Conseil d'État
N° 497803
ECLI:FR:CECHR:2025:497803.20251215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats
Lecture du lundi 15 décembre 2025
Vu les procédures suivantes :
I. - La société Planet a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés au titre des années 2011 à 2014 ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement nos 1605447, 1605448, 1705980 du 18 mai 2018, ce tribunal a fait droit à sa demande mais rejeté les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt n° 18MA04302 du 15 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annulé l'article 1er de ce jugement et rétabli les rappels de retenue à la source en litige.
Par une décision n° 444451 du 20 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la même cour.
Par un arrêt n° 22MA01511 du 11 juillet 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'article 1er du jugement du 18 mai 2018 et rétabli les rappels de retenue à la source en litige.
Sous le n° 497804, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 septembre et 13 décembre 2024 et le 14 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Planet demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. - La société Planet a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des retenues à la source qu'elle a acquittées au titre des années 2015 et 2016. Par un jugement n° 2008138 du 18 juillet 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22MA02484 du 11 juillet 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Planet contre ce jugement.
Sous le n° 497803, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 13 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Planet demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus ;
- l'accord du 25 juillet 1977 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- la convention signée le 30 novembre 1979 entre la France et la Nouvelle-Zélande en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société Planet ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 novembre 2025, présentée par la société Planet sous le n° 497804.
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois nos 497803 et 497804 présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité portant sur les exercices clos au cours des années 2011 à 2014, la société Planet, qui exerce une activité de distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, a été assujettie à des rappels de retenue à la source à raison de sommes versées en 2011 à la société Les Mills Belgium, établie en Belgique, puis de 2012 à 2014 à la société Les Mills Euromed, établie à Malte, en contrepartie du droit de distribuer des programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills Aerobics International, établie en Nouvelle-Zélande. Sous le n° 497804, la société Planet se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi après annulation par une décision n° 444451 du 20 mai 2022 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux d'un premier arrêt du 15 juillet 2020, a annulé le jugement du 18 mai 2018 du tribunal administratif de Marseille qui avait prononcé la décharge des rappels de retenue à la source en litige et rétabli ces impositions. Sous le n° 497803, elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 18 juillet 2022 du tribunal administratif de Marseille rejetant sa demande tendant à la décharge des retenues à la source qu'elle avait spontanément acquittées à raison des sommes versées, dans ce même cadre, en 2015 et 2016, à la société maltaise Les Mills Euromed.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, en jugeant que les propositions de rectification des 4 décembre 2014 et 2 mars 2015 étaient suffisamment motivées, la cour administrative d'appel de Marseille, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a porté sur les pièces du dossier qui lui étaient soumises une appréciation souveraine exempte de dénaturation sans méconnaitre les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
4. En second lieu, après avoir relevé que l'administration fiscale s'était bornée, pour établir les rappels de retenue à la source en litige au titre des années 2011 et 2014, à apprécier, au regard des stipulations des contrats qui lui avaient été présentés, dont ceux signés en 2011 avec la société belge Les Mills Belgium et en 2012 avec la société maltaise Les Mills Euromed, qu'elle n'avait pas écartés comme ne lui étant pas opposables, la nature des sommes versées successivement à ces deux sociétés, qu'elle avait regardées comme des redevances acquittées en contrepartie de la concession de droits appartenant à la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International et, s'agissant des sommes versées à la société Les Mills Belgium, qui en était le bénéficiaire effectif, la cour administrative d'appel a pu, sans entacher son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits, juger que, contrairement à ce que soutenait la société requérante, l'administration fiscale n'avait pas implicitement mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit sans lui accorder les garanties attachées à cette procédure.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment des stipulations des contrats intitulés " Sub distribution agreement ", conclus par la société Planet respectivement avec la société belge Les Mills Belgiun en 2011 et avec la société maltaise Les Mills Euromed en 2012, que les droits concédés à la société française portaient sur la commercialisation auprès de clubs de fitness de programmes sportifs comprenant des cours vidéo mis en musique, un logiciel de gestion de ces cours, l'accès à une banque d'images, la formation des instructeurs de fitness ainsi que la possibilité d'utiliser la marque Les Mills et les marques des programmes sportifs associés, de sorte que le droit de distribution concédé à la société Planet s'accompagnait de l'usage ou de la concession de l'usage d'une marque, d'un savoir-faire et d'informations demeurant la propriété de la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International.
6. La cour administrative d'appel de Marseille a jugé, par des motifs non contestés en cassation, que ces sommes étaient passibles de la retenue à la source prévue par le I de l'article 182 B du code général des impôts en vertu duquel donnent lieu à l'application d'une telle retenue à la source, au taux alors applicable de 33 1/3 %, " lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : /(...)/ b. (...) tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés ; / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ", sans que la société Planet ne puisse se prévaloir de l'exonération prévue à l'article 182 B bis du même code.
7. La cour a ensuite jugé que les sommes en litige devaient, au regard des conventions destinées à éviter les doubles impositions applicables en l'espèce, être qualifiées non de " bénéfices d'entreprises ", imposables, en l'absence d'établissement stable en France, uniquement dans l'Etat dans lequel sont établies les entreprises les ayant reçues, à savoir la Belgique ou Malte, mais de " redevances " susceptibles de faire l'objet d'une retenue à la source dans la limite du taux de 10 % qu'autorisaient tant la convention conclue entre la France et la Nouvelle Zélande, regardée par la cour comme applicable aux sommes versées à la société Les Mills Belgium dès lors que la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International en était le bénéficiaire effectif, que la convention conclue entre la France et Malte et que l'administration fiscale a retenu pour établir les rappels en litige au titre des années 2011 à 2014, de même que la contribuable pour calculer la retenue à la source qu'elle a spontanément acquittée au titre des années 2015 et 2016. La société Planet conteste, d'une part, la qualification conventionnelle donnée par la cour aux sommes en litige et, d'autre part, l'appréciation qu'elle a portée quant au bénéficiaire effectif des sommes versées à la société Les Mills Belgium.
En ce qui concerne la qualification, au regard des conventions fiscales, des sommes versées par la société Planet :
8. D'une part, aux termes de l'article 4 de la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l'État contractant où se trouve situé l'établissement stable dont ils proviennent. (...) ". Aux termes de l'article 7 de l'accord du 25 juillet 1977 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. / (...) ".
9. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention signée le 10 mars 1964 avec la Belgique : " 1. Les redevances et autres produits provenant soit de la concession de l'usage de biens mobiliers incorporels, tels que les brevets d'invention, modèles, formules et procédés secrets, marques de fabrique et autres droits analogues, soit de la vente de ces biens, les droits d'auteur et de reproduction, ainsi que les revenus tirés de la location des films cinématographiques, ne sont imposables que dans l'Etat contractant dont le bénéficiaire est un résident. / Toutefois, lorsque le bénéficiaire de ces redevances ou produits possède dans l'autre Etat contractant un établissement stable ou une installation fixe qui intervient à un titre quelconque dans les opérations génératrices de ces revenus, ceux-ci ne sont imposables que dans cet autre Etat. / Ces dispositions s'appliquent également aux produits et redevances qui rémunèrent l'usage ou la vente de biens mobiliers corporels. " Aux termes de l'article 12 de l'accord du 25 juillet 1977 conclu avec Malte : " 1. Les redevances provenant d'un État contractant et payées à un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État. / 2. Toutefois, ces redevances peuvent être imposées dans l'État contractant d'où elles proviennent et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les redevances en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des redevances. / (...) / 4. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage (...) d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets, ou pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique / (...) ". Aux termes de l'article 12 de la convention fiscale signée le 30 novembre 1979 avec la Nouvelle-Zélande : " 1. Les redevances provenant d'un Etat et payées à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces redevances sont aussi imposables dans l'Etat d'où elles proviennent et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les redevances en est le bénéficiaire effectif l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des redevances. / 3. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage (...) d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets, ainsi que pour l'usage ou la concession de l'usage d'un équipement industriel, commercial ou scientifique et pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique. /(...) ".
10. En premier lieu, la cour a pu sans commettre d'erreur de droit se fonder, pour apprécier la nature des droits cédés à la société Planet, non seulement sur les stipulations des contrats signés avec la société belge Les Mills Belgium en 2011 et avec la société maltaise Les Mills Euromed en 2012, mentionnés au point 4, mais aussi sur celles d'un contrat signé avec la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International en 1998, dont elle a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'il aurait été résilié. En second lieu, en jugeant, après avoir souverainement interprété sans les dénaturer ces stipulations contractuelles, que les sommes versées par la société Planet en contrepartie des droits qui lui étaient cédés ne pouvaient être qualifiées de " bénéfices d'entreprises " au sens et pour l'application des stipulations des conventions mentionnées au point 8 mais avaient la nature de " redevances " au sens et pour l'application des stipulations des conventions mentionnées au point 9, la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la société requérante et n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, a, par une décision suffisamment motivée, exactement qualifié les faits soumis à son appréciation.
En ce qui concerne le bénéficiaire effectif des sommes versées à la société belge Les Mills Belgium :
11. Pour juger, dans l'arrêt contesté sous le n° 497804, que le bénéficiaire effectif des sommes versées en 2011 par la société Planet à la société belge Les Mills Belgium était la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International, de sorte que les stipulations de l'article 12 de la convention fiscale signée avec la Nouvelle-Zélande étaient applicables, à l'exclusion de celles de l'article 8 de la convention signée avec la Belgique prohibant toute retenue à la source, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur ce qu'il résultait de l'instruction que ces sommes rémunéraient l'usage de droits demeurant la propriété de la société néo-zélandaise, sur ce que la société Planet avait elle-même indiqué, dans un mémoire du 29 juin 2022, que les flux financiers provenant des clients des pays des sous-distributeurs étaient centralisés en Belgique puis à Malte pour ensuite être versés en Nouvelle-Zélande et sur ce que la société Planet ne produisait, en l'absence de toute précision quant aux liens contractuels unissant les sociétés belge et néo-zélandaise et aux mouvements financiers entre les différentes sociétés " du groupe ", aucun élément, qu'elle seule était en mesure d'apporter, de nature à établir que la société belge aurait été en droit d'utiliser les sommes en litige et d'en jouir sans être limitée par une quelconque obligation, notamment contractuelle, de céder les paiements reçus à la société néo-zélandaise. En statuant ainsi, la cour qui n'a pas insuffisamment motivé son arrêt et qui a souverainement apprécié les pièces du dossier qui lui était soumis sans les dénaturer, n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Planet n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 font par suite obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la société Planet sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Planet et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 décembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 497803
ECLI:FR:CECHR:2025:497803.20251215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats
Lecture du lundi 15 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
I. - La société Planet a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source qui lui ont été réclamés au titre des années 2011 à 2014 ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement nos 1605447, 1605448, 1705980 du 18 mai 2018, ce tribunal a fait droit à sa demande mais rejeté les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un arrêt n° 18MA04302 du 15 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annulé l'article 1er de ce jugement et rétabli les rappels de retenue à la source en litige.
Par une décision n° 444451 du 20 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la même cour.
Par un arrêt n° 22MA01511 du 11 juillet 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'article 1er du jugement du 18 mai 2018 et rétabli les rappels de retenue à la source en litige.
Sous le n° 497804, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 septembre et 13 décembre 2024 et le 14 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Planet demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. - La société Planet a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des retenues à la source qu'elle a acquittées au titre des années 2015 et 2016. Par un jugement n° 2008138 du 18 juillet 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22MA02484 du 11 juillet 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Planet contre ce jugement.
Sous le n° 497803, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 13 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Planet demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus ;
- l'accord du 25 juillet 1977 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- la convention signée le 30 novembre 1979 entre la France et la Nouvelle-Zélande en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la société Planet ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 novembre 2025, présentée par la société Planet sous le n° 497804.
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois nos 497803 et 497804 présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité portant sur les exercices clos au cours des années 2011 à 2014, la société Planet, qui exerce une activité de distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, a été assujettie à des rappels de retenue à la source à raison de sommes versées en 2011 à la société Les Mills Belgium, établie en Belgique, puis de 2012 à 2014 à la société Les Mills Euromed, établie à Malte, en contrepartie du droit de distribuer des programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills Aerobics International, établie en Nouvelle-Zélande. Sous le n° 497804, la société Planet se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi après annulation par une décision n° 444451 du 20 mai 2022 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux d'un premier arrêt du 15 juillet 2020, a annulé le jugement du 18 mai 2018 du tribunal administratif de Marseille qui avait prononcé la décharge des rappels de retenue à la source en litige et rétabli ces impositions. Sous le n° 497803, elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 18 juillet 2022 du tribunal administratif de Marseille rejetant sa demande tendant à la décharge des retenues à la source qu'elle avait spontanément acquittées à raison des sommes versées, dans ce même cadre, en 2015 et 2016, à la société maltaise Les Mills Euromed.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, en jugeant que les propositions de rectification des 4 décembre 2014 et 2 mars 2015 étaient suffisamment motivées, la cour administrative d'appel de Marseille, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a porté sur les pièces du dossier qui lui étaient soumises une appréciation souveraine exempte de dénaturation sans méconnaitre les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
4. En second lieu, après avoir relevé que l'administration fiscale s'était bornée, pour établir les rappels de retenue à la source en litige au titre des années 2011 et 2014, à apprécier, au regard des stipulations des contrats qui lui avaient été présentés, dont ceux signés en 2011 avec la société belge Les Mills Belgium et en 2012 avec la société maltaise Les Mills Euromed, qu'elle n'avait pas écartés comme ne lui étant pas opposables, la nature des sommes versées successivement à ces deux sociétés, qu'elle avait regardées comme des redevances acquittées en contrepartie de la concession de droits appartenant à la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International et, s'agissant des sommes versées à la société Les Mills Belgium, qui en était le bénéficiaire effectif, la cour administrative d'appel a pu, sans entacher son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits, juger que, contrairement à ce que soutenait la société requérante, l'administration fiscale n'avait pas implicitement mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit sans lui accorder les garanties attachées à cette procédure.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment des stipulations des contrats intitulés " Sub distribution agreement ", conclus par la société Planet respectivement avec la société belge Les Mills Belgiun en 2011 et avec la société maltaise Les Mills Euromed en 2012, que les droits concédés à la société française portaient sur la commercialisation auprès de clubs de fitness de programmes sportifs comprenant des cours vidéo mis en musique, un logiciel de gestion de ces cours, l'accès à une banque d'images, la formation des instructeurs de fitness ainsi que la possibilité d'utiliser la marque Les Mills et les marques des programmes sportifs associés, de sorte que le droit de distribution concédé à la société Planet s'accompagnait de l'usage ou de la concession de l'usage d'une marque, d'un savoir-faire et d'informations demeurant la propriété de la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International.
6. La cour administrative d'appel de Marseille a jugé, par des motifs non contestés en cassation, que ces sommes étaient passibles de la retenue à la source prévue par le I de l'article 182 B du code général des impôts en vertu duquel donnent lieu à l'application d'une telle retenue à la source, au taux alors applicable de 33 1/3 %, " lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : /(...)/ b. (...) tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés ; / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ", sans que la société Planet ne puisse se prévaloir de l'exonération prévue à l'article 182 B bis du même code.
7. La cour a ensuite jugé que les sommes en litige devaient, au regard des conventions destinées à éviter les doubles impositions applicables en l'espèce, être qualifiées non de " bénéfices d'entreprises ", imposables, en l'absence d'établissement stable en France, uniquement dans l'Etat dans lequel sont établies les entreprises les ayant reçues, à savoir la Belgique ou Malte, mais de " redevances " susceptibles de faire l'objet d'une retenue à la source dans la limite du taux de 10 % qu'autorisaient tant la convention conclue entre la France et la Nouvelle Zélande, regardée par la cour comme applicable aux sommes versées à la société Les Mills Belgium dès lors que la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International en était le bénéficiaire effectif, que la convention conclue entre la France et Malte et que l'administration fiscale a retenu pour établir les rappels en litige au titre des années 2011 à 2014, de même que la contribuable pour calculer la retenue à la source qu'elle a spontanément acquittée au titre des années 2015 et 2016. La société Planet conteste, d'une part, la qualification conventionnelle donnée par la cour aux sommes en litige et, d'autre part, l'appréciation qu'elle a portée quant au bénéficiaire effectif des sommes versées à la société Les Mills Belgium.
En ce qui concerne la qualification, au regard des conventions fiscales, des sommes versées par la société Planet :
8. D'une part, aux termes de l'article 4 de la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l'État contractant où se trouve situé l'établissement stable dont ils proviennent. (...) ". Aux termes de l'article 7 de l'accord du 25 juillet 1977 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. / (...) ".
9. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention signée le 10 mars 1964 avec la Belgique : " 1. Les redevances et autres produits provenant soit de la concession de l'usage de biens mobiliers incorporels, tels que les brevets d'invention, modèles, formules et procédés secrets, marques de fabrique et autres droits analogues, soit de la vente de ces biens, les droits d'auteur et de reproduction, ainsi que les revenus tirés de la location des films cinématographiques, ne sont imposables que dans l'Etat contractant dont le bénéficiaire est un résident. / Toutefois, lorsque le bénéficiaire de ces redevances ou produits possède dans l'autre Etat contractant un établissement stable ou une installation fixe qui intervient à un titre quelconque dans les opérations génératrices de ces revenus, ceux-ci ne sont imposables que dans cet autre Etat. / Ces dispositions s'appliquent également aux produits et redevances qui rémunèrent l'usage ou la vente de biens mobiliers corporels. " Aux termes de l'article 12 de l'accord du 25 juillet 1977 conclu avec Malte : " 1. Les redevances provenant d'un État contractant et payées à un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État. / 2. Toutefois, ces redevances peuvent être imposées dans l'État contractant d'où elles proviennent et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les redevances en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des redevances. / (...) / 4. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage (...) d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets, ou pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique / (...) ". Aux termes de l'article 12 de la convention fiscale signée le 30 novembre 1979 avec la Nouvelle-Zélande : " 1. Les redevances provenant d'un Etat et payées à un résident de l'autre Etat sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, ces redevances sont aussi imposables dans l'Etat d'où elles proviennent et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les redevances en est le bénéficiaire effectif l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 p. cent du montant brut des redevances. / 3. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage (...) d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets, ainsi que pour l'usage ou la concession de l'usage d'un équipement industriel, commercial ou scientifique et pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique. /(...) ".
10. En premier lieu, la cour a pu sans commettre d'erreur de droit se fonder, pour apprécier la nature des droits cédés à la société Planet, non seulement sur les stipulations des contrats signés avec la société belge Les Mills Belgium en 2011 et avec la société maltaise Les Mills Euromed en 2012, mentionnés au point 4, mais aussi sur celles d'un contrat signé avec la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International en 1998, dont elle a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'il aurait été résilié. En second lieu, en jugeant, après avoir souverainement interprété sans les dénaturer ces stipulations contractuelles, que les sommes versées par la société Planet en contrepartie des droits qui lui étaient cédés ne pouvaient être qualifiées de " bénéfices d'entreprises " au sens et pour l'application des stipulations des conventions mentionnées au point 8 mais avaient la nature de " redevances " au sens et pour l'application des stipulations des conventions mentionnées au point 9, la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la société requérante et n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, a, par une décision suffisamment motivée, exactement qualifié les faits soumis à son appréciation.
En ce qui concerne le bénéficiaire effectif des sommes versées à la société belge Les Mills Belgium :
11. Pour juger, dans l'arrêt contesté sous le n° 497804, que le bénéficiaire effectif des sommes versées en 2011 par la société Planet à la société belge Les Mills Belgium était la société néo-zélandaise Les Mills Aerobics International, de sorte que les stipulations de l'article 12 de la convention fiscale signée avec la Nouvelle-Zélande étaient applicables, à l'exclusion de celles de l'article 8 de la convention signée avec la Belgique prohibant toute retenue à la source, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur ce qu'il résultait de l'instruction que ces sommes rémunéraient l'usage de droits demeurant la propriété de la société néo-zélandaise, sur ce que la société Planet avait elle-même indiqué, dans un mémoire du 29 juin 2022, que les flux financiers provenant des clients des pays des sous-distributeurs étaient centralisés en Belgique puis à Malte pour ensuite être versés en Nouvelle-Zélande et sur ce que la société Planet ne produisait, en l'absence de toute précision quant aux liens contractuels unissant les sociétés belge et néo-zélandaise et aux mouvements financiers entre les différentes sociétés " du groupe ", aucun élément, qu'elle seule était en mesure d'apporter, de nature à établir que la société belge aurait été en droit d'utiliser les sommes en litige et d'en jouir sans être limitée par une quelconque obligation, notamment contractuelle, de céder les paiements reçus à la société néo-zélandaise. En statuant ainsi, la cour qui n'a pas insuffisamment motivé son arrêt et qui a souverainement apprécié les pièces du dossier qui lui était soumis sans les dénaturer, n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Planet n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 font par suite obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la société Planet sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Planet et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 décembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :