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Ariane Web: Conseil d'État 465852, lecture du 13 novembre 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:465852.20231113

Décision n° 465852
13 novembre 2023
Conseil d'État

N° 465852
ECLI:FR:CECHR:2023:465852.20231113
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Alexandre Lapierre , rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du lundi 13 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Carmejane LLC a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1702001 du 4 octobre 2019, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la décharge de la pénalité prévue par l'article 1732 du code général des impôts et a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 19MA05309 du 17 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Carmejane LLC contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juillet 2022, 19 septembre 2022 et 21 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Carmejane LLC demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Carmejane LLC ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Carmejane LLC, " limited liability company " de droit américain dont le siège est situé dans l'Etat de Californie (Etats-Unis), a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012, établies par voie d'évaluation d'office en application des dispositions de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales et assorties des pénalités prévues par l'article 1732 du code général des impôts en cas d'opposition à contrôle fiscal, procédant de sa soumission à cet impôt à raison du montant des loyers qu'elle avait, selon l'administration, renoncé à percevoir des parents de l'un de ses associés, M. A.... Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Nîmes en tant que celui-ci, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions relatives aux pénalités, dégrevées par l'administration en cours d'instance, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

2. Aux termes du 1 de l'article 206 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ". Ces dispositions prévoient l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, au-delà des sociétés qu'elles désignent expressément, de toutes les personnes morales qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.

3. Il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier dans un premier temps, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

4. Après avoir estimé, par des motifs non contestés en cassation, que la société Carmejane LLC ne pouvait, au regard de l'ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, être assimilée à l'un des types de sociétés de droit français passibles de l'impôt sur les sociétés, la cour a recherché si elle se livrait à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. Elle a, à cet égard, relevé que cette société était propriétaire, à Ménerbes (Vaucluse), d'une part, d'un ensemble immobilier situé rue de l'Eglise, d'autre part, d'une maison située rue Sainte Barbe, et que ces biens immobiliers étaient mis à la disposition gratuite des parents de son associé, M. A.... Elle a également relevé que les parents de ce dernier occupaient l'ensemble immobilier situé rue de l'Eglise à titre de résidence principale et avaient attribué, comme logement de fonction au titre d'un avantage en nature, la maison située rue Sainte Barbe à leur employé et sa compagne, qui n'étaient ni associés ni en lien de parenté avec les associés. Pour juger que, dans ces conditions, la société Carmejane LLC était passible de l'impôt sur les sociétés en France, la cour s'est fondée sur ce que, compte tenu de son objet social, qui inclut notamment l'achat, la location et la revente de biens immobiliers, la mise à disposition à titre gracieux de tels biens au profit des parents de son dirigeant ainsi que de tiers, devait être regardée comme une opération de caractère lucratif au sens et pour l'application du 1 de l'article 206 du code général des impôts. En statuant ainsi, alors que la mise à disposition à titre gratuit par une société de biens immobiliers aux parents de son associé à titre de résidence principale ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces derniers mettent à leur tour à la disposition de leur salarié chargé d'entretenir la propriété et d'assurer son gardiennage, à titre d'avantage en nature, une partie des biens en cause, la cour a donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la société Carmejane LLC est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Carmejane LLC au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 17 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à la société Carmejane LLC la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Carmejane LLC et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 octobre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, président de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, M. Vincent Mahé, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 13 novembre 2023.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lapierre
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle


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