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Ariane Web: CAA NANTES 20NT02953, lecture du 7 janvier 2022

Décision n° 20NT02953
7 janvier 2022
CAA de NANTES

N° 20NT02953

4ème chambre
M. LAINE, président
Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE, rapporteur
M. PONS, rapporteur public
SELARL CORNET VINCENT SEGUREL, avocats


Lecture du vendredi 7 janvier 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de la Sarthe a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 novembre 2017 par laquelle le préfet de la Sarthe a refusé de considérer comme éligibles au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) les dépenses relatives aux travaux d'entretien de voirie réalisés en régie par le département au cours de l'année 2017, ainsi que la décision du 23 avril 2018 rejetant son recours gracieux contre cette décision.
Le département de la Sarthe a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 novembre 2018 par laquelle le préfet de la Sarthe a refusé de considérer comme éligibles au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) les dépenses relatives aux travaux d'entretien de voirie réalisés en régie par le département au cours de l'année 2018, ainsi que la décision du préfet du 13 février 2019 rejetant son recours gracieux contre cette décision.
Par un jugement n°s 1805756, 1904031 du 1er juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, annulé les décisions du préfet de la Sarthe des 27 novembre 2017, 23 avril 2018, 23 novembre 2018 et 13 février 2019 et, en second lieu, enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer les demandes de dotation du département de la Sarthe au FCTVA se rapportant aux dépenses d'entretien de voirie pour les années 2017 et 2018 dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la cour d'annuler le jugement n°s 1805756, 1904031 du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020.
Elle soutient que si l'article 34 de la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a élargi le bénéfice du FCTVA aux dépenses d'entretien des bâtiments publics et de la voirie, les dépenses correspondantes doivent cependant respecter les conditions d'éligibilité au FCTVA et notamment doivent avoir été grevées de la taxe sur la valeur ajoutée ; les dépenses réalisées par les moyens propres d'une collectivité territoriale sont en partie hors taxe, notamment les dépenses de personnels qui n'entrent pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée tel que défini aux articles 256 et suivants du code général des impôts ; seules les dépenses de matériel et de matériaux importants, imputées en section d'investissement, peuvent être éligibles au FCTVA ; il en va de même des dépenses de moindre importance qui peuvent être en fin d'exercice transférées en section d'investissement ; le respect de la bonne imputation comptable n'est pas une condition d'éligibilité au FCTVA mais permet un contrôle de l'éligibilité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2021, le département de la Sarthe, représenté par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est irrecevable en raison de sa tardiveté, en application des dispositions de l'article R. 811-2 du code de justice administrative ;
- la position initiale du préfet de la Sarthe consistait à rejeter le bénéfice du FCTVA aux dépenses acquittées au titre des travaux d'entretien de la voirie en régie au motif que ces dépenses n'avaient pas été imputées au compte 615231 de la nomenclature M 52 et n'avaient pas été qualifiées d'immobilisations :
o l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015, n'impose pas que les dépenses d'entretien de la voirie constitue des dépenses d'investissement pour être éligibles au FCTVA, sans faire aucune différence entre les dépenses externalisées et celles réalisées en régie ni de différence entre les dépenses relevant de la section de fonctionnement ou d'investissement ;
o une règle d'imputation comptable ne saurait faire obstacle à l'application de la loi, la nomenclature comptable M 52 ayant été fixée par un arrêté du 18 décembre 2017 ;
- en appel, si le ministre invoque le fait que s'agissant des travaux réalisés en régie, le département n'aurait pas supporté de taxe sur la valeur ajoutée sur les dépenses acquittées au titre des travaux d'entretien de la voirie ferait obstacle à l'éligibilité de ces dépenses en application de l'article R. 1615-2 du code général des collectivités territoriales, cette analyse méconnait les dispositions de l'article L. 1615-1 du code ; il acquitte nécessairement de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de ces dépenses, qui ne peuvent être réduites aux seules dépenses de personnel ; le préfet, saisi d'une demande de FCTVA portant à la fois sur des dépenses éligibles et des dépenses ne l'étant pas, devait identifier les dépenses éligibles et non rejeter l'ensemble.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Angibaud, représentant le département de la Sarthe.
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, le département de la Sarthe a adressé au préfet de ce département le 20 septembre 2017 un état au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour l'année 2017. Par un courrier du 27 novembre 2017, le préfet de la Sarthe l'a informé qu'un montant total de 4 474 864, 99 euros avait été retiré des dépenses éligibles au FCTVA, correspondant à des dépenses de travaux d'entretien de la voirie en régie et de fournitures correspondantes. Le département de la Sarthe a contesté cette décision par un recours gracieux du 24 janvier 2018, qui a été rejeté par une décision du préfet du 23 avril 2018. Le département de la Sarthe a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Sarthe des 27 novembre 2017 et 23 avril 2018.
2. D'autre part, le département de la Sarthe a adressé au préfet le 13 juillet 2018 un état au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour l'année 2018. Par un courrier du 23 novembre 2018, le préfet de la Sarthe l'a informé qu'un montant total de 5 355 401, 18 euros avait été retiré des dépenses éligibles au FCTVA, correspondant à des dépenses de travaux d'entretien de la voirie en régie et de fournitures correspondantes. Le département de la Sarthe a contesté cette décision par un recours gracieux du 10 janvier 2019, qui a été rejeté par une décision du préfet du 13 février 2019. Le département de la Sarthe a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Sarthe des 23 novembre 2018 et 13 février 2019.

3. Par un jugement du 1er juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, annulé pour erreur de droit les décisions du préfet de la Sarthe des 27 novembre 2017, 23 avril 2018, 23 novembre 2018 et 13 février 2019 et, en second lieu, enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer les demandes de dotation du département de la Sarthe au FCTVA se rapportant aux dépenses d'entretien de voirie au cours des années 2017 et 2018 dans un délai de deux mois. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. L'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Les ressources du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée des collectivités territoriales comprennent les dotations ouvertes chaque année par la loi et destinées à permettre progressivement le remboursement intégral de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales et leurs groupements sur leurs dépenses réelles d'investissement ainsi que sur leurs dépenses d'entretien des bâtiments publics et de la voirie payées à compter du 1er janvier 2016 (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1615-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " Les ressources destinées au Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, visé à l'article L. 1615-1, sont réparties entre les régions, les départements, les communes, la métropole de Lyon, leurs groupements, leurs régies, les services départementaux d'incendie et de secours, les centres communaux d'action sociale, les caisses des écoles, le Centre national de la fonction publique territoriale et les centres de gestion des personnels de la fonction publique territoriale au prorata de leurs dépenses éligibles en application de l'article L. 1615-1 (...) ". L'article L. 1615-9 du même code dispose que : " Les modalités de remboursement des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée par les collectivités locales ou les établissements bénéficiaires dudit fonds sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable : " I. - Les dépenses réelles d'investissement des collectivités territoriales et des établissements publics autres que les communautés d'agglomération et les communautés de communes ouvrant droit aux attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article L. 1615-1 sont, sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 1615-2 et R. 1615-3, les dépenses comptabilisées à la section d'investissement du compte administratif principal et de chacun des comptes administratifs à comptabilité distincte des collectivités ou établissements mentionnés à l'article L. 1615-2, au titre : / 1° Des immobilisations et immobilisations en cours, y compris les dépenses d'immobilisation réalisées pour le compte des collectivités et établissements par des mandataires légalement autorisés ; / 2° Des fonds de concours versés à l'Etat en sa qualité de maître d'ouvrage des travaux sur les monuments classés (...) ". L'article R. 1615-2 du même code, dans sa rédaction applicable, dispose que : " Ne figurent pas au nombre des dépenses réelles d'investissement ouvrant droit aux attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les dépenses concernant les immobilisations utilisées pour la réalisation d'opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, sauf si elles sont exclues du droit à déduction de cette taxe par application du 2 de l'article 273 du code général des impôts ; / 2° Les dépenses exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée à l'exception de celles mentionnées aux articles 294 à 296 du code général des impôts ; / 3° Les travaux réalisés pour le compte de tiers ; / 4° Les dépenses relatives à des biens concédés ou affermés auxquelles peuvent être appliquées les dispositions du I de l'article 210 de l'annexe II au code général des impôts ". L'article R. 1615-4 du même code, dans sa rédaction applicable, dispose que : " I. - Les dépenses réelles d'investissement des collectivités territoriales et des établissements publics autres que les communautés d'agglomération et les communautés de communes, définies aux articles R. 1615-1, R. 1615-2 et R. 1615-3, à prendre en considération pour la répartition au titre d'une année déterminée, sont celles afférentes à la pénultième année (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation des décisions litigieuses, que le préfet de la Sarthe a refusé de considérer comme éligibles au FCTVA les dépenses correspondant aux travaux d'entretien réalisés en régie par le département sur la voirie départementale lorsque ces dépenses ne pouvaient être qualifiées d'immobilisations, excluant de ce fait les achats pour ces travaux de matériels ou de fournitures comptabilisés dans des comptes de classe 6. Le préfet invitait dès lors, dans les décisions litigieuses, le comptable du département à procéder à des transferts au sein des comptes de la collectivité pour classer les dépenses d'entretien pouvant avoir la nature d'immobilisations. Néanmoins, ainsi que l'a précisé le tribunal administratif de Nantes, il ressort des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, dont le sens est clair et d'ailleurs conforté par les débats au sein de la commission des finances qui a procédé par un amendement à l'ajout des dépenses relatives à l'entretien de la voirie des collectivités territoriales, que le législateur a entendu étendre l'éligibilité au FCTVA des dépenses d'entretien de la voirie sans exiger que ces dépenses puissent être nécessairement qualifiées d'immobilisations. Le préfet, chargé d'examiner les états produits pour déterminer les droits de la collectivité au FCTVA, ne saurait donc exclure du bénéfice de ce fonds les dépenses d'achats de matériels ou de fourniture pour les travaux d'entretien de la voirie réalisés en régie par la personne publique au motif que ces dépenses ne pourraient être assimilées à des immobilisations et ont été comptabilisés dans des comptes de classe 6, lesquels correspondent à des comptes de charges de fonctionnement. Dès lors, compte tenu de l'erreur de droit ainsi commise, la ministre appelante n'est pas fondée à soutenir que les dépenses de matériels et de matériaux effectuées par le département en vue de l'entretien de sa voirie doivent, pour être éligibles au FCTVA, être transférées en section d'investissement par le comptable du département, dès lors qu'il n'est pas contesté que ces dépenses ont été grevées de la taxe sur la valeur ajoutée.

7. Par ailleurs, comme le soutient la ministre appelante, il ressort des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, qui mentionne " la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales ", que ne sont éligibles au FCTVA que les dépenses acquittées par le département de la Sarthe qui ont été grevées de la taxe sur la valeur ajoutée, au nombre desquelles ne figurent pas, notamment, les dépenses correspondant au traitement des fonctionnaires et agents du département affectés à l'entretien de la voirie effectué en régie. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier, notamment des états adressés par le département de la Sarthe pour le calcul de sa dotation au titre du FCTVA au titre des années 2017 et 2018, que ce dernier a précisément exclu, dans les états n° 2 -A, le montant correspondant au coût de l'entretien de sa voirie par son propre " parc " comme n'ayant pas été grevé par la taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de 4 367 963, 87 euros pour l'année 2017 et 4 257 262, 45 euros pour l'année 2018. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ne conteste pas le fait que, après exclusion des dépenses nécessairement non éligibles telles que celles concernant des biens mis à disposition de tiers non bénéficiaires, les dépenses hors taxes et les autres dépenses exclues, les autres dépenses, retenues comme éligibles au FCTVA par le département dans les états présentés, ont quant à elles été grevées de la taxe sur la valeur ajoutée et entrent dès lors dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel par le département de la Sarthe, que la ministre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du préfet de la Sarthe des 27 novembre 2017, 23 avril 2018, 23 novembre 2018 et 13 février 2019 et a enjoint au préfet de réexaminer les demandes de dotation du département de la Sarthe au FCTVA se rapportant aux dépenses d'entretien de voirie pour les années 2017 et 2018 dans un délai de deux mois.

Sur les frais du litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au département de la Sarthe en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera au département de la Sarthe la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au département de la Sarthe.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2022.

La rapporteure,





M. BERIA-GUILLAUMIELe président,





L. LAINÉ

La greffière,



S. LEVANT
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT02593


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