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Ariane Web: Conseil d'État 360212, lecture du 3 novembre 2016, ECLI:FR:Code Inconnu:2016:360212.20161103

Décision n° 360212
3 novembre 2016
Conseil d'État

N° 360212
ECLI:FR:CECHR:2016:360212.20161103
Publié au recueil Lebon
6ème - 1ère chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Xavier de Lesquen, rapporteur public


Lecture du jeudi 3 novembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 26 juin 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête par laquelle l'association France Nature Environnement a demandé l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

- Une juridiction nationale, juge de droit commun du droit de l'Union européenne, doit-elle, dans tous les cas, saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin que celle-ci apprécie s'il y a lieu de maintenir provisoirement en vigueur les dispositions jugées contraires au droit de l'Union par la juridiction nationale '

- En cas de réponse affirmative à cette première question, la décision qui pourrait être prise par le Conseil d'Etat de maintenir jusqu'au 1er janvier 2016 les effets des dispositions de l'article 1er du décret du 2 mai 2012 relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement qu'il juge illégales serait-elle notamment justifiée par une considération impérieuse liée à la protection de l'environnement '

Par un arrêt C-379/15 du 28 juillet 2016, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.


Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 26 juin 2015 ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêt C-41-11 du 28 février 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 octobre 2016, présentée par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat ;



1. Considérant que par sa décision du 26 juin 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, à la demande de l'association France Nature Environnement, jugé illégaux l'article 1er du décret attaqué du 2 mai 2012 relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l'environnement, en tant qu'il désigne l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement aux 1°, 3° à 5°, 8°, 14°, 15°, dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, schéma, programme ou document, aux 16°, 25°, 27°, 31°, 32°, 35°, 39° et 43° du I et aux 2° dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 5°, 6° et, dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 10° du II de l'article R. 122-17 du code de l'environnement et l'article 7 en tant qu'il prévoit que les dispositions du décret ne sont pas applicables aux chartes de parcs naturels régionaux dont l'élaboration ou la révision a été prescrite au 1er janvier 2013 ; que, pour constater l'illégalité des dispositions citées ci-dessus ayant pour objet de désigner l'autorité chargée de se prononcer sur l'évaluation environnementale de différents plans et programmes, le Conseil d'Etat s'est fondé sur la méconnaissance des exigences découlant du paragraphe 3 de l'article 6 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ; qu'avant de se prononcer sur les conséquences de l'illégalité des dispositions du décret attaqué, au regard de la possibilité d'une remise en cause de la légalité des plans et programmes pris en application de ces dispositions, ainsi que des actes pris sur le fondement de ces plans et programmes, le Conseil d'Etat a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée notamment sur la question de savoir si une juridiction nationale doit dans tous les cas saisir la Cour à titre préjudiciel afin que celle-ci apprécie s'il y a lieu de maintenir provisoirement en vigueur les dispositions jugées contraires au droit de l'Union par la juridiction nationale ;

2. Considérant que, dans l'arrêt du 28 juillet 2016 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, qu'une juridiction nationale peut, lorsque le droit interne le permet, exceptionnellement et au cas par cas, limiter dans le temps certains effets d'une déclaration d'illégalité d'une disposition du droit national qui a été adoptée en méconnaissance des obligations prévues par la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, en particulier celles découlant de l'article 6, paragraphe 3, de celle-ci, à la condition qu'une telle limitation s'impose par une considération impérieuse liée à la protection de l'environnement et compte tenu des circonstances spécifiques de l'affaire dont elle est saisie ; qu'elle a précisé que cette faculté exceptionnelle ne saurait toutefois être exercée que lorsque toutes les conditions qui ressortent de son arrêt C-41/11 du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne, sont remplies ; qu'il est nécessaire, à cet égard, en premier lieu, que la disposition du droit national attaquée constitue une mesure de transposition correcte du droit de l'Union en matière de protection de l'environnement ; qu'il faut, en deuxième lieu, que l'adoption et l'entrée en vigueur d'une nouvelle disposition du droit national ne permettent pas d'éviter les effets préjudiciables sur l'environnement découlant de l'annulation de la disposition du droit national attaquée ; qu'il faut, en troisième lieu, que l'annulation de cette dernière ait pour conséquence de créer un vide juridique en ce qui concerne la transposition du droit de l'Union en matière de protection de l'environnement qui serait plus préjudiciable à celui-ci, en ce qu'elle se traduirait par une protection moindre et irait ainsi à l'encontre même de l'objectif essentiel du droit de l'Union ; qu'il faut, enfin, et en quatrième lieu, qu'un maintien exceptionnel des effets de la disposition du droit national attaquée ne couvre que le laps de temps strictement nécessaire à l'adoption des mesures permettant de remédier à l'irrégularité constatée ; que, d'autre part, une juridiction nationale dont les décisions ne sont plus susceptibles d'un recours juridictionnel est, en principe, tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel, afin que celle-ci puisse apprécier si, exceptionnellement, des dispositions de droit interne jugées contraires au droit de l'Union peuvent être provisoirement maintenues, au regard d'une considération impérieuse liée à la protection de l'environnement et compte tenu des circonstances spécifiques de l'affaire dont cette juridiction nationale est saisie ; que ladite juridiction nationale n'est dispensée de cette obligation que lorsqu'elle est convaincue, ce qu'elle doit démontrer de manière circonstanciée, qu'aucun doute raisonnable n'existe quant à l'interprétation et à l'application des conditions qui ressortent de l'arrêt de la Cour du 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne ;

3. Considérant que les dispositions du décret attaqué portant transposition de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 fixent des règles de procédure à caractère général qui n'ont pas, par elles-mêmes, d'incidence sur la protection de l'environnement ; qu'il résulte de l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que si le Conseil d'Etat ne saurait, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir contre les dispositions de ce décret, maintenir provisoirement en vigueur, eu égard à leur portée, les dispositions jugées contraires au droit de l'Union, faute de pouvoir porter, par avance, une appréciation circonstanciée, au regard des conditions énoncées par la Cour et rappelées au point 2, sur les décisions dont la légalité pourrait être mise en cause en raison de l'annulation du décret litigieux, il appartient, en revanche, aux juridictions administratives devant lesquelles il serait soutenu à bon droit qu'un plan ou programme pris en application du décret attaqué ou qu'un acte pris sur le fondement d'un de ces plans ou programmes est illégal au motif qu'il a été pris sur le fondement des dispositions en cause du décret du 2 mai 2012 ou que la procédure d'adoption du plan ou programme a méconnu la directive du 27 juin 2001, d'apprécier s'il y a lieu de maintenir provisoirement en vigueur l'acte attaqué et de vérifier, à ce titre, si les conditions rappelées au point 2 sont remplies ;

4. Considérant qu'il suit de là et des motifs de la décision du 26 juin 2015 qu'il y a lieu d'annuler l'article 1er du décret attaqué en tant qu'il désigne l'autorité administrative de l'État compétente en matière d'environnement aux 1°, 3° à 5°, 8°, 14°, 15° dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, schéma, programme ou document, aux 16°, 25°, 27°, 31°, 32°, 35°, 39° et 43° du I et aux 2° dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 5°, 6° et, dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 10° du II de l'article R. 122-17 du code de l'environnement et l'article 7 en tant qu'il prévoit que les dispositions du décret ne sont pas applicables aux chartes de parcs naturels régionaux dont l'élaboration ou la révision a été prescrite au 1er janvier 2013 ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à l'association France Nature Environnement, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Sont annulés :
- l'article 1er du décret du 2 mai 2012 en tant qu'il désigne l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement aux 1°, 3° à 5°, 8°, 14°, 15° dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, schéma, programme ou document, aux 16°, 25°, 27°, 31°, 32°, 35°, 39° et 43° du I et aux 2° dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 5°, 6° et, dans la seule mesure où cette autorité est celle compétente pour élaborer et approuver le plan, 10° du II de l'article R. 122-17 du code de l'environnement ;
- à l'article 7 du même décret, les mots " ni aux chartes de parcs naturels régionaux dont l'élaboration ou la révision a été prescrite à cette date par délibération du conseil régional en application des dispositions du I de l'article R. 333-5 du code de l'environnement ".

Article 2 : L'État versera à l'association France Nature Environnement une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association France Nature Environnement est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, au Premier ministre et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.


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