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Ariane Web: Conseil d'État 462997, lecture du 25 avril 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:462997.20230425

Décision n° 462997
25 avril 2023
Conseil d'État

N° 462997
ECLI:FR:CECHS:2023:462997.20230425
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mardi 25 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 mars 2019 par lequel la sous-préfète de Guingamp a prononcé la fermeture administrative de son établissement pour une durée d'un mois, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 14 mars 2019. Par un jugement n° 1903482 du 11 février 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21NT00941 du 4 février 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- - le code de la santé publique ;
- - le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme A....



Considérant ce qui suit :

Sur le pourvoi de Mme A... :

1. Aux termes du 2 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques ", la fermeture administrative d'un débit de boissons " peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 7 mars 2019, pris sur le fondement de ces dispositions, la sous-préfète de Guingamp a prononcé la fermeture administrative pour un mois de l'établissement exploité à Pabu (Côtes-d'Armor) par Mme A..., au motif que celle-ci avait, le 13 janvier 2019, servi de l'alcool au conducteur et aux passagers d'un véhicule ayant provoqué, dans les minutes suivant leur départ, un accident mortel à Pommerit-le-Vicomte, alors que ceux-ci étaient ivres. Mme A... demande l'annulation de l'arrêt du 4 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 11 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté et de la décision du 21 mars 2019 rejetant son recours gracieux.

3. L'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s'impose aux juridictions et à toutes les autorités administratives, s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'Etat, juge de cassation, en produisant, en tant que de besoin pour la première fois dans l'instance de cassation, les pièces propres à justifier de son bien-fondé.

4. Il ressort des pièces produites devant la cour administrative d'appel que, par un jugement rendu sur opposition à ordonnance pénale le 11 mars 2021, le tribunal de proximité de Guingamp a relaxé Mme A... des fins des poursuites engagées à son encontre sur le fondement de l'article R. 3353-2 du code de la santé publique aux termes duquel : " Le fait pour les débitants de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leurs établissements est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ", au motif que les intéressés ne présentaient aucun signe d'ébriété manifeste au moment où de l'alcool leur a été servi dans le débit de boissons. Il ressort en outre des pièces produites devant le juge de cassation que ce jugement a acquis un caractère définitif. L'autorité de la chose jugée au pénal fait obstacle au maintien du dispositif de l'arrêt attaqué, qui est fondé sur des constatations de fait, rappelées au point 2, contraires à celles, citées au point 4, qu'a retenues le tribunal de proximité de Guingamp au soutien du dispositif de son jugement du 11 mars 2021. Mme A... est, par suite, fondée à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le préfet des Côtes-d'Armor

6. Il ressort des écritures produites dans le délai d'appel par Mme A... que celle-ci ne s'est pas bornée à reproduire intégralement et exclusivement le texte de ses mémoires de première instance. Par suite, la fin de non-recevoir tirée par le préfet des Côtes-d'Armor de ce que la requête serait irrecevable, faute de satisfaire aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, en vertu desquelles la requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge, doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement du tribunal administratif de Rennes :

7. Il résulte de ce qui est dit au point 4 que les décisions préfectorales en litige, qui se fondent sur la circonstance que " le visionnage des images de vidéosurveillance de l'établissement établit que l'exploitante a servi de l'alcool au conducteur alors que celui-ci était ivre ", sont en contradiction avec l'autorité absolue de la chose jugée par le jugement du 11 mars 2021 du tribunal de proximité de Guingamp. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a refusé de les annuler. Il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, d'annuler son jugement et d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 7 et 21 mars 2019 de la sous-préfète de Guingamp.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice, au titre de l'instance de cassation et de l'instance d'appel.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 4 février 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : Le jugement du 11 février 2021 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 7 mars 2019 de la sous-préfète de Guingamp et la décision du 21 mars 2019 par laquelle elle a rejeté le recours gracieux de Mme A... sont annulés.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 4 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Fabienne Lambolez, assesseure, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 25 avril 2023.
La présidente :
Signé : Mme Fabienne Lambolez
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Dominique Langlais
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras