Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 493680, lecture du 1 juillet 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:493680.20250701

Décision n° 493680
1 juillet 2025
Conseil d'État

N° 493680
ECLI:FR:CECHR:2025:493680.20250701
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Alexandre Lapierre , rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du mardi 1 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société de droit polonais Apl Uniapol Development SP. ZO. O a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2010, 2011 et 2012, des cotisations supplémentaires de participation des employeurs à la formation professionnelle continue auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2005 à 2009, 2011 et 2012 et des cotisations supplémentaires de taxe d'apprentissage et de participation des employeurs à l'effort de construction auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2009, 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, de lui accorder le bénéfice du sursis de paiement prévu par l'article L. 277 du livre des procédures fiscales. Par un jugement n° 1908435 du 29 juin 2021, ce tribunal, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis de paiement, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 21NC02477 du 21 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril 2024, 15 juillet 2024 et 28 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la mise en demeure, le 20 novembre 2012, d'une procédure de visite et de saisie, autorisée par l'autorité judiciaire sur le fondement des articles L. 16 B et L. 16 B-1 du livre des procédures fiscales, au sein des locaux de la société par actions simplifiée Global Distribution ainsi qu'au domicile de M. A... B..., l'administration fiscale a estimé que la société de droit polonais Apl Uniapol Development SP. ZO. O exerçait en France une activité occulte de prestations de placement de main d'oeuvre et de travail temporaire la rendant passible des impôts commerciaux. Elle a en conséquence engagé une vérification de comptabilité de cette société au titre de la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2012. Par une proposition de rectification du 2 septembre 2015, l'administration fiscale a informé la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O de son intention de la taxer d'office, selon la procédure prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en cas d'opposition à contrôle fiscal, aux taxes assises sur les salaires, à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés et de l'assujettir à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ainsi que de lui infliger la pénalité prévue par les dispositions de l'article 1732 du code général des impôts. La société Apl Uniapol Development SP. ZO. O se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 29 juin 2021 du tribunal administratif de Strasbourg ayant rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires en matière de taxe sur la valeur ajoutée, de taxes assises sur les salaires et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, assorties de pénalités, auxquelles elle a été assujettie par suite de ces rectifications.

2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration. " Le paragraphe 6 du chapitre Ier de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dans sa version remise au contribuable, prévoit que : " En cas de difficultés, vous pouvez vous adresser à l'inspecteur divisionnaire ou principal et ensuite à l'interlocuteur désigné par le directeur. Leur rôle vous est précisé plus loin (...). Vous pouvez les contacter pendant la vérification. " Pour sa part, le paragraphe 4 du chapitre III de cette charte indique que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur (voir p. 4). "

3. La possibilité pour un contribuable de s'adresser, dans les conditions édictées par les passages précédemment cités de la charte, au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional constitue une garantie substantielle ouverte à l'intéressé à deux moments distincts de la procédure d'imposition, en premier lieu, au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification, pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, et, en second lieu, après la réponse faite par l'administration fiscale aux observations du contribuable sur cette proposition, pour ce qui a trait au bien-fondé des rectifications envisagées.

4. En ce qui concerne la possibilité pour un contribuable de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, à un second interlocuteur en cas de difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, la garantie est offerte à tous les contribuables, quelle que soit la procédure d'imposition qui sera ultérieurement mise en oeuvre à leur encontre. Pour les contribuables relevant de la procédure de rectification contradictoire, cette garantie peut être mise en oeuvre jusqu'à l'envoi de la proposition de rectification. Pour les contribuables relevant d'une procédure d'imposition d'office, cette garantie peut être mise en oeuvre jusqu'à l'envoi des bases d'imposition d'office, ou, lorsqu'il n'a pas été procédé à cet envoi en application du dernier alinéa de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, jusqu'à la date de mise en recouvrement. Lorsque l'administration fiscale, sans y être tenue, adresse néanmoins au contribuable faisant l'objet d'une procédure de taxation d'office pour opposition à contrôle fiscal en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, un document l'informant des bases évaluées d'office, elle doit, saisie régulièrement avant l'envoi de ce document d'une demande tendant au bénéfice de cette garantie faisant état de difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, y donner suite avant cet envoi, qui marque l'achèvement des opérations de contrôle.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours de la vérification de comptabilité de la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O engagée par un avis du 27 mai 2013, et après que le vérificateur avait dressé, le 15 juin 2015, un procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal au motif que le comportement de la société, notamment le défaut de production de sa comptabilité, rendait, selon lui, le contrôle impossible, le conseil de cette société a, par une lettre du 19 juin 2015, demandé au supérieur hiérarchique du vérificateur de le rencontrer afin " d'évoquer les difficultés propres à ce contrôle " et de " trouver un mode opératoire permettant de répondre à (ses) demandes ". Par un courrier du 23 juin 2015, le supérieur hiérarchique du vérificateur a refusé de faire droit à cette demande, au motif que cette garantie ne s'appliquait que dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, après confirmation des rehaussements dans la réponse aux observations du contribuable. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a notifié à la société, par un document du 2 septembre 2015 intitulé " proposition de rectification suite à opposition à contrôle fiscal ", les bases d'imposition qu'elle a évaluées d'office en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. La société a exercé un recours hiérarchique à la suite de la réponse de l'administration, datée du 9 mai 2016, à ses observations, et le représentant de la société et son conseil ont été reçus à leur demande, le 28 septembre 2016, par le supérieur hiérarchique du vérificateur.

6. Pour écarter le moyen tiré de ce que la société avait été privée, du fait du refus opposé à sa demande du 19 juin 2015, de la garantie prévue par le paragraphe 6 du chapitre Ier de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, la cour s'est fondée sur ce qu'un entretien avec le supérieur hiérarchique avait eu lieu le 28 septembre 2016 en réponse à la demande formée par la société après la réponse faite par l'administration à ses observations sur la proposition de rectification, et sur ce que cet entretien s'était tenu avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses. Elle a regardé comme sans incidence à cet égard, d'une part, la circonstance que le supérieur hiérarchique avait initialement refusé de faire droit à la demande d'entretien du 19 juin 2015 et, d'autre part, la circonstance que l'administration avait notifié à la société, le 2 septembre 2015, les bases d'imposition qu'elle avait évaluées d'office selon la procédure prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, cette notification n'étant, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 76 du même livre, pas obligatoire dans le cadre de la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la possibilité pour le contribuable de bénéficier d'un entretien avec le supérieur hiérarchique au cours des opérations de contrôle, avant la notification des bases d'imposition évaluées d'office, constitue une garantie substantielle, sans qu'ait incidence à cet égard la circonstance que l'administration n'était pas tenue de procéder à une telle notification, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 21 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'Etat versera à la société Apl Uniapol Development SP. ZO. O une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société de droit polonais Apl Uniapol Development SP. ZO. O et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 mai 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 1er juillet 2025.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lapierre
La secrétaire :
Signé : Mme Catherine Xavier