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Ariane Web: Conseil d'État 427017, lecture du 24 décembre 2019, ECLI:FR:CEASS:2019:427017.20191224

Décision n° 427017
24 décembre 2019
Conseil d'État

N° 427017
ECLI:FR:CEASS:2019:427017.20191224
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Arno Klarsfeld, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mardi 24 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 avril 2016 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaitre la qualité d'apatride.

Par un jugement n°1609276/5-3 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris, faisant droit à sa demande, a annulé cette décision et enjoint à l'OFPRA de lui accorder le statut d'apatride.

Par un arrêt n°17PA02001 du 13 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'OFPRA contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires enregistrés les 11 janvier, 9 avril et 10 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., née de parents palestiniens le 5 avril 1986 au camp de réfugiés de Nahr-el-Bared, au Liban, y a vécu jusqu'en 2015, date de son entrée en France sous couvert d'un document de voyage délivré pour les réfugiés palestiniens par les autorités libanaises à Beyrouth. Le 25 février 2015, Mme B... a sollicité auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) la reconnaissance de la qualité d'apatride sur le fondement de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 12 avril 2016, cette demande a été rejetée. Saisi par Mme B..., le tribunal administratif de Paris a annulé pour excès de pouvoir cette décision par un jugement du 19 avril 2017 et a enjoint à l'OFPRA de lui octroyer le statut d'apatride. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 novembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel dirigé contre ce jugement.

2. L'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". L'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides stipule que : " 1. Aux fins de la présente convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. 2. Cette convention ne sera pas applicable : i) Aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, tant qu'elles bénéficieront de ladite protection ou de ladite assistance (...) ".

3. L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a été créé par la résolution n° 302 (IV) de l'Assemblée générale des Nations Unies en date du 8 décembre 1949 afin d'apporter un secours direct aux " réfugiés de Palestine " se trouvant sur l'un des Etats ou des territoires relevant de son champ d'intervention géographique, à savoir le Liban, la Syrie, la Jordanie, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il résulte des instructions d'éligibilité et d'enregistrement consolidées adoptées par cet organisme en 2009 que ces prestations sont délivrées, d'une part, aux personnes, enregistrées auprès de lui, qui résidaient habituellement en Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 et qui ont perdu leur logement et leurs moyens de subsistance en raison du conflit de 1948, ainsi qu'à leurs descendants et, d'autre part, aux autres personnes éligibles mentionnées au point B. du III de ces instructions qui en font la demande sans faire l'objet d'un enregistrement par l'UNRWA. Eu égard à la mission qui lui est assignée et aux intentions exprimées par les auteurs de la convention de New-York, l'UNRWA doit être regardée comme un organisme des Nations Unies, autre que le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, offrant une assistance à ces personnes, au sens des stipulations mentionnées au point 2. Cette assistance, qui suppose que la personne soit admise à résider habituellement dans l'un des Etats ou territoires situés dans la zone d'intervention de cet organisme, est regardée comme équivalant à la reconnaissance des droits qui sont garantis aux apatrides par la convention de New-York, en particulier la protection juridique qu'un Etat doit en principe accorder à ses ressortissants.

4. Il résulte des stipulations citées au point 2 que la convention du 28 septembre 1954 n'est pas applicable à un réfugié palestinien tant qu'il bénéficie effectivement de l'assistance ou de la protection de l' UNRWA telle qu'elle est définie au point précédent. Dès lors qu'il a perdu le bénéfice effectif d'une telle assistance ou protection et qu'aucun Etat ne le reconnaît comme l'un de ses ressortissants par application de sa législation, un réfugié palestinien bénéficie, sous réserve des autres clauses d'exclusion prévues à l'article 1er, du régime de la convention du 28 septembre 1954 et peut solliciter, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'octroi du statut d'apatride.

5. Un réfugié palestinien qui se trouve en dehors de la zone d'activité de l'UNRWA ne bénéficie plus effectivement de la protection ou de l'assistance de cet Office dans les cas ci-dessous définis.

6. Le premier cas correspond à l'hypothèse où une menace grave pour sa sécurité a contraint un réfugié palestinien à quitter l'Etat ou le territoire situé dans la zone d'intervention de l'UNRWA dans lequel il avait sa résidence habituelle et fait obstacle à ce qu'il y retourne. Le deuxième cas correspond à l'hypothèse dans laquelle une telle menace, apparue après le départ de l'intéressé, fait pareillement obstacle à son retour sur place. Le troisième cas correspond à l'hypothèse où, pour des motifs indépendants de sa volonté, étrangers à l'existence d'une menace pour sa sécurité, un réfugié palestinien se trouve dans l'impossibilité de regagner l'Etat ou le territoire dans lequel il avait sa résidence habituelle.

7. En outre et eu égard aux exigences attachées au respect de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui protège les personnes dépourvues de nationalité des atteintes excessives au droit au respect de la vie privée, doit également être regardé comme ne bénéficiant plus effectivement de l'assistance ou de la protection apportée par l' UNRWA dans sa zone d'intervention un réfugié palestinien qui possède en France des liens familiaux ou des liens personnels, compte tenu notamment de la durée de sa résidence sur le territoire, tels que le centre de ses intérêts se trouve désormais en France où il est dès lors fondé, à la condition qu'aucun Etat ne le reconnaisse comme l'un de ses ressortissants par application de sa législation, et sous réserve des autres clauses d'exclusion prévues par la convention du 28 septembre 1954, à demander que lui soit octroyé le statut d'apatride sur le fondement de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin de bénéficier de la protection juridique à laquelle il a droit à ce titre.

8. Il s'ensuit qu'en jugeant que le refus de l'OFPRA de reconnaître la qualité d'apatride à Mme B... était illégal après avoir relevé qu'elle ne possédait aucune nationalité et qu'elle n'avait pas conservé sa résidence habituelle dans une zone placée sous la protection de l' UNRWA sans rechercher si elle relevait d'une des hypothèses décrites aux points 6 et 7 pour vérifier qu'elle avait perdu le bénéfice effectif de l'assistance ou de la protection de l'UNRWA, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'il attaque.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 13 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. A... B....


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