Conseil d'État
N° 492885
ECLI:FR:CECHR:2025:492885.20250725
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Benoît Chatard, rapporteur
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 25 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
La société Free a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision qui lui ont été réclamés au titre des années 2015 et 2016 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 2006979 du 21 juin 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA03260 du 24 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Free contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 mars et 25 juin 2024 et le 4 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Free demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Free et à la SCP Foussard, Froger, avocat du Centre national du cinéma et de l'image animée ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2025, présentée par le Centre national du cinéma et de l'image animée.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours des années 2015 et 2016, la société Free commercialisait quatre offres dites " composites " qui comprenaient, outre un accès internet à haut ou très haut débit, des services de téléphonie et des services audiovisuels. Dans le cadre de la commercialisation de deux de ces offres, dénommées " Alicebox Initial " et " Freebox Revolution ", la société facturait à ses clients, en supplément de l'abonnement mensuel, un service de " mise à disposition de la boucle locale dédiée " à hauteur respectivement de 9,99 euros et 5,99 euros par mois. La société Free a fait l'objet d'un contrôle relatif à la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision au titre des années 2014 à 2016. Estimant que la société avait soustrait à tort de l'assiette de la taxe une partie de son chiffre d'affaires, correspondant aux sommes perçues au titre de la " mise à disposition de la boucle locale dédiée ", le Centre national du cinéma et de l'image animée lui a notifié des rappels de taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision pour les années 2015 et 2016 assortis de pénalités. Par un arrêt du 24 janvier 2024, contre lequel la société Free se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 21 juin 2022, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution des sommes en litige.
2. Aux termes du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Est considéré comme service de télévision tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite ordonnée d'émissions comportant des images et des sons. " Aux termes de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est institué une taxe due par tout éditeur de services de télévision, au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui est établi en France et qui a programmé, au cours de l'année civile précédente, une ou plusieurs oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, ainsi que par tout distributeur de services de télévision au sens de l'article 2-1 de la même loi établi en France. / (...) / Est également regardée comme distributeur de services de télévision toute personne proposant un accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. " Aux termes de l'article L. 115-7 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée : / (...) / 2° Pour les distributeurs de services de télévision : a) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 10 % ; / b) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération de services souscrits dans le cadre d'offres destinées au grand public, composites ou de toute autre nature, donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 66 %. "
3. Il résulte de ces dispositions que l'assiette de la taxe sur les distributeurs de services de télévision comprend, d'une part, au titre du a du 2° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, les prix payés par les utilisateurs pour toute opération qui comprend, à titre non accessoire, un service de télévision, et d'autre part, au titre du b du 2° du même article, les autres prix payés par les utilisateurs pour les offres destinées au grand public et qui donnent accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie lorsque la souscription à ces services permet également de recevoir des services de télévision. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que les sommes entrant dans l'assiette de la taxe au titre du a sont soumises à un abattement de 10 %, tandis que les sommes y entrant au titre du b sont soumises à un abattement de 66 %. Enfin, ces dispositions n'ont pas pour effet d'attraire dans l'assiette de la taxe le prix des options qui peuvent être souscrites à titre facultatif en sus du contenu des offres et qui sont sans lien technique ou commercial avec l'accès à un service de télévision.
4. Il s'ensuit qu'en jugeant que les sommes acquittées pour l'option facultative de " mise à disposition de la boucle locale dédiée ", tarifée distinctement, entraient dans l'assiette de la taxe, au seul motif que cette option avait été souscrite dans le cadre d'une offre composite donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie permettant notamment de recevoir des services de télévision, sans rechercher si cette option facultative avait un lien technique ou commercial avec l'accès à un service de télévision, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Free est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Free, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée à ce titre par le Centre national du cinéma et de l'image animée. Elles font également obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie à l'instance, la somme que demande la société Free.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 24 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions formées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Free et au Centre national du cinéma et de l'image animée.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 juillet 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Jérôme Goldenberg, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 25 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 492885
ECLI:FR:CECHR:2025:492885.20250725
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Benoît Chatard, rapporteur
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du vendredi 25 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Free a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision qui lui ont été réclamés au titre des années 2015 et 2016 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 2006979 du 21 juin 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA03260 du 24 janvier 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Free contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 mars et 25 juin 2024 et le 4 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Free demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Free et à la SCP Foussard, Froger, avocat du Centre national du cinéma et de l'image animée ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2025, présentée par le Centre national du cinéma et de l'image animée.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours des années 2015 et 2016, la société Free commercialisait quatre offres dites " composites " qui comprenaient, outre un accès internet à haut ou très haut débit, des services de téléphonie et des services audiovisuels. Dans le cadre de la commercialisation de deux de ces offres, dénommées " Alicebox Initial " et " Freebox Revolution ", la société facturait à ses clients, en supplément de l'abonnement mensuel, un service de " mise à disposition de la boucle locale dédiée " à hauteur respectivement de 9,99 euros et 5,99 euros par mois. La société Free a fait l'objet d'un contrôle relatif à la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision au titre des années 2014 à 2016. Estimant que la société avait soustrait à tort de l'assiette de la taxe une partie de son chiffre d'affaires, correspondant aux sommes perçues au titre de la " mise à disposition de la boucle locale dédiée ", le Centre national du cinéma et de l'image animée lui a notifié des rappels de taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision pour les années 2015 et 2016 assortis de pénalités. Par un arrêt du 24 janvier 2024, contre lequel la société Free se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 21 juin 2022, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la restitution des sommes en litige.
2. Aux termes du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Est considéré comme service de télévision tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite ordonnée d'émissions comportant des images et des sons. " Aux termes de l'article L. 115-6 du code du cinéma et de l'image animée, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est institué une taxe due par tout éditeur de services de télévision, au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui est établi en France et qui a programmé, au cours de l'année civile précédente, une ou plusieurs oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux aides financières du Centre national du cinéma et de l'image animée, ainsi que par tout distributeur de services de télévision au sens de l'article 2-1 de la même loi établi en France. / (...) / Est également regardée comme distributeur de services de télévision toute personne proposant un accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. " Aux termes de l'article L. 115-7 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée : / (...) / 2° Pour les distributeurs de services de télévision : a) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 10 % ; / b) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération de services souscrits dans le cadre d'offres destinées au grand public, composites ou de toute autre nature, donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 66 %. "
3. Il résulte de ces dispositions que l'assiette de la taxe sur les distributeurs de services de télévision comprend, d'une part, au titre du a du 2° de l'article L. 115-7 du code du cinéma et de l'image animée, les prix payés par les utilisateurs pour toute opération qui comprend, à titre non accessoire, un service de télévision, et d'autre part, au titre du b du 2° du même article, les autres prix payés par les utilisateurs pour les offres destinées au grand public et qui donnent accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie lorsque la souscription à ces services permet également de recevoir des services de télévision. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que les sommes entrant dans l'assiette de la taxe au titre du a sont soumises à un abattement de 10 %, tandis que les sommes y entrant au titre du b sont soumises à un abattement de 66 %. Enfin, ces dispositions n'ont pas pour effet d'attraire dans l'assiette de la taxe le prix des options qui peuvent être souscrites à titre facultatif en sus du contenu des offres et qui sont sans lien technique ou commercial avec l'accès à un service de télévision.
4. Il s'ensuit qu'en jugeant que les sommes acquittées pour l'option facultative de " mise à disposition de la boucle locale dédiée ", tarifée distinctement, entraient dans l'assiette de la taxe, au seul motif que cette option avait été souscrite dans le cadre d'une offre composite donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie permettant notamment de recevoir des services de télévision, sans rechercher si cette option facultative avait un lien technique ou commercial avec l'accès à un service de télévision, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Free est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Free, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée à ce titre par le Centre national du cinéma et de l'image animée. Elles font également obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie à l'instance, la somme que demande la société Free.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 24 janvier 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions formées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Free et au Centre national du cinéma et de l'image animée.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 juillet 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Jérôme Goldenberg, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 25 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :