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Ariane Web: Conseil d'État 419417, lecture du 24 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:419417.20181024
Decision n° 419417
Conseil d'État

N° 419417
ECLI:FR:CECHR:2018:419417.20181024
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP DE NERVO, POUPET ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER, avocats


Lecture du mercredi 24 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

La société Hélène et fils a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-18 du code de justice administrative, en premier lieu, d'annuler la décision de rejet de son offre présentée dans le cadre de la procédure d'attribution du marché de travaux de construction d'un bâtiment de tri sur le site de la déchetterie, lancée par la commune de Saint-Pierre, en deuxième lieu, d'annuler la procédure de passation du lot n° 1 du marché ainsi que toute décision s'y rapportant, en troisième lieu, d'annuler le lot n° 1 du marché, en dernier lieu, d'enjoindre à la commune de Saint-Pierre, si elle entend conclure un marché ayant le même objet, de lancer une nouvelle procédure de passation en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Par une ordonnance n°s 1800007, 1800008 du 16 mars 2018, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a rejeté sa requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mars, 14 avril et 5 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hélène et fils demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- l'arrêté du 9 septembre 2005 pris pour l'application de l'article R. 781-3 du code de justice administrative et fixant les caractéristiques techniques des moyens de communication audiovisuelle susceptibles d'être utilisés pour la tenue d'audiences dans certains tribunaux administratifs d'outre-mer ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Hélène et fils et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de la commune de Saint-Pierre.


1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 22 décembre 2017, la commune de Saint-Pierre a lancé une procédure d'attribution d'un marché de travaux portant sur la construction d'un bâtiment de tri des déchets, décomposé en trois lots ; que la société Hélène et fils a présenté une offre de base et une variante pour le lot n° 1 " gros oeuvre - charpente - bardage - couverture " ; qu'informée de l'intention de la commune de Saint-Pierre d'attribuer ce lot à la société Le Papillon et du rejet de son offre, par courrier du 16 février 2018, reçu le 19 février 2018, la société Hélène et fils a saisi, par requête du 28 février 2018, le juge du référé précontractuel sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; qu'informée, après l'introduction de sa requête, de ce que le contrat avait été signé depuis le 21 février 2018, la société Hélène et fils a demandé au juge du référé contractuel, statuant sur le fondement de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, d'annuler le lot n° 1 du marché ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'ordonnance en date du 16 mars 2018 par laquelle le juge du référé contractuel a rejeté sa demande ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 781-1 du code de justice administrative : " Lorsque des magistrats sont simultanément affectés dans deux ou plusieurs tribunaux administratifs d'outre-mer et que leur venue à l'audience n'est pas matériellement possible dans les délais prescrits par les dispositions en vigueur ou exigés par la nature de l'affaire, le ou les membres de la formation de jugement peuvent siéger et, le cas échéant, le rapporteur public prononcer ses conclusions dans un autre tribunal dont ils sont membres, relié, en direct, à la salle d'audience, par un moyen de communication audiovisuelle " ; qu'aux termes de l'article R. 781-1 de ce code : " Lorsque, en application de l'article L. 781-1, un moyen de communication audiovisuelle est mis en oeuvre pour la tenue d'une audience, le président du tribunal dans lequel siège la formation de jugement peut désigner le greffier en chef, un greffier ou un autre agent du greffe de ce tribunal en qualité de greffier d'audience adjoint ; dans ce cas, la minute de la décision est signée par ce dernier en lieu et place du greffier d'audience. Le président peut, en outre, décider que les expéditions de la décision seront signées et délivrées par le greffier en chef du tribunal dans lequel siège la formation de jugement " ; qu'aux termes de l'article R. 781-2 du même code : " Les prises de vue et de son sont assurées par des agents du greffe ou, à défaut et sauf lorsque l'audience se tient hors la présence du public, par tous autres agents publics " ; qu'aux termes de l'article R. 781-3 du même code : " Les caractéristiques techniques des moyens de communication audiovisuelle utilisés doivent assurer une retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l'égard des tiers. Elles sont définies par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 septembre 2005 pris pour l'application de l'article R. 781-3 du code de justice administrative et fixant les caractéristiques techniques des moyens de communication audiovisuelle susceptibles d'être utilisés pour la tenue d'audiences dans certains tribunaux administratifs d'outre-mer : " Lorsque, en application de l'article L. 781-1 du code de justice administrative, un moyen de communication audiovisuelle est mis en oeuvre pour la tenue d'une audience, la retransmission de l'audience s'opère au moyen d'un système bidirectionnel intégral " ; qu'aux termes de l'article 2 de cet arrêté : " La retransmission s'opère conformément aux normes H320 ou H323 et aux normes UIT (Union internationale des télécommunications) associées " ; qu'aux termes de l'article 3 du même arrêté : " La liaison est chiffrée à l'aide de moyens autorisés sur le fondement du décret du 24 février 1998 susvisé " ;

3. Considérant que la circonstance qu'une partie ne s'est pas opposée à la tenue de l'audience devant le juge du référé ne fait pas obstacle à ce qu'elle se prévale devant le juge de cassation de l'irrégularité du procédé de communication mis en oeuvre pour relier en direct à la salle d'audience le ou les magistrats des tribunaux administratifs d'outre-mer dont la venue à l'audience n'était pas matériellement possible ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon que le juge des référés, qui se trouvait au tribunal administratif de la Martinique et dont la venue à Saint-Pierre-et-Miquelon n'était pas matériellement possible, a décidé d'organiser, depuis le tribunal administratif de la Martinique, une visioconférence avec la salle d'audience du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon ; qu'en raison de difficultés techniques faisant obstacle, malgré plusieurs tentatives, à l'utilisation du dispositif de vidéo-audience prévu par les dispositions citées au point 2, la greffière du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a eu recours à son téléphone portable, mis sur haut-parleur, pour permettre au juge des référés de tenir l'audience du 15 mars 2018 ; que l'usage du téléphone ne permettait que la transmission de messages sonores et non visuels, en méconnaissance des dispositions précitées, notamment de celles de l'article R. 781-2 du code de justice administrative ; qu'en outre, l'usage du téléphone ne garantissait pas non plus le respect des normes prévues par les dispositions précitées de l'article 2 de l'arrêté du 9 septembre 2005 ; que le juge ne peut, à titre exceptionnel, s'affranchir de l'obligation d'une transmission à la fois sonore et visuelle que dans l'hypothèse particulière où, compte tenu du délai nécessaire pour mettre en place un dispositif de communication audiovisuelle ou pour organiser le déplacement du ou des magistrats concernés, il ne pourrait plus statuer utilement sur la requête dont il est saisi ; qu'il résulte de ce qui précède que l'ordonnance attaquée a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulée ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre la somme de 3 000 euros à verser à la société Hélène et fils, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Hélène et fils qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 16 mars 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Article 3 : La commune de Saint-Pierre versera une somme de 3 000 euros à la société Hélène et fils au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Pierre au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Hélène et fils et à la commune de Saint-Pierre.
Copie en sera adressée à la société Le Papillon.


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