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Ariane Web: Conseil d'État 408644, lecture du 10 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:408644.20190710

Décision n° 408644
10 juillet 2019
Conseil d'État

N° 408644
ECLI:FR:CECHR:2019:408644.20190710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
Mme Céline Roux, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
SCP DELVOLVE ET TRICHET ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du mercredi 10 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une décision n°408644 et 408669 du 4 juillet 2018, le Conseil d'Etat a, d'une part, annulé l'arrêt du 3 janvier 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de M. B...A..., annulé le jugement n° 1201866 du 18 décembre 2014 du tribunal administratif de Toulouse rejetant sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 22 février 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a autorisé la mission locale de la Haute-Garonne à le licencier et annulé cette même décision et, d'autre part, réglant l'affaire au fond, sursis à statuer sur l'appel de M. A...dans l'attente de la production des observations des parties.

Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...conclut à ce qu'il soit fait droit à son appel et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la mission locale de la Haute-Garonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- la loi n°2000-312 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la mission locale de la Haute-Garonne et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B...A....


Considérant ce qui suit :

1. M.A..., salarié de la mission locale de la Haute-Garonne ayant la qualité de salarié protégé, relève appel du jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation la décision du 22 février 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, saisi par son employeur d'un recours hiérarchique contre la décision du 15 septembre 2011 de l'inspecteur du travail refusant son licenciement, a, premièrement, retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, deuxièmement, annulé la décision de l'inspecteur du travail et, enfin, autorisé la mission locale de la Haute-Garonne à le licencier.

Sur la décision du ministre en tant qu'elle retire la décision de rejet du recours hiérarchique et annule la décision de l'inspecteur du travail :

2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, aujourd'hui codifiées aux articles L. 121-1, L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi le ministre chargé du travail, saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a eu accès aux documents transmis par son employeur à l'appui de son recours hiérarchique à l'occasion d'une audition devant l'inspecteur du travail le 9 décembre 2011, soit plus de trois mois avant que le ministre ne prenne la décision en litige. Par suite, contrairement à ce qu'il soutient, il a disposé d'un délai le mettant à même de présenter des observations sur ces éléments. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer avérée, que son employeur aurait, à l'appui de son recours hiérarchique, adressé au ministre du travail un dossier incomplet est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

5. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée en raison de ce que, les faits reprochés à M. A...étant parvenus à la connaissance de l'employeur le 15 novembre 2010, ils étaient, par suite, prescrits lorsque la procédure de licenciement a été engagée, le 12 juillet 2011. Pour estimer ce motif illégal et, par suite, retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la mission locale de la Haute-Garonne et annuler la décision de l'inspecteur du travail, le ministre du travail s'est fondé sur ce que, si le délai de prescription avait effectivement couru dès le 15 novembre 2010, des poursuites pénales à raison des mêmes faits avaient été engagées contre M. A...le 21 décembre 2010, interrompant ainsi le délai de prescription.

6. Contrairement à ce que soutient M.A..., la circonstance que l'engagement des poursuites pénales ne résultait pas d'une plainte de son employeur est sans incidence sur le fait que leur engagement a interrompu, y compris à l'égard de celui-ci, le délai de deux mois prévu par les dispositions, citées ci-dessus, de l'article L. 1332-4 du code du travail.

7. La décision de l'inspecteur du travail étant ainsi entachée d'illégalité, M. A... n'est fondé à demander l'annulation, ni du retrait de la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté le recours hiérarchique dirigé contre cette décision, ni de l'annulation, par le ministre, de cette même décision.

Sur la décision du ministre en tant qu'elle autorise le licenciement de M. A... :

En ce qui concerne le motif du licenciement :

8. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives ou de fonctions de conseiller prud'homme, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

9. A ce dernier titre, le fait pour un salarié d'utiliser les outils informatiques mis à sa disposition par l'employeur pour s'introduire dans la messagerie professionnelle d'un autre salarié sans l'accord de celui-ci et y détourner de la correspondance ayant explicitement un caractère personnel doit être regardé comme une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail, alors même que ces faits seraient commis, en dehors des heures de travail, alors que le salarié n'est pas sur son lieu de travail.

10. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A...s'est introduit dans la messagerie professionnelle d'une autre salariée de l'entreprise, en vue de lire la correspondance échangée par celle-ci avec le directeur de la mission locale et a, en particulier, accédé aux messages qu'elle avait classés dans un dossier expressément identifié comme ayant un caractère personnel. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A...n'est pas fondé à soutenir que les faits en question ne constituaient pas une violation des obligations découlant de son contrat de travail, susceptible de faire l'objet d'une sanction disciplinaire.

11. Par ailleurs, M. A...n'est pas non plus fondé à soutenir que ces faits, au demeurant commis par un salarié exerçant des fonctions d'encadrement, ne revêtent pas un caractère de gravité de nature à justifier son licenciement.

En ce qui concerne les autres moyens :

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, saisi en application des dispositions alors applicables de l'article L. 2421-3 du code du travail, le comité d'entreprise de la mission locale de la Haute Garonne a, contrairement à ce que soutient M.A..., disposé des éléments lui permettant de donner son avis en toute connaissance de cause sur le projet de licenciement le concernant.

13. En deuxième lieu, si la décision attaquée se fonde sur un jugement pénal dont il avait été interjeté appel, il résulte des termes mêmes de cette décision que le motif en question présente un caractère surabondant. Le moyen par lequel M. A...conteste la légalité de ce motif doit, par suite, être rejeté comme inopérant.

14. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de licencier M. A... serait en lien avec l'exercice de ses mandats.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la mission locale de la Haute-Garonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la mission locale de la Haute-Garonne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, au même titre, M.A....




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A...et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la mission locale de la Haute-Garonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la mission locale de la Haute-Garonne et à M. B... A....
Copie en sera adressée à la ministre du travail.


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