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Ariane Web: Conseil d'État 490960, lecture du 26 janvier 2024, ECLI:FR:CEORD:2024:490960.20240126

Décision n° 490960
26 janvier 2024
Conseil d'État

N° 490960
ECLI:FR:CEORD:2024:490960.20240126
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 26 janvier 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution, d'une part, de la décision du 8 novembre 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a inscrit sur la liste des personnalités politiques et a demandé aux éditeurs des services de radio et de télévision de décompter ses interventions au titre de l'appartenance " Divers droite ", ainsi que, d'autre part, de la décision notifiée le 27 décembre 2023 par laquelle le président de l'Arcom a confirmé son inscription sur cette liste ;

2°) d'enjoindre à l'Arcom de retirer son nom de cette liste dans un délai de dix jours, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que ces décisions ont pour effet immédiat de l'empêcher d'exercer son activité de consultant sur les plateaux de télévision et, par suite, de percevoir des rémunérations à ce titre, alors que ce sont les seuls revenus dont il dispose depuis sa mise en disponibilité de la fonction publique et qu'il en a besoin pour subvenir aux besoins de sa famille, sur le point de s'agrandir avec la naissance prochaine d'un nouvel enfant ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- la décision du président de l'Arcom est entachée d'incompétence et d'irrégularités en ce qu'elle n'est pas datée, ne comporte aucun visa et n'est pas non plus suffisamment motivée en droit ;
- les décisions contestées sont entachées d'une erreur d'appréciation en ce qu'elles le qualifient de " personnalité politique ", alors qu'il ne soutient plus aucun parti politique et qu'il intervient de façon apolitique dans les médias comme consultant, en qualité de président d'un cercle de réflexion ;
- les décisions contestées portent une atteinte excessive à sa liberté d'expression, à sa liberté de travailler et à sa liberté d'entreprendre, garanties par la Constitution et par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 6 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (...) par le respect (...) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique selon les conditions de périodicité et de format que l'autorité détermine. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique communique chaque mois aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. Ce relevé est également publié dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ".

3. M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution, d'une part, de la décision du 8 novembre 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé aux éditeurs des services de radio et de télévision de le regarder comme une personnalité politique et de décompter ses interventions au titre de l'appartenance " Divers droite " et, d'autre part, de la décision du président de l'Arcom confirmant son inscription sur la liste des personnalités politiques, qui lui a été notifiée le 27 décembre 2023.

4. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.

5. Pour justifier l'urgence qui s'attache, selon lui, à la suspension des décisions relatives à son inscription sur la liste des personnalités politiques, prises pour l'application des dispositions citées au point 2, M. B... fait valoir que ces décisions ont conduit le groupe Canal Plus à mettre fin à son activité de consultant et, par suite, ont eu pour effet de le priver des revenus qu'il tirait de ses interventions sur les plateaux de télévision, alors que ces revenus sont les seuls dont il dispose depuis sa mise en disponibilité de la fonction publique et qu'il en a besoin pour subvenir aux besoins de sa famille, sur le point de s'agrandir avec la naissance prochaine d'un nouvel enfant. Toutefois, en l'absence d'aucun élément sur sa situation financière personnelle et alors qu'il lui est loisible de solliciter à tout moment sa réintégration dans la fonction publique, son maintien en position de disponibilité lui ayant été accordé, à sa demande, pour convenances personnelles, l'existence d'une perte de revenus ne saurait, à elle seule, suffire à caractériser une situation d'urgence.

6. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas satisfaite. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées, la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....
Copie en sera adressée à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Fait à Paris, le 26 janvier 2024
Signé : Suzanne von Coester