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Ariane Web: Conseil d'État 489107, lecture du 13 novembre 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:489107.20231113

Décision n° 489107
13 novembre 2023
Conseil d'État

N° 489107
ECLI:FR:CEORD:2023:489107.20231113
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Jean-Yves Ollier, président
M. J-Y Ollier, rapporteur


Lecture du lundi 13 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 octobre et 5 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association française d'étude et de protection des poissons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté ministériel du 19 octobre 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres en domaine maritime en Atlantique.



Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que, d'une part, elle a intérêt à agir contre l'arrêté du 19 octobre 2023 et, d'autre part, elle a déposé un recours pour excès de pouvoir contre ce même arrêté ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'ouverture de la pêche de la civelle est imminente, et qu'elle est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate à la conservation de cette espèce, en danger critique d'extinction ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que la procédure de participation du public n'a duré que 20 jours au lieu de 21 jours, en méconnaissance de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'avis du Conseil international pour l'exploration de la mer du 3 novembre 2022, selon lequel aucune capture d'anguille ne devrait être autorisée ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) 2023/194 du 30 janvier 2023 en ce qu'il autorise la pêche de l'anguille d'Europe de moins de douze centimètres entre le 1er et le 15 avril 2024 dans les unités de gestion de l'anguille (UGA) Artois-Picardie et Seine-Normandie, à partir du 1er novembre 2023 dans l'UGA Bretagne, à partir du 1er décembre 2023 dans l'UGA Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise et l'UGA Garonne-Dordogne-Charente-Gironde, et entre le 1er novembre et le 31 décembre dans l'UGA Adour - cours d'eau côtiers.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2023, la Première ministre conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (UE) 2023/194 du 30 janvier 2023 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association française d'étude et de protection des poissons et, d'autre part, la Première ministre, et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 novembre 2023, à 10 heures 30 :

- les représentants de la Première ministre ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

Sur le cadre juridique du litige :

2. Les articles R. 922-47 du code rural et de la pêche maritime et R. 436-65-2 du code de l'environnement interdisent la pêche de l'anguille en dehors des unités de gestion de l'anguille (UGA). Le régime applicable à cette pêche est défini en fonction des stades de développement de l'anguille : anguille de moins de 12 centimètres (civelle), anguille jaune, et anguille argentée.

3. Les articles R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime et R. 436-65-3 du code de l'environnement permettent d'autoriser les pêcheurs professionnels à pêcher l'anguille de moins de 12 centimètres, d'une part, sur la façade atlantique, en Manche et en mer du Nord et, d'autre part, dans les cours d'eau, leurs affluents et sous-affluents, dans les canaux dont l'embouchure y est située, ainsi que dans les lagunes et les étangs salés qui disposent d'un accès à ces mers et à cet océan, pendant une période de cinq mois consécutifs au plus, fixée respectivement par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine et par arrêté conjoint du ministre chargé de la pêche en eau douce et du ministre chargé de la pêche maritime.
4. La pêche de l'anguille a fait l'objet d'une fermeture de trois mois consécutifs en application des règlements annuels sur les possibilités de pêche pour les eaux de l'Union européenne de la zone CIEM depuis 2018 et pour la Méditerranée depuis 2019. Le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de pêche de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union, et établissant, pour 2023 et 2024 de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d'eau profonde, a porté cette durée à six mois. Aux termes du paragraphe 2 de son article 13 : " Il est interdit d'exercer des activités de pêche commerciales de l'anguille d'Europe (Anguilla anguilla), en tant qu'espèce cible ou en tant que prise accessoire, à tous les stades de développement, pendant une période d'au moins six mois. À cet effet, chaque État membre concerné détermine une ou plusieurs périodes de fermeture sous réserve de ce qui suit : (...) / d) la ou les périodes de fermeture sont cohérentes avec les objectifs de conservation fixés par le règlement (CE) no 1100/2007, les plans nationaux de gestion existants et les schémas de migration temporelle de l'anguille d'Europe au stade de développement respectif dans l'État membre concerné. ". Le paragraphe 4 du même article dispose que : " Dans les sous-zones CIEM 3, 4, 6, 7, 8 et 9, les périodes de fermeture sont les suivantes: (...) b) pour l'anguille d'Europe d'une longueur totale inférieure à 12 cm : / i) du 1er janvier au 31 mars 2024, et une période de fermeture supplémentaire de trois mois devant être déterminée par chaque État membre entre le 1er mars et le 31 décembre 2023 ; / ii) par dérogation au point i), chaque État membre concerné peut autoriser la pêche pendant un mois au cours de la période de fermeture qu'il a déterminée en vertu dudit point. Dans ce cas, l'État membre concerné détermine une période de fermeture supplémentaire d'un mois ; / iii) par dérogation supplémentaire au point i), chaque État membre concerné peut autoriser la pêche exclusivement destinée au repeuplement pendant un mois supplémentaire au cours de la période de fermeture qu'il a déterminée en vertu dudit point. Dans ce cas, l'État membre concerné détermine une nouvelle période de fermeture supplémentaire d'un mois ; / iv) l'application des points i) à iii), ne peut pas conduire à une situation dans laquelle l'État membre concerné autorise la pêche, entre le 1er janvier et le 31 mars 2023, pour une période supérieure à un mois plus un mois supplémentaire exclusivement pour le repeuplement ".
Sur le litige :

5. Par un arrêté du 28 octobre 2013, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ont fixé les dates de pêche de l'anguille européenne de moins de 12 centimètres. Le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer a, par un premier arrêté du 9 mars 2023, abrogé cet arrêté en tant qu'il s'applique à la zone maritime et, par un second arrêté du même jour fixé de nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne aux stades d'anguille de moins de 12 centimètres. Par une ordonnance n° 472401 du 7 avril 2023, le juge des référés du Conseil d'Etat a suspendu à compter du 26 mai 2023 l'exécution de ce dernier arrêté pêche en tant qu'il concerne la pêche de l'anguille à ce stade de développement dans les UGA Artois-Picardie, Seine-Normandie, Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise et Garonne-Dordogne-Charente-Gironde. Par un arrêté du 18 octobre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer ont fixé de nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne aux stades d'anguille de moins de 12 centimètres en aval de la limite de salure des eaux dans les UGA de la façade atlantique. L'Association française d'étude et de protection des poissons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des dispositions de cet arrêté.

6. Si l'arrêté contesté autorise la pêche de l'anguille européenne de moins de 12 centimètres dans chacune des UGA de la façade atlantique pendant deux mois, dans la période du 1er janvier et le 31 mars 2024, qui correspond en principe à une période de fermeture application des dispositions du i) du b) du 4 de l'article 13 du règlement (UE) n° 2023/194, il prévoit que les captures effectuées pendant l'un de ces deux mois sont exclusivement destinées au repeuplement. En outre, il résulte de l'instruction que la pêche est fermée pendant une période complémentaire d'au moins cinq mois entre le 1er mars et le 31 décembre 2023. Enfin, si le paragraphe 2 de l'article 13 précise que les périodes de fermeture sont cohérentes avec les schémas de migration des anguilles au stade de développement concerné, la seule circonstance que la pêche des civelles soit autorisée dans une UGA pendant une partie de leur période de migration ne suffit pas à établir que cette autorisation méconnaît les dispositions de cet article. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement (UE) n° 2023/194 n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté.

7. Les autres moyens de la requête, tirés de ce que l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure dès lors que la procédure de participation du public n'a duré que 20 jours au lieu de 21 jours, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, et d'une erreur d'appréciation au regard de l'avis du conseil international pour l'exploration de la mer du 3 novembre 2022, selon lequel aucune capture d'anguille ne devrait être autorisée ne sont pas davantage, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de ses dispositions.
8. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête de l'Association française d'étude et de protection des poissons doit être rejetée.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'Association française d'étude et de protection des poissons est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association française d'étude et de protection des poissons, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Fait à Paris, le 13 novembre 2023
Signé : Jean-Yves Ollier