Conseil d'État
N° 498453
ECLI:FR:CECHR:2025:498453.20251001
Publié au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Isabelle Tison, rapporteure
FITZJEAN O COBHTHAIGH, avocats
Lecture du mercredi 1 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 octobre 2024 et 8 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association ACT - Alliance contre le tabac demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la ministre du travail, de la santé et des solidarités ont rejeté sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles afin de faire cesser la méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations et notamment de renforcer, tant quantitativement que qualitativement (méthodologie dite du " client mystère "), les mesures de contrôle des débitants de tabac et les assortir d'objectifs quantitatifs, de prévoir des sanctions plus fréquentes et dissuasives, allant jusqu'au retrait de la licence, en cas de méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients, d'assurer la publicité et la transparence des mesures de contrôle et des sanctions prononcées, en imposant notamment l'affichage, placé à la vue du public, dans les établissements des débitants de tabac sanctionnés, de la sanction dont ils ont fait l'objet, ainsi que de sensibiliser l'ensemble des acteurs de la chaîne de contrôle des débitants de tabac ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003 ;
- le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 ;
- le décret n° 2025-582 du 27 juin 2025 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 11 août 2024, l'association ACT - Alliance contre le tabac a demandé au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser la méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients. Elle demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites rejetant ses demandes et d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations.
Sur l'office du juge :
2. Lorsque le juge administratif est saisi d'une requête tendant à l'annulation du refus opposé par l'administration à une demande tendant à ce qu'elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d'une obligation légale lui incombant, il lui appartient, dans les limites de sa compétence, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre à l'administration de prendre la ou les mesures nécessaires. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.
3. Il incombe à l'administration d'accomplir ses missions dans le respect des règles de droit qui lui sont applicables. Elle doit, à cet effet, faire disparaître de l'ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et qui relèvent de sa compétence. Il lui appartient, en outre, de prendre les mesures administratives d'ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu'elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité. Lorsque le juge administratif constate, eu égard notamment à la gravité ou à la récurrence des défaillances relevées, la méconnaissance caractérisée d'une règle de droit dans l'accomplissement de ses missions par l'administration et que certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération, il lui revient, dans les limites de sa compétence et sous la réserve mentionnée au point 2, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité. Cette illégalité ne peut être regardée comme constituée que s'il apparaît au juge qu'au regard de la portée de l'obligation qui pèse sur l'administration, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l'exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l'obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en oeuvre des actions supplémentaires.
4. Lorsque l'illégalité du refus de l'administration de prendre des mesures est établie, le juge, saisi de conclusions en ce sens, lui enjoint d'y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d'assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l'instruction a révélé l'existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l'intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d'un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l'hypothèse où l'édiction d'une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l'abstention de l'autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée, il appartient au juge d'ordonner à l'administration de prendre la mesure considérée.
Sur la légalité externe :
5. Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation.
Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. (...) " Il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas allégué par l'association requérante qu'elle aurait demandé les motifs des décisions implicites qu'elle attaque. Par suite et en tout état de cause, elle ne peut utilement soutenir qu'elles seraient illégales faute d'être motivées.
Sur la légalité interne :
6. En vue de lutter, pour des motifs de protection de la santé, contre la consommation de tabac, plusieurs dispositions ont, depuis la loi du 31 juillet 2003 ayant cet objet, spécifiquement visé à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes, notamment par l'interdiction de vente de tabac aux mineurs. Les articles L. 3512-12 et L. 3513-5 du code de la santé publique interdisent ainsi, respectivement, de vendre ou d'offrir gratuitement, dans les débits de tabac et tous commerces ou lieux publics, des produits du tabac ou des produits du vapotage à des mineurs de dix-huit ans et les articles L. 3512-12 et L. 3513-5 du même code autorisent à cette fin les personnes qui délivrent des produits du tabac et du vapotage à exiger de leurs clients qu'ils établissent la preuve de leur majorité, la méconnaissance de ces interdictions étant sanctionnée, en vertu des articles R. 3515-5 et R. 3515-6 de ce code, par l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
7. Par suite, les conclusions de l'association requérante tendant à ce que soit annulé le refus implicite, par le Premier ministre et les autres ministres saisis, de prendre toutes mesures utiles aux fins de garantir le respect de l'interdiction de la vente aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, notamment en renforçant le contrôle des débitants de tabac et les sanctions qui peuvent leur être infligées, en assurant la publicité de ces sanctions et en sensibilisant, sur la question de la vente aux mineurs, l'ensemble des acteurs chargés du contrôle des débitants de tabac, ne peuvent, contrairement à ce que soutient en défense la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, être regardées comme tendant à ce que le juge administratif se substitue aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique.
8. Il ressort également des pièces du dossier et n'est pas contesté en défense que, comme l'établissent plusieurs études, réalisées notamment par l'Observatoire français des drogues et toxicomanies ou présentées dans le cadre du " programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 " porté par le Gouvernement, les interdictions rappelées au point 6 sont, actuellement, très insuffisamment respectées. Ainsi, selon une étude réalisée en 2021, près de la moitié des élèves fumeurs scolarisés en classe de troisième disent avoir déjà acheté un paquet de cigarettes chez un buraliste. Dans le même sens, des enquêtes réalisées la même année indiquent que plus des trois quarts des jeunes âgés de dix-sept ans citent le plus fréquemment l'achat dans un bureau de tabac comme mode d'approvisionnement et que plus de la moitié des débitants de produits de tabac accepteraient encore de vendre du tabac aux mineurs.
9. Il ressort toutefois également des pièces du dossier, notamment de ce même " programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 " et de la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives engagée sur les années 2023 à 2027, qu'un effort conséquent est mené par les pouvoirs publics pour informer et sensibiliser les débitants de tabac à la mise en oeuvre et au respect de l'interdiction de vente et que de nouvelles mesures sont prises, pour la période en cours et les années à venir, afin de renforcer les contrôles et les sanctions à l'encontre des débitants de tabac et des vendeurs de produits du vapotage.
10. Ainsi, outre la rénovation des dispositifs de formation obligatoire des buralistes sur leurs obligations et les enjeux de santé publique, mettant l'accent sur les interdictions légales des ventes aux mineurs, une démarche interministérielle a été engagée au début de l'année 2025 en matière de contrôles, afin de les rendre plus effectifs, un dispositif de contrôle continu et dissuasif devant être prochainement formalisé par un protocole impliquant les différents départements ministériels concernés. S'agissant des sanctions, un protocole d'accord portant sur l'accompagnement du réseau des buralistes sur les années 2023 à 2027, signé par le ministre chargé des comptes publics et le président de la confédération des buralistes le 19 janvier 2023 et dont la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 mentionne la mise en oeuvre comme l'une de ses " mesures phares ", met l'accent sur le fait que les buralistes doivent respecter impérativement les interdictions de vente aux mineurs et qu'en cas de non-respect de l'interdiction, le débitant, qui fera systématiquement l'objet des poursuites disciplinaires prévues par le titre VI du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés, ne sera, en cas de sanction, plus éligible aux aides prévues par ce protocole d'accord. Enfin, le décret du 27 juin 2025 relatif aux espaces sans tabac et à la lutte contre la vente aux mineurs des produits du tabac et du vapotage a porté de la quatrième à la cinquième classe l'amende encourue en cas de méconnaissance de l'interdiction.
11. Par suite, au regard de la portée de l'obligation qui incombe en l'espèce à l'administration, consistant à faire respecter par les débitants de tabac une interdiction qui pèse sur ces derniers, des difficultés inhérentes à l'exercice de cette mission et notamment la difficulté particulière que présente le contrôle du respect de l'interdiction de vente aux mineurs, dont la méconnaissance ne peut être constatée que de manière flagrante, ainsi qu'au vu de tout ce qui, à la date de la présente décision, peut être raisonnablement attendu du récent renforcement des mesures déjà prises et de l'ensemble des actions qui commencent à être engagées, mentionnées au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la présente décision soit établie, au vu des moyens dont dispose l'administration, une méconnaissance caractérisée des missions dont elle a la charge en matière de vente des produits du tabac et du vapotage aux mineurs.
12. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque.
13. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association ACT - Alliance contre le tabac doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association ACT - Alliance contre le tabac est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association ACT - Alliance contre le tabac, au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, au ministre chargé du budget et des comptes publics et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Tison
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 498453
ECLI:FR:CECHR:2025:498453.20251001
Publié au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Isabelle Tison, rapporteure
FITZJEAN O COBHTHAIGH, avocats
Lecture du mercredi 1 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 octobre 2024 et 8 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association ACT - Alliance contre le tabac demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la ministre du travail, de la santé et des solidarités ont rejeté sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles afin de faire cesser la méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations et notamment de renforcer, tant quantitativement que qualitativement (méthodologie dite du " client mystère "), les mesures de contrôle des débitants de tabac et les assortir d'objectifs quantitatifs, de prévoir des sanctions plus fréquentes et dissuasives, allant jusqu'au retrait de la licence, en cas de méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients, d'assurer la publicité et la transparence des mesures de contrôle et des sanctions prononcées, en imposant notamment l'affichage, placé à la vue du public, dans les établissements des débitants de tabac sanctionnés, de la sanction dont ils ont fait l'objet, ainsi que de sensibiliser l'ensemble des acteurs de la chaîne de contrôle des débitants de tabac ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003 ;
- le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 ;
- le décret n° 2025-582 du 27 juin 2025 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 11 août 2024, l'association ACT - Alliance contre le tabac a demandé au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser la méconnaissance de l'interdiction de la vente ou de l'offre gratuite aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, ainsi que certains ingrédients. Elle demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites rejetant ses demandes et d'enjoindre à l'Etat de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations.
Sur l'office du juge :
2. Lorsque le juge administratif est saisi d'une requête tendant à l'annulation du refus opposé par l'administration à une demande tendant à ce qu'elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d'une obligation légale lui incombant, il lui appartient, dans les limites de sa compétence, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre à l'administration de prendre la ou les mesures nécessaires. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.
3. Il incombe à l'administration d'accomplir ses missions dans le respect des règles de droit qui lui sont applicables. Elle doit, à cet effet, faire disparaître de l'ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et qui relèvent de sa compétence. Il lui appartient, en outre, de prendre les mesures administratives d'ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu'elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité. Lorsque le juge administratif constate, eu égard notamment à la gravité ou à la récurrence des défaillances relevées, la méconnaissance caractérisée d'une règle de droit dans l'accomplissement de ses missions par l'administration et que certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération, il lui revient, dans les limites de sa compétence et sous la réserve mentionnée au point 2, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité. Cette illégalité ne peut être regardée comme constituée que s'il apparaît au juge qu'au regard de la portée de l'obligation qui pèse sur l'administration, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l'exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l'obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en oeuvre des actions supplémentaires.
4. Lorsque l'illégalité du refus de l'administration de prendre des mesures est établie, le juge, saisi de conclusions en ce sens, lui enjoint d'y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d'assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l'instruction a révélé l'existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l'intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d'un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l'hypothèse où l'édiction d'une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l'abstention de l'autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée, il appartient au juge d'ordonner à l'administration de prendre la mesure considérée.
Sur la légalité externe :
5. Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation.
Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. (...) " Il ne ressort pas des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas allégué par l'association requérante qu'elle aurait demandé les motifs des décisions implicites qu'elle attaque. Par suite et en tout état de cause, elle ne peut utilement soutenir qu'elles seraient illégales faute d'être motivées.
Sur la légalité interne :
6. En vue de lutter, pour des motifs de protection de la santé, contre la consommation de tabac, plusieurs dispositions ont, depuis la loi du 31 juillet 2003 ayant cet objet, spécifiquement visé à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes, notamment par l'interdiction de vente de tabac aux mineurs. Les articles L. 3512-12 et L. 3513-5 du code de la santé publique interdisent ainsi, respectivement, de vendre ou d'offrir gratuitement, dans les débits de tabac et tous commerces ou lieux publics, des produits du tabac ou des produits du vapotage à des mineurs de dix-huit ans et les articles L. 3512-12 et L. 3513-5 du même code autorisent à cette fin les personnes qui délivrent des produits du tabac et du vapotage à exiger de leurs clients qu'ils établissent la preuve de leur majorité, la méconnaissance de ces interdictions étant sanctionnée, en vertu des articles R. 3515-5 et R. 3515-6 de ce code, par l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
7. Par suite, les conclusions de l'association requérante tendant à ce que soit annulé le refus implicite, par le Premier ministre et les autres ministres saisis, de prendre toutes mesures utiles aux fins de garantir le respect de l'interdiction de la vente aux mineurs des produits du tabac et du vapotage, notamment en renforçant le contrôle des débitants de tabac et les sanctions qui peuvent leur être infligées, en assurant la publicité de ces sanctions et en sensibilisant, sur la question de la vente aux mineurs, l'ensemble des acteurs chargés du contrôle des débitants de tabac, ne peuvent, contrairement à ce que soutient en défense la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, être regardées comme tendant à ce que le juge administratif se substitue aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique.
8. Il ressort également des pièces du dossier et n'est pas contesté en défense que, comme l'établissent plusieurs études, réalisées notamment par l'Observatoire français des drogues et toxicomanies ou présentées dans le cadre du " programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 " porté par le Gouvernement, les interdictions rappelées au point 6 sont, actuellement, très insuffisamment respectées. Ainsi, selon une étude réalisée en 2021, près de la moitié des élèves fumeurs scolarisés en classe de troisième disent avoir déjà acheté un paquet de cigarettes chez un buraliste. Dans le même sens, des enquêtes réalisées la même année indiquent que plus des trois quarts des jeunes âgés de dix-sept ans citent le plus fréquemment l'achat dans un bureau de tabac comme mode d'approvisionnement et que plus de la moitié des débitants de produits de tabac accepteraient encore de vendre du tabac aux mineurs.
9. Il ressort toutefois également des pièces du dossier, notamment de ce même " programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 " et de la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives engagée sur les années 2023 à 2027, qu'un effort conséquent est mené par les pouvoirs publics pour informer et sensibiliser les débitants de tabac à la mise en oeuvre et au respect de l'interdiction de vente et que de nouvelles mesures sont prises, pour la période en cours et les années à venir, afin de renforcer les contrôles et les sanctions à l'encontre des débitants de tabac et des vendeurs de produits du vapotage.
10. Ainsi, outre la rénovation des dispositifs de formation obligatoire des buralistes sur leurs obligations et les enjeux de santé publique, mettant l'accent sur les interdictions légales des ventes aux mineurs, une démarche interministérielle a été engagée au début de l'année 2025 en matière de contrôles, afin de les rendre plus effectifs, un dispositif de contrôle continu et dissuasif devant être prochainement formalisé par un protocole impliquant les différents départements ministériels concernés. S'agissant des sanctions, un protocole d'accord portant sur l'accompagnement du réseau des buralistes sur les années 2023 à 2027, signé par le ministre chargé des comptes publics et le président de la confédération des buralistes le 19 janvier 2023 et dont la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 mentionne la mise en oeuvre comme l'une de ses " mesures phares ", met l'accent sur le fait que les buralistes doivent respecter impérativement les interdictions de vente aux mineurs et qu'en cas de non-respect de l'interdiction, le débitant, qui fera systématiquement l'objet des poursuites disciplinaires prévues par le titre VI du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés, ne sera, en cas de sanction, plus éligible aux aides prévues par ce protocole d'accord. Enfin, le décret du 27 juin 2025 relatif aux espaces sans tabac et à la lutte contre la vente aux mineurs des produits du tabac et du vapotage a porté de la quatrième à la cinquième classe l'amende encourue en cas de méconnaissance de l'interdiction.
11. Par suite, au regard de la portée de l'obligation qui incombe en l'espèce à l'administration, consistant à faire respecter par les débitants de tabac une interdiction qui pèse sur ces derniers, des difficultés inhérentes à l'exercice de cette mission et notamment la difficulté particulière que présente le contrôle du respect de l'interdiction de vente aux mineurs, dont la méconnaissance ne peut être constatée que de manière flagrante, ainsi qu'au vu de tout ce qui, à la date de la présente décision, peut être raisonnablement attendu du récent renforcement des mesures déjà prises et de l'ensemble des actions qui commencent à être engagées, mentionnées au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la présente décision soit établie, au vu des moyens dont dispose l'administration, une méconnaissance caractérisée des missions dont elle a la charge en matière de vente des produits du tabac et du vapotage aux mineurs.
12. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque.
13. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association ACT - Alliance contre le tabac doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association ACT - Alliance contre le tabac est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association ACT - Alliance contre le tabac, au Premier ministre, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, au ministre chargé du budget et des comptes publics et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, Mme Anne Courrèges, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Tison
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber