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Ariane Web: Conseil d'État 497769, lecture du 17 septembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:497769.20250917

Décision n° 497769
17 septembre 2025
Conseil d'État

N° 497769
ECLI:FR:CECHR:2025:497769.20250917
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Emile Blondet, rapporteur
GOLDMAN, avocats


Lecture du mercredi 17 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge de l'obligation de payer les sommes dont la direction régionale des finances publiques de Normandie et du département de la Seine-Maritime a poursuivi le recouvrement par l'émission de quatre saisies administratives à tiers détenteur en date du 6 juillet 2022 et d'ordonner la restitution des sommes prélevées en exécution de ces actes, ainsi que des frais bancaires supportés, assortie du paiement d'intérêts moratoires. Par un jugement nos 2300268, 2300297 du 29 mars 2024, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 septembre et 11 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Me Goldman, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emile Blondet, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Goldman, avocat de M. B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. C... B... s'est vu adresser, dans le cadre de la succession de Mme A... B..., une mise en demeure, en date du 10 septembre 2021, de régler des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'habitation sur les logements vacants dues par la défunte au titre respectivement des années 2018 à 2021 et 2017 à 2021. Par quatre saisies administratives émises le 6 juillet 2022, le directeur régional des finances publiques de Normandie et du département de la Seine-Maritime a entrepris d'appréhender les sommes correspondantes sur les comptes détenus par M. B... dans les livres de deux établissements de crédit. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 29 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tendant à la décharge de l'obligation de payer les sommes couvertes par ces quatre saisies administratives à tiers détenteur et d'ordonner la restitution des sommes prélevées en exécution de ces actes, ainsi que des frais bancaires supportés, assortie du paiement d'intérêts moratoires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement (...) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".

3. D'une part, si les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qui sont destinées à provoquer un débat contradictoire entre les parties sur les moyens que le juge administratif doit relever de sa propre initiative, font obligation au juge d'informer au préalable les parties lorsqu'il entend soulever d'office un moyen n'ayant pas été invoqué par les parties, ni les dispositions de cet article, ni celles de l'article R. 741-2, ni aucune règle générale de procédure n'imposent que le jugement, à peine d'irrégularité, porte mention de la communication qui a été faite aux parties.

4. Pour juger que les conclusions présentées par M. B... tendant à la décharge de l'obligation de payer les sommes visées par les quatre saisies administratives à tiers détenteur en litige étaient irrecevables car privées d'objet avant même l'introduction des recours formés devant lui, le tribunal administratif s'est fondé sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que ces saisies administratives avaient, au titre des sommes en cause, fait l'objet de mainlevées prononcées avant l'enregistrement des requêtes de M. B.... Il n'est pas contesté que le tribunal, dans le cours de l'instruction, a informé les parties que sa décision était susceptible d'être fondée sur un tel moyen. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la seule circonstance que le jugement ne porte pas mention de la communication à laquelle il a été procédé n'est pas de nature à l'entacher d'irrégularité.

5. D'autre part, si, lorsqu'une partie produit des observations sur un moyen relevé d'office, il appartient au juge administratif de les viser dans sa décision, sans être tenu de les analyser, la circonstance que les observations produites par M. B... en réponse au moyen susceptible d'être relevé d'office, enregistrées le 29 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif de Rouen, n'aient pas été visées dans la minute du jugement, n'entache pas en l'espèce d'irrégularité le jugement rendu, dès lors que le mémoire récapitulatif produit ultérieurement par M. B..., enregistré le 6 mars 2024, qui a repris le contenu de ces observations, a bien été visé.

6. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité doivent être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics compétents mentionnés à l'article L. 252 doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / Les contestations ne peuvent porter que : / 1° Soit sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° Soit sur l'existence de l'obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés, dans le premier cas, devant le juge de l'exécution, dans le second cas, devant le juge de l'impôt tel qu'il est prévu à l'article L. 199 ".

8. Aux termes de l'article 877 du code civil : " Le titre exécutoire contre le défunt l'est aussi contre l'héritier, huit jours après que la signification lui en a été faite ".

9. La contestation d'un acte de poursuite dirigé contre un héritier à raison du défaut de la signification, prévue à l'article 877 du code civil, du titre exécutoire émis à l'encontre du défunt initialement redevable porte sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite et relève par suite, en vertu des dispositions de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, de la compétence du juge judiciaire.

10. Dès lors, en retenant que les contestations présentées par M. B..., en tant qu'elles ont trait au respect des dispositions de l'article 877 du code civil, portaient sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite et étaient, par suite, formées devant une juridiction incompétente pour en connaître, le tribunal administratif de Rouen n'a pas commis d'erreur de droit.

11. En deuxième lieu, lorsque l'acte de poursuite litigieux a fait l'objet, avant même la saisine du juge, d'une mesure d'abandon sans avoir produit aucun effet, il appartient au juge de l'impôt de constater que la contestation dont il est saisi est dépourvue d'objet et que sont, par suite, irrecevables, les conclusions à fins de décharge de l'obligation de payer résultant de cet acte.

12. M. B... soutient que le tribunal administratif de Rouen aurait commis une erreur de droit en jugeant que les conclusions de sa demande dirigées contre les saisies administratives à tiers détenteurs contestées étaient privées d'objet dans la mesure où ces saisies avaient fait l'objet de mainlevées avant l'introduction de l'instance et n'avaient produit aucun effet, alors que ces saisies avaient pourtant interrompu la prescription de l'action en recouvrement. Cependant, s'il lui appartenait de prononcer, le cas échéant, la décharge de l'obligation de payer, le tribunal ne pouvait, sans méconnaître le partage de compétence entre la juridiction administrative et les tribunaux de l'ordre judiciaire, prononcer l'annulation des saisies administratives à tiers détenteur contestées et, partant, les priver de leur effet interruptif de prescription. Par suite, ce moyen est inopérant et ne peut qu'être écarté.

13. En troisième lieu, M. B... soutient que le tribunal administratif de Rouen aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu'il n'était pas contesté que la mise en demeure valant commandement de payer en date du 10 septembre 2021 portait sur l'ensemble des sommes demeurant en litige. Si, contrairement à ce qu'a relevé le tribunal administratif, il ressort du courrier du 10 janvier 2022 de la direction régionale des finances publiques de Normandie et du département de la Seine-Maritime que cette mise en demeure ne visait pas la cotisation de taxe d'habitation sur les logements vacants au titre de l'année 2018, une telle constatation était sans incidence dans la mesure où M. B... ne contestait les saisies administratives à tiers détenteurs poursuivant le recouvrement de la cotisation de taxe d'habitation sur les logements vacants au titre de l'année 2018 qu'au regard de l'absence de signification du titre exécutoire prévue à l'article 877 du code civil qui, comme il a été dit au point 6, ne relève pas de la compétence du juge administratif. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

14. En dernier lieu, c'est par une appréciation souveraine des pièces du dossier, exempte de dénaturation, et sans erreur de droit au regard des règles de dévolution de la charge de la preuve que le tribunal a jugé que M. B... ne justifiait pas avoir supporté des frais bancaires à raison des saisies administratives à tiers détenteur en cause.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

16. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par Me Goldman, avocat de M. B....


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Emile Blondet, auditeur-rapporteur.

Rendu le 17 septembre 2025.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Emile Blondet
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle



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