vice-président du Conseil d'Etat, saisir directement le Conseil d'Etat ou saisir en premier ressort le tribunal administratif.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question, soulevée par M. B..., de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles
L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.





D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. D... C....
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au secrétaire général du Conseil d'Etat.


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