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Ariane Web: Conseil d'État 284706, lecture du 5 avril 2006, ECLI:FR:CESSR:2006:284706.20060405

Décision n° 284706
5 avril 2006
Conseil d'État

N° 284706
ECLI:FR:CESSR:2006:284706.20060405
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
Mme Hagelsteen, président
M. Jean-Claude Mallet, rapporteur
Mme Prada Bordenave, commissaire du gouvernement
SCP ROGER, SEVAUX ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 5 avril 2006
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°/, sous le n° 284706, la requête, enregistrée le 2 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011), AMNESTY INTERNATIONAL, dont le siège est 76, boulevard de la Villette à Paris (75019), la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, dont le siège est 138, rue Marcadet à Paris (75018) et l'ACTION DES CHRETIENS POUR L'ABOLITION DE LA TORTURE, dont le siège est 7, rue Georges Lardennois à Paris (75019) ; le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision en date du 30 juin 2005 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) fixant la liste des pays d'origine sûrs ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à chacune des associations, de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




Vu 2°/, sous le n° 284711, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 septembre 2005 et 21 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association FRANCE TERRE D'ASILE, dont le siège est 25, rue Ganneron à Paris (75018) et l'association FORUM REFUGIES, dont le siège est BP 1054 F à Villeurbanne Cedex (69612) ; les associations FRANCE TERRE D'ASILE et FORUM REFUGIES demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision en date du 30 juin 2005 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant la liste des pays d'origine sûrs ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à chacune des associations, de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son article 55 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;
Vu la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 ;
Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres ;

Vu la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Mallet, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat du GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, d'AMNESTY INTERNATIONAL, de la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, d'ACTION DES CHRETIENS POUR L'ABOLITION DE LA TORTURE, de l'association LA CIMADE, de l'association GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE, de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de FRANCE TERRE D'ASILE et du FORUM REFUGIES,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;




Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même décision du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une unique décision ;

Sur l'intervention de l'association LA CIMADE et de l'association GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE :

Considérant que l'association LA CIMADE et l'association GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE ont intérêt à l'annulation de la décision attaquée ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;

Sur la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le conseil d'administration de l'OFPRA : fixe..., pour la période comprise entre la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 et l'adoption de dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés comme des pays d'origine sûrs, mentionnés au 2° de l'article L. 741-4... ; qu'aux termes du 2° de l'article L. 741-4 du même code, un pays d'origine est considéré comme sûr : s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ; qu'en application de ces dispositions, le conseil d'administration de l'OFPRA a, par une délibération en date du 30 juin 2005, fixé la liste suivante des pays d'origine sûrs : le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, la Géorgie, le Ghana, l'Inde, le Mali, Maurice, la Mongolie, le Sénégal et l'Ukraine ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été prise par le conseil d'administration de l'OFPRA, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 722-1 du code ; que la circonstance que le ministère des affaires étrangères aurait préparé, avant la réunion du 30 juin 2005, un projet de liste de pays d'origine sûrs, lequel aurait été soumis aux membres du conseil d'administration, ne saurait permettre d'affirmer, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, que le conseil d'administration de l'office n'est pas l'auteur de la décision attaquée, dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait de procéder de la sorte et qu'il ressort du compte-rendu de la séance du 30 juin 2005 que les membres du conseil d'administration se sont effectivement prononcés sur la composition de ladite liste ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de la séance du conseil d'administration, que la décision du 30 juin 2005 par laquelle le conseil d'administration de l'OFPRA a fixé la liste des pays d'origine sûrs a été prise dans le respect des conditions procédurales définies par le chapitre II du décret du 14 août 2004 relatif à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Commission des recours des réfugiés, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes ;

Considérant que la décision attaquée, qui revêt un caractère réglementaire, n'avait pas à être motivée ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

Considérant que les associations requérantes ne sauraient utilement se prévaloir des stipulations du cinquième alinéa du préambule de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 qui, se bornant à exprimer le voeu que tous les Etats, reconnaissant le caractère social et humanitaire du problème des réfugiés, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ce problème ne devienne une cause de tension entre Etats , sont dépourvues d'effet direct ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 : A. Aux fins de la présente Convention, le terme réfugié s'appliquera à toute personne :... 2. Qui,... craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays... ; que l'établissement d'une liste de pays d'origine sûrs a pour effet de permettre l'application d'une procédure prioritaire pour l'examen par l'OFPRA des demandes d'asile émanant des ressortissants desdits pays ; qu'une telle disposition ne saurait exempter l'administration de procéder à l'examen individuel de chaque dossier, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, ni le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait illégale en ce qu'elle aurait créé un cas de compétence liée de l'autorité administrative non prévu par la loi, ni le moyen tiré de ce que la décision attaquée rendrait impossible la prise en compte par l'office de la volonté éventuelle du demandeur d'asile de ne pas se réclamer, en raison de sa crainte d'être persécuté, de la protection de son pays d'origine ne peuvent être accueillis ;

Considérant que les associations requérantes soutiennent que la décision attaquée introduit une discrimination contraire aux termes de l'article 3 de la convention relative au statut des réfugiés susvisée, selon lesquels : Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine ; que les demandeurs d'asile provenant de pays considérés comme sûrs au sens des dispositions précitées de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se trouvent placés dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile venant d'autres pays ; qu'ainsi, la circonstance que les règles de procédure applicables soient différentes selon que le demandeur est originaire ou non d'un pays considéré comme sûr n'est pas contraire aux stipulations précitées, dès lors que l'examen individuel effectué par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, par la commission des recours des réfugiés, assure le respect des garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre du droit d'asile ;

Considérant que les associations intervenantes font valoir que la décision attaquée mettrait en place un mécanisme de non admission automatique d'une catégorie de demandeurs d'asile, en méconnaissance du principe de non refoulement posé par les stipulations de l'article 33 de la convention relative aux réfugiés, aux termes desquelles : 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; que l'organisation d'une procédure d'examen prioritaire, associée à l'obligation, qui incombe à l'office de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, à la commission des recours des réfugiés, de procéder, dans chaque cas, à un examen individuel de la demande, ne saurait s'analyser comme une procédure automatique de refoulement des réfugiés au sens de ces stipulations ; qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur... l'origine nationale... ; que, si les associations requérantes entendent faire valoir que la décision attaquée méconnaît les stipulations combinées des articles 3 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle permet de refuser l'admission sur le territoire français à certains demandeurs d'asile au seul motif qu'ils possèdent la nationalité d'un pays réputé sûr, un tel moyen ne peut qu'être écarté, dès lors qu'il ressort des dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les demandeurs d'asile provenant de ces pays bénéficient dans tous les cas du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA et ne peuvent, en conséquence, faire l'objet d'aucune mesure d'éloignement avant l'intervention de cette décision ; qu'en tout état de cause, la décision fixant le pays de destination qui accompagnera, le cas échéant, la mesure d'éloignement prise à leur encontre ultérieurement devra être conforme aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dans cette mesure, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté ;

Considérant que, si les associations requérantes font valoir que la fixation d'une liste de pays d'origine sûrs est contraire au principe constitutionnel d'égalité, l'obligation de fixer une telle liste résulte de la loi ; qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la conformité de la loi avec le principe constitutionnel d'égalité ;

Considérant qu'en retenant, sur la liste des pays d'origine considérés comme sûrs, des Etats autres que ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques, le conseil d'administration de l'OFPRA n'a pas méconnu les critères posés par l'article L. 741-4 du code ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le conseil d'administration aurait, en l'espèce, inexactement apprécié la situation des pays retenus au regard de ces critères, alors notamment qu'il a élaboré cette liste en tenant compte de l'ensemble des informations dont disposait l'Office à la date à laquelle il s'est prononcé, en particulier des rapports établis sur ces pays par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision en date du 30 juin 2005 par laquelle le conseil d'administration de l'OFPRA a fixé la liste des pays d'origine sûrs ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que, d'une part, le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES et autres, d'autre part, les associations LA CIMADE et GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE, qui ne sont qu'intervenantes, demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'association LA CIMADE et de l'association GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE sont admises.
Article 2 : Les requêtes n° 284706 et 284711 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions des associations LA CIMADE et GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, à AMNESTY INTERNATIONAL, à la LIGUE DES DROITS DE L'HOMME, à l'ACTION DES CHRETIENS POUR L'ABOLITION DE LA TORTURE, à FRANCE TERRE D'ASILE, à l'association FORUM REGUGIES, à l'association LA CIMADE, à l'association GROUPE ACCUEIL ET SOLIDARITE et au ministre des affaires étrangères.


Voir aussi