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Ariane Web: Conseil d'État 496063, lecture du 3 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:496063.20251003

Décision n° 496063
3 octobre 2025
Conseil d'État

N° 496063
ECLI:FR:CECHR:2025:496063.20251003
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteure
DESCORPS-DECLÈRE, avocats


Lecture du vendredi 3 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pourvoir la décision du 11 août 2021 par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Valence a rejeté sa demande tendant à la modification des tarifs du catalogue de cantine de l'établissement et d'enjoindre sous astreinte à cette autorité de mettre en conformité les tarifs du catalogue local de cantine avec les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice. Par un jugement n° 2106909 du 15 septembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 23LY03906 du 8 mars 2024, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juillet et 16 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à Me Frédéric Descorps-Declère, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code pénitentiaire ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de M. A... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., incarcéré au centre pénitentiaire de Valence, dont la gestion est, pour ce qui concerne les fonctions non régaliennes, déléguée à un prestataire, a demandé au chef de cet établissement, par un courrier du 29 juillet 2021, de modifier les tarifs du catalogue de la cantine, en tant qu'ils sont supérieurs pour un certain nombre de produits aux tarifs fixés au niveau national par un accord-cadre signé par le garde des sceaux, ministre de la justice, applicable aux établissements pénitentiaires dont la gestion n'est pas déléguée. Un refus lui a été opposé par une décision du 11 août 2021. M. A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 8 mars 2024 par laquelle le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur le fondement du 6° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 septembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble rejetant sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision de refus et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au chef d'établissement de procéder à la modification demandée.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1 du code pénitentiaire : " Le service public pénitentiaire participe à la préparation et à l'exécution des décisions judiciaires. (...) / Il est organisé de manière à assurer l'individualisation de la prise en charge des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire (...) ". Selon l'article L. 3 du même code : " Le service public pénitentiaire exerce ses missions à l'égard des personnes suivantes : / 1° Les personnes détenues ; (...) / Les personnes détenues sont les personnes faisant l'objet d'une mesure privative de liberté à l'intérieur d'un établissement pénitentiaire, qu'elles soient prévenues, au titre de poursuites pénales et sans condamnation définitive, ou qu'elles soient condamnées ou soumises à une contrainte judiciaire ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-3 du même code, qui figure au Livre Ier " service public pénitentiaire " : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre d'un marché public prévu par les dispositions du 3° de l'article L. 2171-4 du code de la commande publique. " Selon l'article R. 332-33 du même code, qui figure au Livre III " droits et obligations des personnes détenues " : " Par l'intermédiaire de la cantine, les personnes détenues peuvent acquérir divers objets, denrées ou prestations de service en supplément de ceux qui leur sont fournis gratuitement. Cette faculté s'exerce sous le contrôle du chef de l'établissement pénitentiaire. Elle peut être limitée en cas d'abus. / Les prix pratiqués à la cantine sont portés à la connaissance des personnes détenues. / Les vivres vendus en cantine comprennent seulement les denrées d'usage courant qui peuvent être consommées sans faire l'objet d'aucune préparation, sauf si les personnes détenues disposent en cellule des matériels nécessaires à leur préparation et conservation. / La vente en cantine de toute boisson alcoolisée est interdite. / A titre exceptionnel, sur autorisation du chef de l'établissement et selon les modalités qu'il définit, les personnes détenues peuvent acquérir des d'objets ne figurant pas sur la liste des objets fournis en cantine. " L'article D. 332-34 du même code dispose que : " Les prix pratiqués à la cantine sont fixés périodiquement par le chef de l'établissement pénitentiaire. Sauf en ce qui concerne le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l'administration pour la manutention et la préparation. "

4. En premier lieu, la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure. Elle suppose, dans l'un comme l'autre cas, que la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des circonstances ou des objectifs qui la motivent.

5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que l'obligation, pour l'administration pénitentiaire, de proposer aux détenus d'acquérir, à leurs frais, divers objets, denrées ou prestations de service en supplément de ceux qui leur sont fournis gratuitement, est au nombre des missions non régaliennes du service public pénitentiaire. Le principe d'égalité des usagers devant le service public implique ainsi que les personnes détenues aient accès, dans les conditions fixées par l'article R. 332-33 du code pénitentiaire, à des objets, denrées ou services comparables, sous réserve de leur disponibilité effective, quel que soit l'établissement dans lequel elles sont affectées. Il n'implique pas, en revanche, que les tarifs auxquels ces produits et prestations leur sont facturés, qui dépendent des conditions d'approvisionnement et, le cas échéant, du mode de gestion de l'établissement, soient fixés de façon identique sur l'ensemble du territoire national. Il ne fait donc pas obstacle à l'instauration d'une tarification différenciée de la cantine, selon les établissements, sous réserve que les prix pratiqués soient en rapport avec le coût des biens ou prestations fournis et que la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée. Par suite, en jugeant que la différence de tarification des produits proposés par les cantines était justifiée, au regard du principe d'égalité, par la nécessité de tenir compte des conditions économiques en vigueur localement, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas entaché son ordonnance d'erreur de droit.

6. En deuxième lieu, il résulte des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Pour les motifs précédemment énoncés, c'est par suite sans erreur de droit que l'ordonnance attaquée a écarté le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaissait ces stipulations, combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention.

7. En troisième lieu, l'accord-cadre national sur le prix des cantines dans les établissements pénitentiaires en régie directe n'étant, en tout état de cause, pas applicable aux établissements dont le service de cantine a été délégué, c'est sans erreur de droit que l'ordonnance attaquée a écarté le moyen tiré de sa méconnaissance par la décision attaquée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Son pourvoi doit être rejeté, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 septembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 octobre 2025.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaule



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