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Ariane Web: Conseil d'État 369808, lecture du 21 septembre 2015, ECLI:FR:CECHR:2015:369808.20150921

Décision n° 369808
21 septembre 2015
Conseil d'État

N° 369808
ECLI:FR:CESSR:2015:369808.20150921
Publié au recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
M. Romain Godet, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du lundi 21 septembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 18 janvier 2011 du secrétaire général de la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), à laquelle s'est substituée une décision du 12 décembre 2011 du responsable de la mission " déontologie de la sécurité " du Défenseur des droits, confirmant son refus de lui communiquer des documents administratifs, et en particulier des procès-verbaux d'audition et les documents de travail de cette commission, ainsi que la décision de refus initiale en date du 9 novembre 2010 et, d'autre part, d'enjoindre à la commission de lui communiquer ces documents.

Par un jugement n° 1108719/6-1 du 1er février 2013, le tribunal administratif de Paris, faisant partiellement droit à sa demande, a annulé la décision du 12 décembre 2011 en tant qu'elle a refusé de communiquer la note du rapporteur de la CNDS et a enjoint au Défenseur des droits de procéder à cette communication en occultant les passages relatant les faits exposés lors des procès-verbaux d'audition.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet et 30 septembre 2013 et le 5 août 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er, 3 et 4 de ce jugement n° 1108719/6-1 du 1er février 2013 du tribunal administratif de Paris ;

2°) statuant au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du Défenseur des droits la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 2011-334 du 29 mars 2011 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Romain Godet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. A...B...et à la SCP Rousseau, Tapie, avocat du Défenseur des droits ;



1. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, saisie par M. B...d'une demande de communication de l'ensemble des pièces du dossier ayant abouti à sa recommandation n° 2009-121 du 14 décembre 2009 relative aux conditions d'exécution par des gendarmes des mesures d'éloignement de deux familles étrangères en situation irrégulière, domiciliées dans le département où M. B... exerçait à l'époque des faits les fonctions de chef du bureau de l'état civil et des étrangers de la préfecture, la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a refusé d'y faire droit dans son intégralité par une décision du 9 novembre 2010 ; que par une décision du 18 janvier 2011, le secrétaire général de la CNDS a communiqué à M. B...les seuls documents pour lesquels la commission d'accès aux documents administratifs, saisie par M.B..., avait donné un avis favorable à leur communication ; qu'au cours de l'instance introduite par M. B... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation des décisions précitées des 9 novembre 2010 et 18 janvier 2011, le responsable de la mission " déontologie de la sécurité " du Défenseur des droits a, par une décision du 12 décembre 2011, retiré la décision du 18 janvier 2011 et communiqué au requérant les mêmes documents que ceux transmis par la décision du 18 janvier 2011 ;

2. Considérant, en premier lieu, que si le requérant sollicitait la communication de l'ensemble des éléments du dossier sur lequel la CNDS s'est fondée pour émettre sa recommandation du 14 décembre 2009, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ce dossier aurait contenu d'autres documents administratifs, au sens de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, que ceux déjà transmis à celui-ci ainsi que les procès-verbaux d'audition des témoins et des personnes à l'origine de la saisine de la commission et la note du rapporteur ; que, par conséquent, en statuant sur la communicabilité de ces seuls procès-verbaux et note, le tribunal administratif n'a entaché son jugement d'aucune insuffisance de motivation et a statué sur l'ensemble des conclusions qui lui étaient soumises ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'ayant indiqué, dans les motifs de son jugement, d'une part, que la demande de communication formée par M. B...s'inscrivait dans le cadre d'une réclamation relative aux conditions d'exécution des mesures d'éloignement de deux familles étrangères en situation irrégulière dans le département où M. B...exerçait à l'époque ses fonctions et, d'autre part, que les procès-verbaux d'audition des témoins et des personnes à l'origine de la saisine de la CNDS mettaient en cause les conditions de l'intervention à laquelle le requérant avait participé, le tribunal administratif a pu se borner à relever, sans entacher son jugement d'insuffisance de motivation, que, dans les circonstances de l'espèce, la divulgation des témoignages figurant dans ces procès-verbaux était susceptible de porter préjudice à ces personnes ;

4. Considérant, en troisième lieu, que lorsqu'une décision administrative a été retirée en cours d'instance par une décision ultérieure de l'autorité compétente sans qu'aucun des éléments du dispositif ou des motifs de la décision initiale n'ait été modifié, les conclusions dirigées contre cette dernière doivent être regardées comme également dirigées contre la nouvelle décision qui s'y est substituée ; que, lorsque le retrait a acquis un caractère définitif, les conclusions dirigées contre la première décision deviennent sans objet ;

5. Considérant, d'une part, qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 12 décembre 2011 du responsable de la mission " déontologie de la sécurité " du Défenseur des droits a expressément procédé au retrait de la décision du 18 janvier 2011 et lui a substitué une nouvelle décision ; que par cette dernière, le Défenseur des droits a communiqué à M. B...les mêmes documents que ceux qui lui avaient été transmis par la décision du 12 décembre 2011 et lui a refusé la communication des documents qui ne lui avaient pas été communiqués par cette même décision ; qu'ainsi, aucun des éléments du dispositif ou des motifs de la décision du 18 janvier 2011 n'ayant été modifié, le jugement attaqué a pu regarder les conclusions dirigées contre cette décision comme également dirigées contre la décision du 12 décembre 2011 qui s'y est substituée en tant qu'elle en reprenait sans changement les motifs et le dispositif ;

6. Considérant, d'autre part, qu'il est constant que M. B...n'aurait pu attaquer la décision du 12 décembre 2011 en tant qu'elle retirait une décision qui lui était défavorable et que le délai de recours des tiers à l'encontre de cette décision était expiré ; que, dès lors, le tribunal a, implicitement mais nécessairement, considéré que ce retrait avait acquis un caractère définitif ; qu'ainsi, il a pu, sans erreur de droit, déclarer sans objet les conclusions dirigées contre la décision du 18 janvier 2011 ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 : " Sous réserve des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, concernant les informations nominatives figurant dans des fichiers, toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. " ; qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de cette même loi que, sous réserve des dispositions de son article 6, les autorités mentionnées par son article 1er " sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre " ; qu'aux termes du II de l'article 6 de la même loi : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / - dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle / - portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / - faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. " ;

8. Considérant, d'une part, qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1978 que les dispositions de son article 3 ont pour objet de permettre à toute personne de connaître des informations contenues dans tout document administratif, lorsqu'une décision ayant pour fondement lesdites informations lui est opposée ; qu'en relevant, au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'aucune décision visant M. B...n'avait été prise ni n'était envisagée sur la base des éléments figurant dans les pièces de la procédure suivie devant la CNDS dont il sollicitait la communication, et en en déduisant que ces documents n'avaient pas le caractère de documents dont les conclusions sont opposées à l'intéressé au sens de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ;

9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions mentionnées au 7. de la présente décision que l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 s'applique dans les conditions fixées par son article 2 ; qu'en conséquence, les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 de la loi peuvent être opposées à une demande formulée sur le fondement de l'article 3 ; qu'ainsi, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en énonçant que les dispositions de l'article 3 n'avaient ni pour objet ni pour effet de déroger aux restrictions et exceptions prévues à l'article 6 de la loi ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que des témoignages ou des procès-verbaux d'audition peuvent, compte tenu du contexte juridique ou factuel dans lequel ils sont établis, faire apparaître le comportement des personnes qui portent ces témoignages ou sont entendues ; que, dans ces conditions, celles-ci peuvent se voir reconnaître la qualité d'intéressés au sens du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 et la communication de documents faisant apparaître leur comportement ne sont communicables qu'à elles lorsque leur communication à des tiers serait de nature à leur porter préjudice ; qu'ainsi, eu égard au contexte dans lequel s'inscrivaient les procès-verbaux d'audition et à l'objet de ceux-ci, le tribunal administratif a pu, sans erreur de droit et par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, juger, d'une part, que ces documents faisaient apparaître un comportement dont la divulgation était susceptible de porter préjudice aux témoins et aux personnes à l'origine de la saisine de la CNDS et, d'autre part, que M. B...n'étant pas le bénéficiaire de la protection organisée par ces dispositions, il ne pouvait être regardé comme un intéressé au sens de celles-ci, ces documents ne pouvant, dès lors, pour ce motif, lui être communiqués sur ce fondement ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du Défenseur des droits qui n'est pas, dans la présente espèce, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B...est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au Défenseur des droits.


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