Conseil d'État
N° 507078
ECLI:FR:CECHR:2025:507078.20251009
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Thomas Odinot, rapporteur
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du jeudi 9 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
La Ligue des droits de l'homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 16 juillet 2025 par lequel le maire de Saint-Ouen-sur-Seine a interdit à tout mineur de moins de 16 ans, non accompagné d'une personne majeure ayant autorité, de circuler de 23 heures 30 à 6 heures sur certaines voies publiques de la commune jusqu'au 31 octobre 2025.
Par une ordonnance n° 2513173 du 30 juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Par un pourvoi, enregistré le 7 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités locales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Odinot, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Leïla Derouich, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". L'article L. 522-3 permet ainsi au juge des référés, lorsque les conditions qu'il fixe sont remplies, de rejeter la demande dont il est saisi sans instruction contradictoire et sans audience publique.
Sur le pourvoi :
2. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a jugé qu'il apparaissait manifeste, au seul vu de la demande de suspension formée par la Ligue des droits de l'homme à l'encontre de l'arrêté du maire de Saint-Ouen-sur-Seine du 16 juillet 2025 interdisant aux mineurs de 16 ans de circuler la nuit sur certaines voies de la commune, que cette demande était mal fondée et l'a rejetée par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative sans instruction contradictoire, en particulier sans solliciter les observations de la commune sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public de nature à justifier, au regard des circonstances locales, une telle mesure de police administrative. En statuant ainsi, alors qu'il ne disposait pas d'éléments lui permettant de juger du caractère sérieux du moyen soulevé par la demande en référé tiré de ce que la mesure contestée ne présentait pas un caractère adapté, nécessaire et proportionné, le juge des référés a méconnu son office. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la Ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la demande de suspension :
4. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; (...) ".
5. En vertu de l'article L. 2214-3 du code général des collectivités territoriales, dans les communes où le régime de la police d'Etat est institué, les forces de police étatisée sont chargées d'exécuter les arrêtés de police du maire. Aux termes de l'article L. 2214-4 du même code : " Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini au 2° de l'article L. 2212-2 et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée, sauf en ce qui concerne les troubles de voisinage. / Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. / Tous les autres pouvoirs de police énumérés aux articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-9 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics. ".
6. Ni les pouvoirs de police générale que l'Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l'article 371-2 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d'éducation, ni enfin les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l'ordre public qu'ils sont susceptibles de provoquer, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Toutefois, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l'objectif pris en compte et proportionnées.
7. En premier lieu, si la Ligue des droits de l'homme soutient que le maire de Saint-Ouen-sur-Seine aurait été incompétent pour interdire, par l'arrêté contesté, la circulation des mineurs la nuit, au motif que la police est étatisée sur le territoire de la commune, cet arrêté n'a pas pour seul objet de prévenir des atteintes à la tranquillité publique mais entend prévenir, de façon plus générale, la survenance de troubles à l'ordre public et contribuer à la protection des mineurs.
8. En second lieu, il ressort des éléments versés au dossier au cours de l'instruction devant le Conseil d'Etat, en particulier des données chiffrées produites par la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, non contestées en défense, que cette commune est confrontée depuis plusieurs années à une augmentation significative de la délinquance générale, que le taux de délits violents dans la commune s'est élevé à 19 pour 1 000 habitants en 2024 alors qu'il n'est en moyenne que de 6 pour 1 000 au niveau national, que la proportion des mineurs impliqués dans la commission de faits délictuels s'est notablement accrue, avec une nette augmentation entre 2023 et 2025 du nombre de mineurs ayant fait l'objet d'une interpellation sur le territoire de la commune, que les infractions, commises par des mineurs, liées au trafic de stupéfiants ou se traduisant par des dégradations, ont significativement augmenté depuis 2023 et qu'environ 40 % des interpellations de mineurs ont eu lieu pendant la nuit en 2024 et en 2025. Il résulte par ailleurs de l'arrêté contesté que l'interdiction de circulation qu'il édicte vise les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés et s'applique sur un créneau horaire allant de 23 h 30 à 6 heures du matin. Il ressort en outre des éléments versés au dossier que la délimitation des voies publiques concernées par l'interdiction correspond aux parties du territoire de la commune où sont constatés des comportements de mineurs susceptibles de causer des troubles à l'ordre public.
9. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'incompétence et constituerait une mesure dépourvue de nécessité, inadaptée et disproportionnée ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'une situation d'urgence justifiant que soit suspendue l'exécution de cette décision, les conclusions à fin de suspension de l'exécution de l'arrêté du 16 juillet 2025 du maire de Saint-Ouen-sur-Seine ne peuvent être accueillies.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la Ligue des droits de l'homme la somme qu'elle demande à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 juillet 2023 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la Ligue des droits de l'homme devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et à la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Christophe Barthélemy, conseillers d'Etat et M. Thomas Odinot, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Odinot
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 507078
ECLI:FR:CECHR:2025:507078.20251009
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Thomas Odinot, rapporteur
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du jeudi 9 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La Ligue des droits de l'homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montreuil de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 16 juillet 2025 par lequel le maire de Saint-Ouen-sur-Seine a interdit à tout mineur de moins de 16 ans, non accompagné d'une personne majeure ayant autorité, de circuler de 23 heures 30 à 6 heures sur certaines voies publiques de la commune jusqu'au 31 octobre 2025.
Par une ordonnance n° 2513173 du 30 juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.
Par un pourvoi, enregistré le 7 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités locales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Odinot, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Leïla Derouich, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". L'article L. 522-3 permet ainsi au juge des référés, lorsque les conditions qu'il fixe sont remplies, de rejeter la demande dont il est saisi sans instruction contradictoire et sans audience publique.
Sur le pourvoi :
2. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a jugé qu'il apparaissait manifeste, au seul vu de la demande de suspension formée par la Ligue des droits de l'homme à l'encontre de l'arrêté du maire de Saint-Ouen-sur-Seine du 16 juillet 2025 interdisant aux mineurs de 16 ans de circuler la nuit sur certaines voies de la commune, que cette demande était mal fondée et l'a rejetée par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative sans instruction contradictoire, en particulier sans solliciter les observations de la commune sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public de nature à justifier, au regard des circonstances locales, une telle mesure de police administrative. En statuant ainsi, alors qu'il ne disposait pas d'éléments lui permettant de juger du caractère sérieux du moyen soulevé par la demande en référé tiré de ce que la mesure contestée ne présentait pas un caractère adapté, nécessaire et proportionné, le juge des référés a méconnu son office. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la Ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la demande de suspension :
4. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; (...) ".
5. En vertu de l'article L. 2214-3 du code général des collectivités territoriales, dans les communes où le régime de la police d'Etat est institué, les forces de police étatisée sont chargées d'exécuter les arrêtés de police du maire. Aux termes de l'article L. 2214-4 du même code : " Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini au 2° de l'article L. 2212-2 et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée, sauf en ce qui concerne les troubles de voisinage. / Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. / Tous les autres pouvoirs de police énumérés aux articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-9 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics. ".
6. Ni les pouvoirs de police générale que l'Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l'article 371-2 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d'éducation, ni enfin les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l'ordre public qu'ils sont susceptibles de provoquer, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Toutefois, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l'objectif pris en compte et proportionnées.
7. En premier lieu, si la Ligue des droits de l'homme soutient que le maire de Saint-Ouen-sur-Seine aurait été incompétent pour interdire, par l'arrêté contesté, la circulation des mineurs la nuit, au motif que la police est étatisée sur le territoire de la commune, cet arrêté n'a pas pour seul objet de prévenir des atteintes à la tranquillité publique mais entend prévenir, de façon plus générale, la survenance de troubles à l'ordre public et contribuer à la protection des mineurs.
8. En second lieu, il ressort des éléments versés au dossier au cours de l'instruction devant le Conseil d'Etat, en particulier des données chiffrées produites par la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, non contestées en défense, que cette commune est confrontée depuis plusieurs années à une augmentation significative de la délinquance générale, que le taux de délits violents dans la commune s'est élevé à 19 pour 1 000 habitants en 2024 alors qu'il n'est en moyenne que de 6 pour 1 000 au niveau national, que la proportion des mineurs impliqués dans la commission de faits délictuels s'est notablement accrue, avec une nette augmentation entre 2023 et 2025 du nombre de mineurs ayant fait l'objet d'une interpellation sur le territoire de la commune, que les infractions, commises par des mineurs, liées au trafic de stupéfiants ou se traduisant par des dégradations, ont significativement augmenté depuis 2023 et qu'environ 40 % des interpellations de mineurs ont eu lieu pendant la nuit en 2024 et en 2025. Il résulte par ailleurs de l'arrêté contesté que l'interdiction de circulation qu'il édicte vise les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés et s'applique sur un créneau horaire allant de 23 h 30 à 6 heures du matin. Il ressort en outre des éléments versés au dossier que la délimitation des voies publiques concernées par l'interdiction correspond aux parties du territoire de la commune où sont constatés des comportements de mineurs susceptibles de causer des troubles à l'ordre public.
9. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'incompétence et constituerait une mesure dépourvue de nécessité, inadaptée et disproportionnée ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'une situation d'urgence justifiant que soit suspendue l'exécution de cette décision, les conclusions à fin de suspension de l'exécution de l'arrêté du 16 juillet 2025 du maire de Saint-Ouen-sur-Seine ne peuvent être accueillies.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la Ligue des droits de l'homme la somme qu'elle demande à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 juillet 2023 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la Ligue des droits de l'homme devant le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et à la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Christophe Barthélemy, conseillers d'Etat et M. Thomas Odinot, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Thomas Odinot
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :