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Ariane Web: Conseil d'État 472495, lecture du 29 juin 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:472495.20230629

Décision n° 472495
29 juin 2023
Conseil d'État

N° 472495
ECLI:FR:CECHR:2023:472495.20230629
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH, avocats


Lecture du jeudi 29 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 22007024 du 27 mars 2023, enregistré le 28 mars suivant au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Nantes, avant de statuer sur la demande de Mme J... P..., de M. D... C... et de Mme E... C... tendant à l'annulation de la décision du 13 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre les décisions du 4 mai 2021 des autorités consulaires françaises en Angola refusant de délivrer à M. C..., à Mme C... et à l'enfant Q... C... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Le droit de l'Union tel qu'interprété par l'arrêt C-279/20 de la Cour de justice de l'Union européenne impose-t-il d'apprécier l'âge des enfants sollicitant le bénéfice de la réunification familiale sur le fondement des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la date de la demande d'asile du réunifiant '

2°) Le droit français, qui n'impose aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire aucun délai après l'obtention de ladite protection pour introduire leur demande de réunification familiale, est-il compatible avec la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003, telle qu'interprétée par cet arrêt, ou faut-il appliquer, dans tous les cas ou à tout le moins dans le cas de l'arrêt C-279/20, un délai pour introduire une demande de réunification familiale à compter de la décision reconnaissant la qualité de réfugié ou accordant le bénéfice de la protection subsidiaire '

3°) En cas de réponse négative ou partiellement négative à la première question, l'articulation des articles L. 561-2 et R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impose-t-elle, pour apprécier l'âge de l'enfant, de se placer à la date de dépôt de la demande de visa auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire, ou bien à la date à laquelle le réunifiant sollicite, par exemple par l'envoi d'un courrier à l'administration, le bénéfice de la réunification familiale '

4°) Enfin, lorsqu'une première demande de visa présentée par un enfant d'une personne réfugiée ou bénéficiant de la protection subsidiaire donne lieu à une décision de refus devenue définitive et qu'une nouvelle demande de visa est déposée ultérieurement pour ce même enfant, convient-il de se placer, pour apprécier son âge, à la date de cette seconde demande de visa, à celle de la première demande de visa ou à la date de la demande de réunification familiale par le réunifiant évoquée à la question précédente '



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive (CE) 2003/86 du Conseil du 22 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne des 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (C 133/19, C 136/19 et C 137/19), et 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C279/20) ;
- le code de justice administrative, notamment son article L.113-1 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka - Prigent - Drusch, avocat de Mme P... ;




REND L'AVIS SUIVANT :

Sur les exigences qui découlent du droit de l'Union européenne :

1. Selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.

2. Dans son arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (C 133/19, C 136/19 et C 137/19), la Cour de justice de l'Union européenne a relevé que, pour la mise en oeuvre du droit au regroupement familial à l'égard des enfants du réfugié, s'il est laissé à la discrétion des États membres le soin de déterminer l'âge de la majorité légale, aucune marge de manoeuvre ne saurait en revanche leur être accordée quant à la fixation du moment auquel il convient de se référer pour apprécier cet âge. Elle a également précisé que cette fixation doit permettre d'assurer que l'intérêt de l'enfant demeure, en toutes circonstances, une considération primordiale pour les États membres et de garantir, conformément aux principes d'égalité de traitement et de sécurité juridique, un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation sans faire dépendre le succès de la demande de regroupement familial principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales, en particulier de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande est traitée ou il est statué sur un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande, et non pas de circonstances imputables au demandeur. En conséquence, elle a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande.

3. En outre, par un arrêt du 1er aout 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C279/20), la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la juridiction de renvoi d'une question trouvant son origine " dans les circonstances particulières de l'affaire au principal ", dans laquelle l'enfant concerné par la demande de regroupement familial était mineur lorsque son père avait présenté sa demande d'asile mais était devenu majeur avant que celui-ci ait obtenu le statut de réfugié et alors que la demande d'asile avait été initialement rejetée par les autorités compétentes, a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant d'un regroupant ayant obtenu le statut de réfugié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, dans une situation où cet enfant est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent regroupant et avant l'introduction de la demande de regroupement familial, est celle à laquelle le parent regroupant a présenté sa demande d'asile en vue d'obtenir le statut de réfugié. Elle a également dit pour droit que ce principe s'appliquait à condition qu'une demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant la reconnaissance du statut de réfugié au parent regroupant.

4. Il résulte ainsi du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 2003/86/CE, tel qu'interprété par les arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne des 16 juillet 2020 et 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales. Tel est le cas lorsque l'enfant, mineur au moment de la demande d'asile, est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent demandant le bénéfice du droit au regroupement familial. Dans cette situation, l'âge de l'enfant doit être apprécié à la date de la demande d'asile, sous réserve que la demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection et peu important que l'Etat membre concerné ait fait usage ou non de la faculté ouverte par l'article 12 de la même directive de fixer un délai pour introduire une demande de regroupement familial dont le non-respect permet d'opposer les conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du droit au regroupement familial de droit commun des étrangers.

Sur les dispositions nationales :

5. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais (...) ". Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ".

6. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande.

7. Eu égard à ce qui a été dit au point 4, les dispositions précitées ne peuvent toutefois recevoir application dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Dans cette hypothèse, sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection, l'âge doit être apprécié à la date de la demande d'asile.


8. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Nantes, à Mme J... P..., à M. D... C..., à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Il sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 4 juillet 2023.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard






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