Conseil d'État
N° 491817
ECLI:FR:CECHR:2025:491817.20251008
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Serge Gouès, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS, avocats
Lecture du mercredi 8 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
La société Crédit Agricole, agissant en qualité de tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, pour un montant de 256 098 euros, des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015. Par un jugement n° 1907861 du 19 novembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA00338 du 15 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Crédit Agricole contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février et 15 mai 2024 et le 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Crédit Agricole demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le règlement n° 2014-07 du 26 novembre 2014 de l'Autorité des normes comptables ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Serge Gouès, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de la société Crédit Agricole ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Crédit Agricole, agissant en qualité de tête du groupe fiscalement intégré Crédit Agricole dont fait partie la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, a présenté à l'administration fiscale, le 19 juillet 2018, une réclamation tendant à corriger à la baisse le bénéfice fiscal déclaré par cette caisse au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 à raison des décotes sur des prêts restructurés que celle-ci avait inscrites en comptabilité sans en tirer de conséquence fiscale. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la réduction, à concurrence de la prise en compte fiscale de ces décotes, des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015. La société Crédit agricole se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article 2221-5 du règlement de l'Autorité des normes comptables du 26 novembre 2014 relatif aux comptes des entreprises du secteur bancaire : " (...) Au moment de la restructuration, le prêt restructuré fait l'objet d'une décote d'un montant égal à l'écart entre l'actualisation des flux contractuels initialement attendus et l'actualisation des flux futurs attendus de capital et d'intérêts issus de la restructuration. (...) / (...) / Lorsque les créances restructurées sont transférées des encours douteux vers les encours sains, la dépréciation constituée pour couvrir le risque de non recouvrement des flux suite à la restructuration doit être reprise par le compte de résultat, contrairement à la décote restant à amortir qui revêt un caractère définitif et dont l'amortissement est poursuivi ". Aux termes de l'article 2231-3 du même règlement : " La décote constatée lors d'une restructuration de créance ou la dépréciation calculée sur une créance douteuse est enregistrée en coût du risque. Pour les créances restructurées inscrites en encours sains, cette décote est réintégrée sur la durée de vie dans la marge d'intérêt. Pour les créances restructurées ayant un caractère douteux et pour les créances douteuses non restructurées, les dotations et reprises de dépréciation pour risque de non recouvrement sont inscrites en coût du risque, l'augmentation de la valeur comptable liée à la reprise de la dépréciation et à l'amortissement de la décote le cas échéant du fait du passage du temps étant inscrite soit dans la marge d'intérêt, soit en coût du risque, avec mention en annexe du choix opéré. " Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un établissement soumis au règlement du 26 novembre 2014 procède à la restructuration d'un prêt, il est tenu de comptabiliser, au titre de l'exercice en cours, une décote, représentative du manque à gagner actualisé et cumulé des intérêts futurs auxquels il renonce, à la fois, au compte de résultat, en coût du risque, et à l'actif du bilan, en minoration du montant du prêt. Cette décote fait l'objet, sur toute la durée restante du prêt, d'une réintégration comptabilisée, au compte de résultat, en majoration des intérêts perçus au nouveau taux ou en minoration du coût du risque et, à l'actif du bilan, en minoration de son montant initial.
3. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) /2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au même code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".
4. Ainsi qu'il résulte de la réglementation comptable exposée au point 2, la décote comptabilisée au titre de l'exercice de restructuration d'un prêt ainsi que sa reprise au titre des exercices correspondant à la durée restante du prêt, se traduit par une variation de l'actif net du bilan, négative puis positive. Il résulte des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code qu'en l'absence de disposition fiscale spéciale y faisant obstacle, la décote est déductible du bénéfice imposable au titre de l'exercice de restructuration tandis que sa réintégration vient majorer ce bénéfice au titre des exercices ultérieurs concernés.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en jugeant que, faute pour la société requérante d'établir la dépréciation effective de son actif immobilisé, les décotes en litige ne pouvaient être prises en compte, en application des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts citées au point 2, pour la détermination du bénéfice net au titre de l'exercice clos en 2015, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Crédit agricole est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Crédit agricole de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 15 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Crédit agricole la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Crédit Agricole et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Serge Gouès, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 8 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Serge Gouès
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 491817
ECLI:FR:CECHR:2025:491817.20251008
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Serge Gouès, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS, avocats
Lecture du mercredi 8 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Crédit Agricole, agissant en qualité de tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, pour un montant de 256 098 euros, des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015. Par un jugement n° 1907861 du 19 novembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA00338 du 15 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Crédit Agricole contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février et 15 mai 2024 et le 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Crédit Agricole demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le règlement n° 2014-07 du 26 novembre 2014 de l'Autorité des normes comptables ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Serge Gouès, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de la société Crédit Agricole ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Crédit Agricole, agissant en qualité de tête du groupe fiscalement intégré Crédit Agricole dont fait partie la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, a présenté à l'administration fiscale, le 19 juillet 2018, une réclamation tendant à corriger à la baisse le bénéfice fiscal déclaré par cette caisse au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 à raison des décotes sur des prêts restructurés que celle-ci avait inscrites en comptabilité sans en tirer de conséquence fiscale. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la réduction, à concurrence de la prise en compte fiscale de ces décotes, des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015. La société Crédit agricole se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article 2221-5 du règlement de l'Autorité des normes comptables du 26 novembre 2014 relatif aux comptes des entreprises du secteur bancaire : " (...) Au moment de la restructuration, le prêt restructuré fait l'objet d'une décote d'un montant égal à l'écart entre l'actualisation des flux contractuels initialement attendus et l'actualisation des flux futurs attendus de capital et d'intérêts issus de la restructuration. (...) / (...) / Lorsque les créances restructurées sont transférées des encours douteux vers les encours sains, la dépréciation constituée pour couvrir le risque de non recouvrement des flux suite à la restructuration doit être reprise par le compte de résultat, contrairement à la décote restant à amortir qui revêt un caractère définitif et dont l'amortissement est poursuivi ". Aux termes de l'article 2231-3 du même règlement : " La décote constatée lors d'une restructuration de créance ou la dépréciation calculée sur une créance douteuse est enregistrée en coût du risque. Pour les créances restructurées inscrites en encours sains, cette décote est réintégrée sur la durée de vie dans la marge d'intérêt. Pour les créances restructurées ayant un caractère douteux et pour les créances douteuses non restructurées, les dotations et reprises de dépréciation pour risque de non recouvrement sont inscrites en coût du risque, l'augmentation de la valeur comptable liée à la reprise de la dépréciation et à l'amortissement de la décote le cas échéant du fait du passage du temps étant inscrite soit dans la marge d'intérêt, soit en coût du risque, avec mention en annexe du choix opéré. " Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un établissement soumis au règlement du 26 novembre 2014 procède à la restructuration d'un prêt, il est tenu de comptabiliser, au titre de l'exercice en cours, une décote, représentative du manque à gagner actualisé et cumulé des intérêts futurs auxquels il renonce, à la fois, au compte de résultat, en coût du risque, et à l'actif du bilan, en minoration du montant du prêt. Cette décote fait l'objet, sur toute la durée restante du prêt, d'une réintégration comptabilisée, au compte de résultat, en majoration des intérêts perçus au nouveau taux ou en minoration du coût du risque et, à l'actif du bilan, en minoration de son montant initial.
3. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) /2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt (...). L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au même code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".
4. Ainsi qu'il résulte de la réglementation comptable exposée au point 2, la décote comptabilisée au titre de l'exercice de restructuration d'un prêt ainsi que sa reprise au titre des exercices correspondant à la durée restante du prêt, se traduit par une variation de l'actif net du bilan, négative puis positive. Il résulte des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code qu'en l'absence de disposition fiscale spéciale y faisant obstacle, la décote est déductible du bénéfice imposable au titre de l'exercice de restructuration tandis que sa réintégration vient majorer ce bénéfice au titre des exercices ultérieurs concernés.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en jugeant que, faute pour la société requérante d'établir la dépréciation effective de son actif immobilisé, les décotes en litige ne pouvaient être prises en compte, en application des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts citées au point 2, pour la détermination du bénéfice net au titre de l'exercice clos en 2015, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Crédit agricole est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Crédit agricole de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 15 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Crédit agricole la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Crédit Agricole et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Serge Gouès, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 8 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Serge Gouès
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :