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Ariane Web: Conseil d'État 393591, lecture du 14 décembre 2015, ECLI:FR:Code Inconnu:2015:393591.20151214

Décision n° 393591
14 décembre 2015
Conseil d'État

N° 393591
ECLI:FR:CESSR:2015:393591.20151214
Publié au recueil Lebon
6ème / 1ère SSR
Mme Clémence Olsina, rapporteur


Lecture du lundi 14 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1507110 du 17 septembre 2015, enregistré le 18 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Lille, avant de statuer sur la demande de M. B...A...tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 1er septembre 2015 du préfet du Pas-de-Calais lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et ordonnant son placement en rétention, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Les dispositions du dernier alinéa du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposent-elles à l'autorité administrative qui oblige un étranger à quitter le territoire français de prendre, concomitamment à l'édiction de cette obligation, une décision fixant le pays de destination '
2°) L'absence de décision fixant le pays de destination a-t-elle une incidence sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français '
3°) En cas de réponse négative aux deux premières questions, quel recours contentieux est ouvert à l'étranger qui souhaite contester une décision fixant le pays de destination édictée postérieurement à l'obligation de quitter le territoire français '
4°) L'absence de décision fixant le pays de destination affecte-t-elle la légalité de la décision de placement en rétention '
Des observations, enregistrées le 14 octobre 2015, ont été présentées par M.A....
Des observations, enregistrées le 5 novembre 2015, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive n° 2008/115 CEE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Clémence Olsina, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 décembre 2015, présentée par le ministre de l'intérieur ;


REND L'AVIS SUIVANT :

1. L'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que l'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné soit à destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Le même article précise qu'un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y est menacée ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le premier alinéa de l'article L. 513-3 du même code prévoit que la décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne fixant pas, de manière concomitante, le pays de renvoi :

2. Les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixent les cas dans lesquels l'autorité administrative peut obliger un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant, à quitter le territoire français. Elles prévoient que " l'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ".

En vertu de l'article L. 513-1 du même code, l'obligation de quitter le territoire français peut être exécutée d'office lorsqu'elle ne fait pas l'objet de l'un des recours prévus par l'article L. 512-1 ou qu'elle n'a pas fait l'objet d'une annulation et, lorsqu'un délai de départ volontaire a été accordé à l'intéressé, une fois ce délai expiré.

3. Il résulte de ces dispositions, et notamment du I de l'article L. 511-1, que les décisions par lesquelles l'administration refuse ou retire à un étranger le droit de demeurer sur le territoire français, l'oblige à quitter ce territoire et lui signifie son pays de destination sont, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'intégration et à l'immigration, en principe, regroupées au sein d'un acte administratif unique.

La décision fixant le pays de renvoi constitue, en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 513-3, une décision distincte de l'obligation de quitter le territoire français, qui fait d'ailleurs l'objet d'une motivation spécifique. La décision fixant le pays de renvoi est ainsi sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. L'adoption de la décision fixant le pays de renvoi conditionne, en revanche, la possibilité pour l'administration d'exécuter d'office l'obligation de quitter le territoire, dans les conditions prévues à l'article L. 513-1.

Dès lors, la circonstance que l'administration n'édicte pas dans un même acte l'obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi de l'intéressé est sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement, mais fait obstacle à ce qu'elle puisse être exécutée d'office.

Sur la possibilité de placer un étranger en rétention administrative en l'absence de décision fixant le pays de renvoi :

4. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ; / 2° Fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ; / 3° Doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction judiciaire du territoire prévue au deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal ; / 4° Fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission ou d'une décision d'éloignement exécutoire mentionnée à l'article L. 531-3 du présent code ; / 5° Fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois années auparavant en application de l'article L. 533-1 ; / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; / 7° Doit être reconduit d'office à la frontière en exécution d'une interdiction de retour ou d'une interdiction administrative du territoire ; / 8° Ayant fait l'objet d'une décision de placement en rétention au titre des 1° à 7°, n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dont il est l'objet dans un délai de sept jours suivant le terme de son précédent placement en rétention ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code, la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative " après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification à l'intéressé. Le procureur de la République en est informé immédiatement (...) ".

L'article L. 552-1 du même code prévoit que lorsqu'un délai de cinq jours s'est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. L'article L. 552-7 du même code prévoit que lorsqu'un délai de vingt jours s'est écoulé depuis l'expiration du délai de cinq jours mentionné à l'article L. 552-1 et en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, ou lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement, le juge des libertés et de la détention est à nouveau saisi. Celui-ci peut également être saisi lorsque, malgré les diligences de l'administration, la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que l'une ou l'autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai. Il peut également être saisi aux mêmes fins lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement, malgré les diligences de l'administration, pour pouvoir procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai de vingt jours mentionné au premier alinéa.

L'article L. 554-1 dispose qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet.

L'article L. 554-2 prévoit enfin que si la mesure d'éloignement est annulée par le juge administratif, il est immédiatement mis fin au maintien de l'étranger en rétention et que celui ci est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas.

5. Il résulte de ces dispositions, qui ont notamment transposé celles de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, en particulier son article 15, que la rétention administrative a pour objet de permettre l'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Lorsque la rétention administrative est décidée, sur le fondement du 6° de l'article L. 551-1, à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé, la rétention administrative ne peut être légalement décidée que si l'obligation de quitter le territoire français est elle-même légale. La circonstance que l'autorité administrative n'ait pas fixé le pays de renvoi concomitamment à l'obligation de quitter le territoire ne fait pas par elle-même obstacle à ce que l'étranger faisant l'objet de cette obligation soit placé en rétention.

Toutefois, au regard tant de l'objet de la mesure de placement en rétention administrative que des dispositions de l'article L. 554-1 citées ci-dessus, l'administration ne peut placer l'étranger en rétention administrative que dans la mesure où cela est strictement nécessaire à son départ et en vue d'accomplir les diligences visant à permettre une exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, notamment celles qui doivent permettre la détermination du pays de renvoi. Il appartient au juge administratif, saisi sur le fondement du III de l'article L. 512-1, lorsque le caractère strictement nécessaire du placement en rétention est contesté devant lui, de contrôler que l'administration met en oeuvre de telles diligences.

Sur les voies de recours ouvertes à l'étranger souhaitant contester une décision fixant le pays de renvoi édictée postérieurement à l'obligation de quitter le territoire français :

6. L'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, détermine les conditions dans lesquelles le tribunal administratif statue sur les recours formés contre certaines des décisions qui visent à procéder à l'éloignement d'un étranger du territoire français.

Le I de cet article dispose que l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire peut, dans les trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif d'annuler cette mesure ainsi que la décision relative au séjour, celle mentionnant le pays de destination et l'interdiction de retour qui l'accompagnent le cas échéant. Le tribunal administratif statue alors dans un délai de trois mois. Toutefois, si l'étranger fait ensuite l'objet d'un placement en rétention ou d'une assignation à résidence en application de l'article L. 561-2, le paragraphe I précise qu'il est alors statué selon la procédure prévue au III du même article.

Le II de l'article L. 512-1 , applicable à la contestation des mesures qui se rattachent à une obligation de quitter le territoire français qui ne laisse pas de délai de départ volontaire, prévoit que les mêmes décisions, ainsi que celle refusant un délai de départ volontaire, peuvent être contestées, dans un délai limité à quarante-huit heures, devant le tribunal administratif, qui statue dans un délai de trois mois. Le II prévoit, comme le I, que si l'étranger fait ensuite l'objet d'un placement en rétention ou d'une assignation à résidence, il est alors statué selon la procédure prévue au III.

Le III de l'article L. 512-1, applicable en cas de décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence, prévoit que l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification, ainsi que l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d'assignation. Toutefois, si l'étranger est assigné à résidence, son recours en annulation peut porter directement sur l'obligation de quitter le territoire ainsi que, le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.

Dans le cadre de la procédure prévue au III, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue statue au plus tard soixante douze heures après sa saisine, à l'issue d'une audience publique qui se déroule sans conclusions du rapporteur public.

Les modalités d'application de ces dispositions sont précisées par les articles R. 776-1 à R. 776-28 du code de justice administrative. L'article R. 776-2 prévoit notamment que la notification d'une obligation de quitter le territoire français fait courir le délai de trente jours ou de quarante-huit heures, selon que l'intéressé bénéficie ou non d'un délai de départ volontaire, pour contester cette obligation ainsi que la décision relative au pays de renvoi notifiée simultanément.

7. En vertu du deuxième alinéa de l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office " avant que le tribunal administratif n'ait statué s'il a été saisi " et précise que l'étranger en est informé par la notification écrite de l'obligation de quitter le territoire français.

L'article L. 513-3 du même code, qui dispose, comme il a été dit ci-dessus, que : " La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même ", précise en outre que : " Le recours contentieux contre la décision fixant le pays de renvoi n'est suspensif d'exécution, dans les conditions prévues au second alinéa de l'article L. 512-3, que s'il est présenté en même temps que le recours contre l'obligation de quitter le territoire français ou l'arrêté de reconduite à la frontière qu'elle vise à exécuter ".

8. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu instituer, à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une voie de recours spéciale ayant un effet suspensif contre les mesures relatives à l'éloignement des étrangers, parmi lesquelles figure la décision fixant le pays de renvoi de l'intéressé.

Lorsque la décision fixant le pays de renvoi est notifiée à l'intéressé simultanément à l'obligation de quitter le territoire, il appartient à l'étranger souhaitant bénéficier de l'effet suspensif d'exécution du recours prévu à l'article L. 512-1 de contester en même temps l'obligation de quitter le territoire français et la décision distincte, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 513-3.

En revanche, lorsque l'administration notifie la décision fixant le pays de renvoi postérieurement à l'obligation de quitter le territoire français, il ne saurait être fait grief à l'étranger de ne pas avoir contesté simultanément ces deux décisions. Dès lors, dans cette hypothèse, l'étranger conserve la possibilité de contester la décision fixant le pays de renvoi dans les conditions prévues aux articles L. 512-1 et L. 512-3, alors même que la mesure d'éloignement et, le cas échéant, la mesure de placement en rétention, auraient déjà été contestées et que le recours formé contre ces décisions aurait été rejeté par le tribunal administratif. L'exercice de cette voie de recours revêt alors un caractère suspensif et l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution forcée tant que le tribunal administratif n'a pas statué sur ce recours. Le délai de recours court, dans les conditions prévues à l'article L. 512-1, à compter de la notification à l'intéressé de la décision fixant le pays de renvoi. L'exercice de cette voie de recours n'a pas pour effet de prolonger ni de rouvrir le délai de recours contentieux contre l'obligation de quitter le territoire notifiée avant la décision fixant le pays de renvoi.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Lille, à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.




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