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Ariane Web: Conseil d'État 353470, lecture du 12 février 2014, ECLI:FR:CESSR:2014:353470.20140212

Décision n° 353470
12 février 2014
Conseil d'État

N° 353470
ECLI:FR:CESSR:2014:353470.20140212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
Mme Julia Beurton, rapporteur
Mme Maud Vialettes, rapporteur public
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats


Lecture du mercredi 12 février 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu 1°, sous le n° 353470, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 octobre 2011 et 18 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le syndicat de la magistrature, dont le siège est 12-14, rue Charles Fourier à Paris (75013), représenté par son président ; le syndicat requérant demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 août 2011 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés portant création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein du ministère de la justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu 2°, sous le n° 353529, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 octobre 2011 et 20 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le syndicat national des magistrats - Force ouvrière, dont le siège est 46, rue des Petites Ecuries à Paris (75010), représenté par son secrétaire général ; le syndicat requérant demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 août 2011 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés portant création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein du ministère de la justice ;

....................................................................................


Vu 3°, sous le n° 353580, la requête, enregistrée le 24 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, dont le siège est 4, boulevard du Palais à Paris (75001), représenté par sa secrétaire générale, par l'union générale des syndicats pénitentiaires C.G.T, dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93515), représentée par sa secrétaire générale, et par le syndicat CGT de la protection judiciaire de la jeunesse C.G.T.-P.J.J., dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93515), représenté par son secrétaire général ; les syndicats requérants demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 août 2011 du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés portant création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein du ministère de la justice, en tant qu'il a, premièrement, au 3° de l'article 3, réservé un siège au sein du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel à une organisation professionnelle de magistrats, deuxièmement, au 3° de l'article 8, prévu au sein des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail départementaux la présence du coordonnateur de la plate-forme interrégionale de services ou du chef du département des ressources humaines et de l'action sociale de cette plate-forme, enfin, au premier alinéa de l'article 10, limité la création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail spéciaux aux établissements pénitentiaires d'au moins deux cents agents ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à chacun d'eux, de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens ;

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, modifiée notamment par la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 ;

Vu le décret n° 82-453 du 28 mai 1982, modifié notamment par le décret n° 2011-774 du 28 juin 2011 ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

Vu le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;

Vu l'arrêté du 15 juin 2011 portant création des comités techniques dans les services relevant de la direction de l'administration pénitentiaire ;

Vu l'arrêté du 22 mars 2012 modifiant divers arrêtés du 9 juillet 2008 relatifs à l'organisation des services du secrétariat général du ministère de la justice ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, Auditeur,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat du syndicat de la magistrature ;




1. Considérant que les requêtes du syndicat de la magistrature, du syndicat national des magistrats - Force ouvrière, du syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires et autres doivent être regardées comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions de l'article 3, du 3° de l'article 8 et du premier alinéa de l'article 10, en tant qu'il limite l'institution de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail spéciaux aux établissements pénitentiaires dont l'effectif est d'au moins deux cents agents, de l'arrêté du 8 août 2011 portant création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein du ministère de la justice ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité externe des dispositions attaquées :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que le secrétaire général du ministère de la justice avait, du fait de sa nomination à compter du 1er septembre 2010, par décret du 3 août 2010, qualité pour signer l'arrêté attaqué, par délégation du garde des sceaux, ministre de la justice ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les modifications apportées au projet d'arrêté, après la consultation du comité technique paritaire ministériel le 13 juillet 2011, résultent d'amendements proposés au cours de la réunion de ce comité, qui en a débattu ; que, par suite, le syndicat de la magistrature n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le comité technique paritaire ministériel n'aurait pas été mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par le projet ;

4. Considérant, en troisième lieu, que si le syndicat national de la magistrature - Force ouvrière soutient que le comité technique paritaire ministériel n'aurait pas été régulièrement consulté, il se borne à de simples allégations qui ne sont aucunement étayées, alors que le ministre a produit en défense la convocation à la réunion de ce comité du 13 juillet 2011 ainsi que son ordre du jour et son procès-verbal ; que le moyen doit, par suite, être écarté ;

Sur la légalité interne des dispositions attaquées :

En ce qui concerne l'article 3 :

5. Considérant qu'en vertu de l'article 16 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, tel que modifié par l'article 10 de la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social, un ou plusieurs comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail sont institués dans toutes les administrations de l'Etat et comprennent " des représentants de l'administration et des représentants désignés par les organisations syndicales " ; qu'en application de ces dispositions, l'article 42 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, dans sa rédaction issue du décret du 28 juin 2011, précise, dans ses premier et deuxième alinéas, que les représentants du personnel " sont désignés librement par les organisations syndicales de fonctionnaires ", sur la base d'une liste des organisations syndicales habilitées à procéder à cette désignation fixant le nombre de sièges auxquels elles ont droit, arrêtée " proportionnellement au nombre de voix obtenues lors de l'élection ou de la désignation des représentants du personnel dans les comités techniques " ; que ce même article 42 dispose, dans ses troisième et sixième alinéas, que : " Par dérogation au deuxième alinéa, en l'absence de comité technique au niveau où est créé le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la liste des organisations syndicales habilitées à désigner des représentants ainsi que le nombre de sièges auxquels elles ont droit peut être arrêtée / (...) 3° (...) après une consultation du personnel organisée selon les modalités prévues aux articles 18 à 33 du décret n° 2011-184 du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat " ;

6. Considérant que le ministre de la justice a, à l'article 3 de l'arrêté attaqué, défini la composition du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel, en prévoyant qu'il comprendrait, outre le garde des sceaux, ministre de la justice, ou son représentant, président, et le secrétaire général du ministère ou son représentant, " sept représentants du personnel, dont six désignés par les organisations syndicales les plus représentatives au vu des élections au comité technique ministériel et un magistrat désigné par l'organisation professionnelle de magistrats la plus représentative au vu des élections à la commission d'avancement, membres titulaires, et sept membres suppléants désignés dans les mêmes conditions " ;

7. Considérant que les magistrats relèvent d'un statut spécifique et constitutionnellement garanti, défini par l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ; que, toutefois, les dispositions relatives à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail ne relèvent pas du statut au sens de l'article 64 de la Constitution ; que le pouvoir réglementaire pouvait ainsi légalement prévoir la participation des magistrats au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail institué au sein du ministère de la justice ; que, cependant, la représentation des magistrats, qui ne participent pas au comité technique ministériel, sur la base des élections à la commission d'avancement ne peut être regardée comme répondant aux conditions prévues au sixième alinéa de l'article 42 du décret du 28 juin 1982 ; qu'ainsi, en définissant des modalités de représentation particulières des magistrats, le garde des sceaux a instauré des modalités de participation non prévues à l'article 42 du décret du 28 juin 1982 et a, ce faisant, excédé sa compétence ;

8. Considérant que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes dirigées contre cet article, les organisations requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'article 3, qui est divisible des autres dispositions de l'arrêté attaqué ;

En ce qui concerne le 3° de l'article 8 :

9. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 39 du décret du 28 mai 1982, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail comprennent, au titre des représentants de l'administration, la ou les autorités auprès desquelles ils sont placés ainsi que " le responsable ayant autorité en matière de gestion des ressources humaines " ;

10. Considérant que l'arrêté attaqué institue dans chaque département un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail départemental, qui comprend notamment, en vertu de son article 8 : " 3° Le coordonnateur de la plate-forme interrégionale de services ou le chef du département des ressources humaines et de l'action sociale de ladite plate-forme (...) " ;

11. Considérant, en premier lieu, que si le statut et les compétences des plates-formes interrégionales de services et des personnels qui les composent n'ont été définis que par l'arrêté du 22 mars 2012 modifiant divers arrêtés du 9 juillet 2008 relatifs à l'organisation des services du secrétariat général du ministère de la justice, soit postérieurement à l'arrêté attaqué, cette circonstance n'entraîne pas, par elle-même, l'illégalité de l'arrêté attaqué ;

12. Considérant, en second lieu, que la circonstance que des difficultés pratiques pourraient être rencontrées dans la participation des coordonnateurs des plates-formes interrégionales de services aux réunions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail départementaux n'est pas de nature à établir que le choix de les faire siéger au sein des comités départementaux, aux côtés de la ou des autorités auprès desquelles ces comités sont placés, serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

13. Considérant qu'il suit de là que les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du 3° de l'article 8 de l'arrêté attaqué ;

En ce qui concerne l'article 10 :

14. Considérant qu'en vertu de l'article 36 du décret du 28 mai 1982, tel que modifié par le décret du 28 juin 2011 précité : " Des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail spéciaux de service ou de groupe de services peuvent être créés, dès lors que le regroupement d'agents dans un même immeuble ou un même ensemble d'immeubles le rend nécessaire, ou que l'importance des effectifs ou des risques professionnels particuliers le justifie : / (...) 2° Concernant les services déconcentrés : / (...) d) Auprès du responsable d'une ou de plusieurs entités d'un service déconcentré par arrêté du chef de service déconcentré concerné (...) " ;

15. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, les établissements pénitentiaires constituent des entités des directions interrégionales des services pénitentiaires, qui sont elles-mêmes des services déconcentrés du ministère de la justice ; que, par suite, la création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail spéciaux dans les établissements pénitentiaires, placés auprès du directeur de l'établissement, ne relève pas de la compétence du garde des sceaux mais de celle de chaque directeur interrégional des services pénitentiaires ; que, par suite, le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires et autres sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de leur requête, à demander pour ce motif l'annulation des mots " dont l'effectif d'agents est d'au moins deux cents " au premier alinéa de l'article 10, ces dispositions étant divisibles des autres dispositions de l'arrêté attaqué ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les syndicats requérants sont seulement fondés à demander l'annulation de l'article 3 et des mots " dont l'effectif d'agents est d'au moins deux cents " à l'article 10 de l'arrêté attaqué ;

Sur les dépens :

17. Considérant que, sous le n° 353580, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la contribution pour l'aide juridique à la charge de l'Etat ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser au syndicat de la magistrature au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, l'union générale des syndicats pénitentiaires CGT et le syndicat CGT de la protection judiciaire de la jeunesse, qui ne font pas état de frais exposés pour les besoins de la présente instance ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 et les mots " dont l'effectif d'agents est d'au moins deux cents " à l'article 10 de l'arrêté du 8 août 2011 sont annulés.
Article 2 : La contribution pour l'aide juridique est mise à la charge de l'Etat sous le n° 353580.
Article 3 : L'Etat versera au syndicat de la magistrature une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes nos 353470 et 353580 est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au syndicat de la magistrature, au syndicat national des magistrats Force ouvrière, au syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, à l'union générale des syndicats pénitentiaires CGT, au syndicat CGT de la protection judiciaire de la jeunesse CGT-PJJ et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


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