Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 440129, lecture du 28 janvier 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:440129.20210128

Décision n° 440129
28 janvier 2021
Conseil d'État

N° 440129
ECLI:FR:CECHR:2021:440129.20210128
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public


Lecture du jeudi 28 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux nouveaux mémoires et un mémoire en réplique enregistrés les 16 avril, 3 et 6 mai et 8 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement des entiers dépens au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 180 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... C..., auditrice,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées (...) ". L'article L. 5121-12-1 du même code prévoit que : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. (...) / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-8 de ce code : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. / Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ".

2. En deuxième lieu, l'article L. 3131-12 inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". D'une part, aux termes de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ; / 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code. / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions étaient applicables sur l'ensemble du territoire national à la date d'édiction des dispositions attaquées par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Sur les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020.

4. D'une part, le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites. D'autre part, l'association lopinavir / ritonavir est commercialisée par le laboratoire Abbvie sous le nom de marque de Kaletra 80 mg + 20 mg/ml, solution buvable, Kaletra 100 mg/25 mg, comprimé pelliculé et Kaletra 200 mg/50 mg, comprimé pelliculé, en vertu d'autorisations de mise sur le marché initiales respectivement délivrées les 20 mars 2001, 13 mars 2008 et 26 juin 2006, ainsi que par le laboratoire Mylan sous les formes génériques lopinavir / ritonavir Mylan 100 mg/25 mg et lopinavir / ritonavir Mylan 200 mg / 50 m en vertu d'une autorisation de mise sur le marché délivrée le 14 janvier 2016. Aux termes de ces autorisations de mises sur le marché, ces spécialités sont prescrites pour le traitement du virus de l'immunodéficience humaine (VIH-1).

5. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par le 2° de l'article 1er du décret du 25 mars 2020, a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine et l'association lopinavir / ritonavir peuvent être prescrites, dispensées et administrées aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil, spécialité pharmaceutique à base d'hydroxychloroquine, et du Kaletra, spécialité pharmaceutique à base de lopinavir / ritonavir, ainsi que les conditions de leur prise en charge par l'assurance maladie. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il autorise la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine et de l'association lopinavir / ritonavir aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. D'autre part, il a prévu, au cinquième alinéa de cet article 12-2, que : " La spécialité pharmaceutique Plaquenil (c) et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ".

6. Eu égard aux moyens qu'il soulève, le requérant doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir du 2° de l'article 1er du décret du 25 mars 2020 en tant qu'il définit les conditions de prescription, de dispensation, d'administration, de prise en charge et de délivrance de l'hydroxychloroquine et de l'association lopinavir / ritonavir.

Sur les données acquises de la science à la date des dispositions contestées :

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l'activité in vitro de l'hydroxychloroquine sur le virus qui est responsable du covid-19. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection en utilisant l'hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l'azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid 19 et que cet effet est renforcé par l'azithromycine. D'autre part, des données in vitro et in vivo ainsi que des données cliniques dans le cadre d'infections à d'autres coronavirus ont montré que l'association lopinavir / ritonavir avait une activité contre ces virus.

8. A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime, d'une part, que les résultats de l'étude menée au sein de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, qui doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l'étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l'absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique, ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine ou de l'association hydroxychloroquine et azithromycine et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique. Par ailleurs, cet avis souligne que ce médicament comporte des contre-indications, notamment en cas d'association à d'autres médicaments et qu'un surdosage peut entrainer des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il indique qu'il est impératif de bien prendre connaissance de ces contre-indications avant toute prescription et que le patient en soit éclairé. Enfin, il recommande de surveiller les concentrations plasmatiques et d'assurer un monitoring cardiaque chez les patients recevant ce traitement pour covid-19. D'autre part, si le Haut conseil indique que les résultats d'un essai menée sur 199 patients, dont 99 ont reçu l'association lopinavir/ritonavir, sont en faveur d'un effet bénéfique sans que cette étude suffise à le montrer, il attire l'attention sur les risques résultant d'interactions avec d'autres médicaments, en particulier avec les sédatifs, et sur la nécessité d'adapter les posologies et de réaliser un suivi pharmacologique des patients bénéficiant de ce traitement. Sur la base de ces observations, les recommandations du Haut conseil de la santé publique, reprises par les dispositions critiquées, préconisent un traitement à base d'hydroxychloroquine ou de l'association lopinavir/ritonavir uniquement pour les patients présentant une pneumonie oxygéno-requérante ou une défaillance d'organe.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

En ce qui concerne la compétence du pouvoir réglementaire :

9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 23 mars 2020 : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l'état d'urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d'assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ".

10. Par les dispositions citées au point 2, et ainsi qu'il ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 23 mars 2020, le législateur a entendu permettre l'adoption par le pouvoir exécutif de mesures plus contraignantes que celles susceptibles d'être adoptées en cas de " menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence " sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. A cette fin, il a entendu, d'une part, permettre au Premier ministre de prendre certaines mesures limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion ou procédant à des réquisitions et, d'autre part, permettre au ministre chargé de la santé de prendre les mesures générales touchant au dispositif de santé, notamment aux établissements et services, aux professionnels, aux actes et aux produits de santé, qui ne relèvent pas de la compétence du Premier ministre, ainsi que les mesures individuelles d'application des mesures prescrites par ce dernier, sous réserve, dans tous les cas, que ces mesures soient nécessaires pour garantir la santé publique dans la situation de catastrophe sanitaire, strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il suit de là que les dispositions du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique et celles de l'article L. 3131-16 du même code doivent être interprétées, en ce qui concerne les mesures susceptibles d'être adoptées en matière de médicaments, comme réservant au Premier ministre les mesures restreignant la liberté d'entreprendre ou le droit de propriété pour assurer la disponibilité des médicaments nécessaires pour faire face à la catastrophe sanitaire et comme habilitant le ministre chargé de la santé à prendre les autres mesures générales nécessaires pour que les patients puissent bénéficier des soins dont ils ont besoin pendant la catastrophe sanitaire, sous réserve qu'elles soient strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, le cas échéant en dérogeant sur des points limités à des dispositions législatives.

11. Une mesure visant à permettre la prescription, la dispensation et l'administration d'une spécialité pharmaceutique, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché, aux patients atteints de covid-19, alors même qu'elle ne s'applique que dans les établissements de santé qui les prennent en charge ainsi qu'à domicile, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial entre dans le champ de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique. Il en est de même d'une mesure encadrant les conditions de dispensation de cette spécialité en officine afin d'éviter une tension sur son approvisionnement pour les patients y recourant dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché.

12 Lorsqu'il est prévu par les dispositions en vigueur qu'une décision administrative doit être prise par voie d'arrêté ministériel, il est satisfait auxdites dispositions lorsque cette mesure est prise par un décret contresigné par le ministre compétent. Ainsi, les mesures prévues à l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, au nombre desquelles figurent les dispositions contestées par le requérant, ont en tout état de cause pu être légalement prévues, non par l'arrêté du ministre chargé de la santé prévu par cet article, mais par le décret du 25 mars 2020, dès lors que ce décret a été contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, sur le rapport duquel il a été pris.

13. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions qu'il attaque auraient été prises par une autorité incompétente.

En ce qui concerne le contreseing du ministre de l'action et des comptes publics :

14. Aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte de nature réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement son exécution. L'exécution du décret du 25 mars 2020 ne comporte nécessairement l'intervention d'aucune mesure réglementaire ou individuelle que le ministre de l'action et des comptes publics aurait été compétent pour signer ou contresigner. Dès lors, le décret attaqué n'avait en tout état de cause pas à être soumis au contreseing de ce ministre.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique et du droit à la vie :

15. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique citées au point 1 qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Par suite, en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil et le Kaletra, ainsi que ses génériques, ne pouvaient être prescrits pour une autre indication que celles de leur autorisation de mise sur le marché, rappelées au point 4, qu'à la condition qu'en l'état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.

16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 qu'à la date d'édiction des dispositions contestées, les données acquises de la science ne permettaient pas de conclure, au-delà des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les dispositions critiquées, au caractère indispensable du recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine et de l'association lopinavir/ritonavir, en dehors des indications de leur autorisation de mise sur le marché et en l'absence d'une autorisation temporaire d'utilisation, pour améliorer ou stabiliser l'état clinique des patients atteints par le covid-19. Par suite, M. B..., qui ne conteste pas l'avis du Haut conseil de la santé publique, n'est pas fondé à soutenir que les dispositions contestées méconnaissent l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.

17. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaissent le droit à la vie doit également être écarté.

Sur la liberté de prescription des médecins :

18. Il résulte de ce qui précède qu'en autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, le ministre de la santé a pu légalement préciser sur le fondement notamment des dispositions de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique citées au point 2, compte tenu des données acquises de la science indiquées ci-dessus, d'une part, les conditions très limitées dans lesquelles le Plaquenil était susceptible d'être prescrit en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et, d'autre part, les conditions de dispensation du Plaquenil et des préparations à base d'hydroxychloroquine en officine. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient la liberté de prescription des médecins ne peut qu'être écarté

En ce qui concerne la méconnaissance du droit du patient au libre choix de son médecin, de son établissement de santé et de son mode de prise en charge :

19. Les dispositions attaquées, en ce qu'elles soumettent la dispensation de Plaquenil et des préparations à base d'hydroxychloroquine, à la présentation d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou permettent une telle dispensation dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin, sont sans incidence sur le droit du patient au libre choix de son médecin, de son établissement de santé et de son mode de prise en charge, rappelé à l'article L. 1110-8 du code de la santé publique.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :

20. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

21. Si le pouvoir réglementaire a entendu permettre la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine et de l'association lopinavir / ritonavir en dehors de leur autorisation de mise sur le marché aux seuls patients présentant une pneumonie oxygéno-requérante ou une défaillance d'organe, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, il n'en résulte pas une différence de traitement manifestement disproportionnée entre patients dès lors que les dispositions contestées se bornent à imposer, compte tenu des indications pour lesquelles ces traitements sont autorisés et donc de l'état de santé du patient pris en charge ainsi que des risques associés et de la surveillance particulière que ces traitements impliquent, que ceux-ci soient initialement prescrits, dispensés et administrés en établissement de santé. S'il en résulte une différence de traitement entre les médecins exerçant en établissement de santé et les autres, celle-ci n'est pas davantage manifestement disproportionnée au regard de ces motifs. Enfin, si le pouvoir réglementaire a subordonné la dispensation en officine du Plaquenil et des préparations à base d'hydroxychloroquine à une prescription initiale d'un spécialiste en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, cette modalité particulière d'organisation des soins ne méconnait pas davantage le principe d'égalité.

En ce qui concerne les autres moyens :

22. En premier lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées seraient entachées d'une contradiction entre leur contenu et leurs motifs n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

23. En deuxième lieu, si le requérant soutient que les mesures prévues par le décret contesté ont été prises en vue d'empêcher la prescription d'un médicament efficace contre le covid-19 et de favoriser ainsi la commercialisation future d'une spécialité pharmaceutique plus onéreuse sous l'influence du " lobbying " de sociétés pharmaceutiques, il ressort des pièces du dossier que les dispositions contestées ont été prises au regard des données acquises de la science. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions contestées. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées au titre de l'article R. 761-1 du même code doivent également être rejetées.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée M. D... B... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


Voir aussi