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Ariane Web: Conseil d'État 502496, lecture du 28 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:502496.20251028

Décision n° 502496
28 octobre 2025
Conseil d'État

N° 502496
ECLI:FR:CECHR:2025:502496.20251028
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Julia Flot, rapporteure
OSBORNE CLARKE, avocats


Lecture du mardi 28 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés les 17 mars, 15 juillet et 25 août 2025 au secrétariat de la section du contentieux, la société MCM Academy demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 août 2024 du ministre chargé des transports relatif aux modalités de l'obtention des attestations de capacité professionnelle en transport routier léger ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Flot, auditrice,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2025, présentée par le ministre chargé des transports.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2025, présentée par la société MCM Academy.




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 3 du règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil : " 1. Les entreprises qui exercent la profession de transporteur par route : (...) d) ont la capacité professionnelle requise ". Aux termes de l'article 8 du même règlement : " 1. Pour satisfaire à l'exigence prévue à l'article 3, paragraphe 1, point d), la ou les personnes concernées possèdent les connaissances correspondant au niveau prévu à l'annexe I, section I, dans les matières qui y sont énumérées. Ces connaissances sont démontrées au moyen d'un examen écrit obligatoire qui peut, si un État membre le décide, être complété par un examen oral. Ces examens sont organisés conformément à l'annexe I, section II. À cette fin, les États membres peuvent décider d'imposer une formation préalable à l'examen (...) / 3. Seules les autorités ou instances dûment autorisées à cet effet par un État membre, selon des critères qu'il définit, peuvent organiser et certifier les examens écrits et oraux visés au paragraphe 1. Les États membres vérifient régulièrement que les conditions dans lesquelles ces autorités ou instances organisent les examens sont conformes à l'annexe I. / 4. Les États membres peuvent dûment autoriser, selon des critères qu'ils définissent, les instances à même d'offrir aux candidats des formations de qualité pour leur permettre de se préparer aux examens, ainsi que des formations continues pour permettre aux gestionnaires de transport qui le souhaitent de mettre à jour leurs connaissances. Ces États membres vérifient régulièrement que les organismes en question remplissent toujours les critères au regard desquels ils ont été autorisés (...). 8. Une attestation délivrée par l'autorité ou l'instance visée au paragraphe 3 est produite à titre de preuve de la capacité professionnelle (...) ". Aux termes de l'article 11 de ce règlement : " 1. Une entreprise de transport qui satisfait aux exigences prévues à l'article 3 est autorisée, sur demande, à exercer la profession de transporteur par route. L'autorité compétente vérifie qu'une entreprise qui introduit une demande satisfait aux exigences prévues audit article (...). / 3. Le délai pour l'examen par une autorité compétente d'une demande d'autorisation est aussi court que possible et n'excède pas trois mois à compter de la date à laquelle l'autorité compétente reçoit l'ensemble des documents nécessaires pour évaluer la demande. L'autorité compétente peut proroger ce délai d'un mois supplémentaire dans des cas dûment justifiés ".

2. Aux termes de l'article R. 3211-40 du code des transports : " Pour les entreprises utilisant exclusivement des véhicules dont le poids maximum autorisé ne dépasse pas 2,5 tonnes ou, s'ils sont utilisés exclusivement pour réaliser des opérations de transport routier sur le territoire national, 3,5 tonnes, l'exigence de capacité professionnelle est satisfaite lorsque le gestionnaire de transport mentionné à l'article R. 3211-43 est titulaire d'une attestation de capacité professionnelle en transport léger. / L'attestation de capacité professionnelle en transport léger est délivrée par le préfet de région aux personnes qui ont suivi une formation sanctionnée par un examen écrit obligatoire portant sur un référentiel de connaissances défini par le ministre chargé des transports ". Aux termes de l'article R. 3211-40-2 du code des transports : " La formation et l'examen mentionnés à l'article R. 3211-40 sont organisés par les centres de formation disposant d'un agrément délivré dans les conditions précisées par un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé des transports ".

3. La société MCM Academy demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 2 août 2024 du ministre chargé des transports, relatif aux modalités de l'obtention des attestations de capacité professionnelle en transport routier léger, pris sur le fondement des dispositions, citées ci-dessus, de l'article R. 3211-40-2 du code des transports.

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, l'arrêté attaqué, pris le 2 août 2024, qui codifie au code des transports les dispositions du titre III de l'arrêté du 28 décembre 2011 modifié relatif à la délivrance des attestations de capacité professionnelle permettant l'exercice de la profession de transporteur routier et le titre II de l'arrêté du 31 janvier 2012 modifié relatif aux diplômes, titre et certificat permettant la délivrance directe des attestations de capacité professionnelle en vue d'exercer la profession de transporteur public routier, n'apporte à ces dispositions que des modifications techniques d'ampleur limitée, portant notamment sur l'organisation des formations préparant aux examens professionnels. Il entre ainsi dans la catégorie des affaires courantes et pouvait, par suite, être compétemment pris par le ministre chargé des transports après l'acceptation par le Président de la République, le 16 juillet 2024, de la démission du gouvernement auquel il appartenait.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions combinées de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, aux termes duquel les sous-directeurs d'administration centrale peuvent signer, au nom du ministre et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité, et de l'article 5.1.4 de l'arrêté du 9 juillet 2008 modifié portant organisation de l'administration centrale des ministères chargés de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer, qui charge la sous-direction de la régulation et de la performance durable des transports routiers d'exercer les attributions du ministre chargé des transports en matière de réglementation des transports routiers de marchandises et de voyageurs, que Mme B... A..., qui était sous-directrice de la régulation et de la performance durable des transports routiers à la date de l'arrêté attaqué, était compétente pour signer l'arrêté attaqué au nom du ministre chargé des transports.

6. Enfin, si les dispositions du II de l'article 8 du décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration prévoient que font l'objet d'une fiche d'impact préalable l'ensemble des projets de texte réglementaire ayant des conséquences sur les missions et l'organisation des services déconcentrés de l'Etat, tel n'est ni l'objet ni l'effet de l'arrêté attaqué. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que cet arrêté aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir fait l'objet d'une telle fiche d'impact.

Sur la légalité interne :

7. En premier lieu, l'article 11 du règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 fixe le délai dans lequel l'autorité compétente doit statuer sur une demande d'autorisation d'exercer la profession de transporteur routier lorsque le dossier de demande est complet et non le délai dans lequel doit être délivrée l'attestation, délivrée à l'issue de l'examen prévu par le paragraphe 3 de l'article 8 du même règlement, permettant d'établir la capacité professionnelle du demandeur. Par suite, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué et l'article R. 3211-40 du code des transports méconnaissent les dispositions de l'article 11 de ce règlement faute de prévoir que l'attestation de capacité professionnelle doit être délivrée dans le délai qu'elles fixent.

8. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions du 1.3 du chapitre 1er du cahier des charges annexé à l'article A. 3113-39-1 du code des transports n'imposent pas de prévoir des sujets différents pour les examens permettant l'obtention de l'attestation de capacité professionnelle de transport routier léger se déroulant en même temps dans plusieurs centres, mais seulement de prévoir des sujets différents pour chaque nouvelle session, qu'elle se déroule dans un seul centre ou plusieurs centres en même temps. Par ailleurs, l'interdiction d'organiser des examens à distance qui résulte de ce même 1.3, a pour objet de s'assurer de la sincérité des examens et, eu égard à l'objectif d'intérêt général ainsi poursuivi, ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception (...) ". Aux termes de l'article L. 114-5 du même code : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations (...). / La liste des pièces et informations manquantes, le délai fixé pour leur production et la mention des dispositions prévues, selon les cas, au deuxième ou au troisième alinéa du présent article figurent dans l'accusé de réception prévu à l'article L. 112-3. Lorsque celui-ci a déjà été délivré, ces éléments sont communiqués par lettre au demandeur ". Il résulte de ces dispositions que, d'une part, l'autorité administrative est tenue d'accuser réception d'une demande qui lui est adressée et, d'autre part, qu'elle doit informer le demandeur du caractère éventuellement incomplet de sa demande en l'invitant à la compléter. Par suite, la société requérante n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que l'article A. 3211-40-3 du code des transports, qui prévoit que l'agrément des centres de formation et d'examen est délivré dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier complet, est illégal en ce qu'il a omis de prévoir que, d'une part, l'autorité administrative devait accuser réception du dossier de demande et, d'autre part, elle devait examiner la complétude du dossier et inviter le cas échéant le demandeur à le compléter.

10. En quatrième lieu, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de sa requête, de la circulaire du Premier ministre du 23 mai 2011 relative aux dates communes d'entrée en vigueur des normes concernant les entreprises, qui se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration : " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Elle peut également y avoir recours, sous les mêmes réserves et dans les mêmes conditions, afin d'accompagner un changement de réglementation ". Aux termes de l'article L. 221-6 du même code : " Les mesures transitoires mentionnées à l'article L. 221-5 peuvent consister à : / 1° Prévoir une date d'entrée en vigueur différée des règles édictées ; / 2° Préciser, pour les situations en cours, les conditions d'application de la nouvelle réglementation ; / 3° Enoncer des règles particulières pour régir la transition entre l'ancienne et la nouvelle réglementation ".

12. Si l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit, sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante et si, en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, il résulte des dispositions citées au point 11 qu'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'impose à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

13. Il ressort des pièces du dossier que l'entrée en vigueur de l'arrêté attaqué a eu pour effet, en l'absence de mesures transitoires, de rendre applicable le cahier des charges annexé à l'article A. 3113-39-1 du code des transports, qui impose des obligations nouvelles à la charge des centres de formation et d'examen, le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française le 18 août 2024. En particulier, elle a rendu applicable l'exigence que les formations à distance qu'ils dispensent comportent une durée minimale de face-à-face pédagogique correspondant à 15 % de la durée minimale de la formation. Eu égard à l'obligation pour les centres dispensant des formations d'en adapter les modalités, en s'assurant en particulier de disposer de collaborateurs pour satisfaire à ces exigences sauf à s'exposer à la suspension ou au retrait de leur agrément et alors que le ministre chargé des transports ne justifie pas que l'entrée en vigueur immédiate de l'arrêté attaqué était nécessaire à l'application de ces nouvelles obligations, la société requérante est fondée à soutenir que l'arrêté litigieux est illégal en tant qu'il n'a pas prévu de mesures transitoires. Compte tenu de ce que l'entrée en vigueur de l'arrêté attaqué est nécessaire pour répondre aux objectifs d'amélioration de la qualité de la formation poursuivis par le ministre chargé des transports, la société requérante n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué qu'en tant qu'il n'a pas différé de deux mois l'entrée en vigueur de ses dispositions.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la société MCM Academy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 2 août 2024 relatif aux modalités de l'obtention des attestations de capacité professionnelle en transport routier léger est annulé en tant qu'il n'a pas différé de deux mois son entrée en vigueur.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société MCM Academy est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société MCM Academy et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.


Voir aussi