Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 497247, lecture du 17 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:497247.20251017

Décision n° 497247
17 octobre 2025
Conseil d'État

N° 497247
ECLI:FR:CECHR:2025:497247.20251017
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats


Lecture du vendredi 17 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de ClermontFerrand, d'une part, d'annuler le titre de pension qui lui a été concédé par un arrêté du 9 mars 2020 du ministre de l'action et des comptes publics, en tant que ce titre ne prend pas en compte la période du 5 mai 2019 au 30 avril 2020 dans le calcul de sa pension de retraite, ainsi que les décisions du 22 septembre 2020 et du 19 avril 2021 par lesquelles le ministre a rejeté ses demandes tendant à la révision de sa pension et, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de procéder à la révision de sa pension et de lui délivrer un titre de pension en intégrant la période de mai 2019 à avril 2020 dans le calcul de ses droits à pension. Par un jugement n°s 2002272, 2101288 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé les décisions attaquées et a enjoint au ministre de prendre en compte dans le calcul des droits à pension de retraite de Mme B... les services accomplis du 5 mai 2019 au 30 avril 2020.

Par une décision n° 471202 du 14 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement et a renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.

Par un jugement n° 2302872 du 28 juin 2024, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de Mme B....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 août et 27 novembre 2024 et le 25 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., alors greffière à la cour d'appel d'Amiens, a continué à exercer ses fonctions après avoir atteint la limite d'âge qui lui était en principe applicable, du 5 mai 2019 au 30 avril 2020. Toutefois, cette période n'a pas été prise en compte, pour le calcul de sa pension de retraite, par le titre de pension qui lui a été concédé par un arrêté du 9 mars 2020 du ministre de l'action et des comptes publics. Par un jugement du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé cet arrêté et enjoint au directeur du service des retraites de l'Etat de prendre en compte dans le calcul des droits à pension de retraite de Mme B... les services accomplis du 5 mai 2019 au 30 avril 2020. Par une décision du 14 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ce jugement. Mme B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 28 juin 2024 par lequel, sur renvoi du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes de l'article 68 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, applicable au litige : " Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en fonctions au-delà de la limite d'âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur ". La survenance de la limite d'âge d'un fonctionnaire ou, le cas échéant, l'expiration du délai de prolongation d'activité au-delà de cette limite, telle qu'elle est déterminée par les textes en vigueur, entraîne de plein droit la rupture du lien de cet agent avec le service. Aux termes de l'article L. 10 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Les services accomplis postérieurement à la limite d'âge dans les conditions prévues par la loi sont pris en compte dans la pension ".

3. Aux termes de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, désormais codifié à l'article L. 556-5 du code général de la fonction publique : " (...) les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité. / La prolongation d'activité prévue à l'alinéa précédent ne peut avoir pour effet de maintenir le fonctionnaire concerné en activité au-delà de la durée des services liquidables prévue à l'article L. 13 du même code ni au-delà d'une durée de dix trimestres. / Cette prolongation d'activité est prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension ".

4. Pour l'application de ces dernières dispositions, il incombe à l'autorité chargée de la liquidation des droits à pension d'un fonctionnaire de tirer les conséquences légales d'une décision, même illégale, relative à sa carrière, tant que cette décision n'a pas été annulée ou retirée, à moins qu'elle ne revête le caractère d'un acte inexistant, d'une reconstitution de carrière fictive intervenue à titre purement gracieux ou qu'elle ait pour effet de maintenir un fonctionnaire en prolongation d'activité au-delà de la durée des services liquidables définie à l'article L.13 du code des pensions civiles et militaires de retraite. En revanche, la circonstance qu'une autorisation de prolonger son activité au-delà de la limite d'âge, demandée par un agent avant la survenance de celle-ci, serait intervenue postérieurement à cette limite d'âge, ne saurait, par elle-même, justifier qu'il ne soit pas tenu compte de cette prolongation dans le calcul des droits à pension par l'autorité chargée de les liquider.

5. Il suit de là qu'en jugeant que l'autorisation de prolongation de l'activité, accordée à l'agent en application des dispositions de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984, doit nécessairement intervenir avant la rupture du lien de l'agent avec le service pour être prise en compte dans le calcul des droits à la retraite, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme B... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.

Sur le règlement au fond :

8. Il résulte de l'instruction que Mme B... établit avoir demandé une prolongation d'activité sur le fondement des dispositions de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 antérieurement à la survenance de sa limite d'âge et que l'administration doit être regardée comme ayant fait droit à cette demande de prolongation par le courrier de la première présidente de la cour d'appel d'Amiens et la procureure générale près ladite cour du 10 janvier 2020. Mme B... a ensuite exercé ses fonctions de manière continue jusqu'au 30 avril 2020, date à laquelle elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite.

9. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'il incombait au ministre de l'action et des comptes publics de tirer les conséquences légales sur les droits à pension de Mme B... de l'autorisation de prolongation d'activité ainsi obtenue sur le fondement de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984, qui ne revêt pas le caractère d'un acte inexistant ou d'une reconstitution de carrière fictive intervenue à titre purement gracieux et qui n'a pas eu pour effet de la maintenir en activité au-delà de la durée des services liquidables lui permettant d'obtenir une pension à taux plein. Par conséquent, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait pas prendre en compte, dans le calcul de la pension de l'intéressée, la période du 5 mai 2019 au 30 avril 2020 au motif que la décision autorisant la prolongation de l'activité de celle-ci n'avait pas été formalisée avant qu'elle atteigne la limite d'âge.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de sa demande, que Mme B... est fondée à demander l'annulation des décisions des 22 septembre 2020 et 19 avril 2021 par lesquelles le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de faire droit à la demande de révision de la pension qui lui a été attribuée le 9 mars 2020.

11. Il y a lieu, par suite, d'accorder à Mme B... une pension dont le montant est calculé en prenant en compte la période de prolongation d'activité du 5 mai 2019 au 30 avril 2020 et d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de procéder à la révision correspondante de la pension de Mme B....

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros, pour l'ensemble de la procédure, à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 28 juin 2024 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : Les décisions des 22 septembre 2020 et 19 avril 2021 par lesquelles le ministre de l'action et des comptes publics a rejeté les demandes de Mme B... tendant à la révision de sa pension sont annulées.
Article 3 : Il est accordé à Mme B... une pension dont le montant est calculé en prenant en compte la période de prolongation d'activité du 5 mai 2019 au 30 avril 2020.
Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de procéder à la révision de la pension de Mme B... conformément à l'article 3.
Article 5 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.


Voir aussi