Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 465343, lecture du 4 octobre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:465343.20231004

Décision n° 465343
4 octobre 2023
Conseil d'État

N° 465343
ECLI:FR:CECHR:2023:465343.20231004
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du mercredi 4 octobre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 28 juin 2022, 16 février et 5 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des maires de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'article 191 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets prévoit que " Afin d'atteindre l'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l'artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d'espace observée à l'échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date. / Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi. " Dans le cadre de l'objectif de réduction de l'artificialisation des sols, qui doit permettre d'atteindre cet objectif de " zéro artificialisation nette " en 2050, la loi prévoit désormais, notamment, que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui constituent des documents de planification régionale, doivent intégrer des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols, avec, en particulier, un objectif de réduction de cette artificialisation des sols par tranche de dix années. Le décret du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, dont l'association des maires de France demande l'annulation pour excès de pouvoir, précise les conditions d'application de ces dispositions législatives s'agissant des SRADDET.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la copie de la minute de la section des travaux publics du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été versée au dossier par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que le décret attaqué comporte, pour partie, des dispositions reprenant le texte adopté par le Conseil d'Etat et d'autres, qui ne forment pas avec ces dernières un tout indissociable, qui figuraient dans le projet initial du Gouvernement, sans qu'il en résulte une modification de l'économie générale du texte. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, tel que modifié par la loi du 22 août 2021 : " La région, à l'exception de la région d'Ile-de-France, des régions d'outre-mer et des collectivités territoriales à statut particulier exerçant les compétences d'une région, élabore un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. / Ce schéma fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière d'équilibre et d'égalité des territoires, d'implantation des différentes infrastructures d'intérêt régional, de désenclavement des territoires ruraux, d'habitat, de gestion économe de l'espace, de lutte contre l'artificialisation des sols, d'intermodalité et de développement des transports de personnes et de marchandises, de maîtrise et de valorisation de l'énergie, de lutte contre le changement climatique, de développement de l'exploitation des énergies renouvelables et de récupération, de pollution de l'air, de protection et de restauration de la biodiversité, de prévention et de gestion des déchets. Sont inclus des objectifs relatifs aux installations de production de biogaz. En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, les objectifs fixés sont traduits par une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranches de dix années, par un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation. Cet objectif est décliné entre les différentes parties du territoire régional. / (...) Une carte synthétique indicative illustre les objectifs du schéma. / (...) Des règles générales sont énoncées par la région pour contribuer à atteindre les objectifs mentionnés au présent article, sans méconnaître les compétences de l'Etat et des autres collectivités territoriales. / Ces règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional (...) / Elles sont regroupées dans un fascicule du schéma régional qui comprend des chapitres thématiques. Le fascicule indique les modalités de suivi de l'application des règles générales et de l'évaluation de leurs incidences ". Aux termes de l'article R. 4251-1 du code général des collectivités territoriales : " Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires est composé : / - d'un rapport consacré aux objectifs du schéma illustrés par une carte synthétique ; / - d'un fascicule regroupant les règles générales organisé en chapitres thématiques ; / - de documents annexes ". Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prévus à l'article L. 141-1 sont compatibles avec : / (...) 2° Les règles générales du fascicule des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables ". Aux termes de l'article L. 131-2 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prennent en compte : / 1° Les objectifs des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales (...) ". Aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " En l'absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme, les documents en tenant lieu et les cartes communales sont compatibles avec les dispositions mentionnées au 1° et avec les documents énumérés aux 2° à 16° de l'article L. 131-1. / Ils prennent en compte les documents mentionnés à l'article L. 131-2 ".

4. L'article 5 du décret attaqué insère dans le code général des collectivités territoriales un nouvel article R. 4251-8-1, aux termes duquel : " En matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, des règles territorialisées permettent d'assurer la déclinaison des objectifs entre les différentes parties du territoire régional identifiées par la région, le cas échéant à l'échelle du périmètre d'un ou de plusieurs schémas de cohérence territoriale. Est déterminée pour chacune d'elles une cible d'artificialisation nette des sols au moins par tranches de dix années. / Le fascicule peut comporter une liste des projets d'aménagements, d'infrastructures et d'équipements publics ou d'activités économiques qui sont d'intérêt général majeur et d'envergure nationale ou régionale, pour lesquels la consommation ou l'artificialisation des sols induite est prise en compte dans le plafond déterminé au niveau régional sans être déclinée entre les différentes parties du territoire régional. / Il précise les moyens d'observation et de suivi permettant d'évaluer l'atteinte des objectifs et le respect des règles en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols ".

5. Il résulte des termes de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales cité au point 3, qu'il revient au SRADDET d'identifier des objectifs, lesquels sont déclinés dans des règles générales, regroupées dans le fascicule du schéma. Si la requérante invoque les travaux parlementaires de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, il résulte des termes mêmes de la loi qu'en confiant au SRADDET le soin de fixer des objectifs de maîtrise de l'artificialisation des sols, et notamment une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols, le législateur a permis que cet objectif soit décliné dans les règles du fascicule, autorisant en conséquence le pouvoir réglementaire à prévoir que l'objectif ainsi fixé se traduise par des règles s'imposant aux documents locaux d'urbanisme par un rapport de compatibilité en application des articles L. 131-1 et L. 131-6 du code de l'urbanisme. Par suite, en prévoyant que le fascicule du SRADDET comporte des règles territorialisées permettant d'assurer la déclinaison des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols entre les différentes parties du territoire régional avec une cible d'artificialisation nette des sols au moins par tranches de dix années, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les termes de la loi.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'urbanisme relatif au projet d'aménagement stratégique du schéma de cohérence territoriale : " (...) Le projet d'aménagement stratégique fixe en outre, par tranches de dix années, un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation ". Aux termes de l'article L. 141-8 du même code, relatif au document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale : " Pour la réalisation des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols mentionnés à l'article L. 141-3, le document d'orientation et d'objectifs peut décliner ces objectifs par secteur géographique, en tenant compte : (...) / 6° Des projets d'envergure nationale ou régionale dont l'impact en matière d'artificialisation peut ne pas être pris en compte pour l'évaluation de l'atteinte des objectifs mentionnés au second alinéa du même article L. 141-3, mais est pris en compte pour l'évaluation de l'atteinte des objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales ".

7. Si l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, cité au point 4, se réfère à une liste des projets d'aménagements, d'infrastructures et d'équipements publics ou d'activités économiques " qui sont d'intérêt général majeur et d'envergure nationale ou régionale ", pour lesquels, comme le prévoit l'article L. 141-8 du code de l'urbanisme, la consommation ou l'artificialisation des sols induite est prise en compte dans le plafond déterminé au niveau régional sans être déclinée entre les différentes parties du territoire régional, les précisions ainsi apportées par voie réglementaire aux projets concernés, qui sont les " projets d'aménagements, d'infrastructures et d'équipements publics ou d'activités économiques ", ne contredisent pas la loi et sont suffisantes pour en permettre l'application. Le moyen tiré de ce que, faute de préciser ce que sont les projets d'envergure régionale, le décret méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et le principe d'égalité doit donc être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 194 de la loi du 22 août 2021 : " 4° Afin de tenir compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale existant sur leur territoire et de la réduction du rythme d'artificialisation des sols déjà réalisée, l'autorité compétente associe les établissements publics mentionnés à l'article L. 143-16 du code de l'urbanisme à la fixation et à la déclinaison des objectifs mentionnés au 1° du I du présent article dans le cadre de la procédure d'évolution du document prévue au IV. Les modalités de cette association sont définies au V ".

9. Le décret attaqué insère dans le code général des collectivités territoriales un article R. 4251-3 aux termes duquel : " Les objectifs en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols sont définis et sont territorialement déclinés en considérant : / 1° Les enjeux de préservation, de valorisation, de remise en bon état et de restauration des espaces naturels, agricoles et forestiers ainsi que des continuités écologiques ; / 2° Le potentiel foncier mobilisable dans les espaces déjà artificialisés, en particulier par l'optimisation de la densité, le renouvellement urbain et la réhabilitation des friches ; / 3° L'équilibre du territoire, en tenant compte des pôles urbains, du maillage des infrastructures et des enjeux de désenclavement rural ; / 4° Les dynamiques démographiques et économiques prévisibles au vu notamment des données disponibles et des besoins identifiés sur les territoires ".

10. Si l'association requérante conteste la liste ainsi dressée, au motif qu'elle ne mentionnerait pas les efforts déjà réalisés au titre des critères à prendre en compte, il résulte des termes de l'article 194 de la loi du 22 août 2021, cité au point 8, que ces efforts pourront être pris en compte lors de l'élaboration du document, notamment par le biais de l'association des établissements publics chargés de l'élaboration des schémas de cohérence territoriale à la fixation et à la déclinaison des objectifs du SRADDET en matière de maîtrise de l'artificialisation. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association des maires de France n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. Ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.


D E C I D E :
--------------

Article 1er : : La requête de l'association des maires de France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association des maires de France, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 4 octobre 2023.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz


La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse



Voir aussi