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Ariane Web: Conseil d'État 448318, lecture du 9 novembre 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:448318.20211109

Décision n° 448318
9 novembre 2021
Conseil d'État

N° 448318
ECLI:FR:CECHR:2021:448318.20211109
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public


Lecture du mardi 9 novembre 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une saisine enregistrée le 29 septembre 2020, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a transmis au tribunal administratif de Nantes, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, sa décision du
14 septembre 2020 par laquelle elle a constaté l'absence de dépôt du compte de campagne de M. L... F..., candidat tête de liste à l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune d'Allonnes (Sarthe) qui s'est tenue le 15 mars 2020.

Par un jugement n° 2009833 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a déclaré M. F... inéligible pour une durée d'un an à compter de la date à laquelle ce jugement deviendrait définitif, annulé son élection en qualité de conseiller municipal d'Allones et a proclamé élue Mme D... M... en qualité de conseillère municipale de la même commune.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 janvier et 5 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral :
" Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. (...) / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ". Aux termes de ce même article dans sa rédaction issue de cette loi :
" Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; (...) ".

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 15 de la loi du 2 décembre 2019 :
" La présente loi, à l'exception de l'article 6, entre en vigueur le 30 juin 2020 ". Aux termes du XVI de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " A l'exception de son article 6, les dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ne sont pas applicables au second tour de scrutin régi par la présente loi ". Il résulte de ces dispositions que les dispositions de la loi du 2 décembre 2019 modifiant celles du code électoral, à l'exception de son article 6, ne sont pas applicables aux opérations électorales en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires organisées les 15 mars et 28 juin 2020, y compris en ce qui concerne les comptes de campagne.

3. Toutefois, l'inéligibilité prévue par les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral constitue une sanction ayant le caractère d'une punition. Il incombe, dès lors au juge de l'élection, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'un candidat dont le compte de campagne est rejeté soit déclaré inéligible et à ce que son élection soit annulée, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date des faits litigieux et celle à laquelle il statue. Le législateur n'ayant pas entendu, par les dispositions citées au point 2, faire obstacle à ce principe, le juge doit faire application aux opérations électorales mentionnées à ce même point des dispositions de cet article dans sa rédaction issue de la loi du
2 décembre 2019. En effet, cette loi nouvelle laisse désormais au juge, de façon générale, une simple faculté de déclarer inéligible un candidat en la limitant aux cas où il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, alors que l'article L. 118-3 dans sa version antérieure, d'une part, prévoyait le prononcé de plein droit d'une inéligibilité lorsque le compte de campagne avait été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité et, d'autre part, n'imposait pas cette dernière condition pour que puisse être prononcée une inéligibilité lorsque le candidat n'avait pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrit par l'article L. 52-12 de ce même code.

4. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 2 décembre 2019 : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 (...). Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés ; celui-ci met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. Cette présentation n'est pas nécessaire lorsque aucune dépense ou recette ne figure au compte de campagne. Dans ce cas, le mandataire établit une attestation d'absence de dépense et de recette (...) ". Aux termes de l'article L. 52-15 du même code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté (...), la commission saisit le juge de l'élection (...) ". En vertu du 4° du XII de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020, la date limite pour déposer le compte de campagne a été fixée, par dérogation aux dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, au 10 juillet 2020 à 18 heures, pour les listes de candidats présentes au seul premier tour du 15 mars 2020.

5. En application des dispositions précitées de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019, en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la liste conduite par M. F... a obtenu 8,97 % des suffrages exprimés aux élections qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux de la commune d'Allonnes. La CNCCFP a constaté, par une décision du 14 septembre 2020, l'absence de dépôt de compte de campagne par l'intéressé. La circonstance que M. F... ait adressé à la CNCCFP le 21 octobre 2021, après la saisine du tribunal administratif par celle-ci, d'une part, un compte de campagne, d'autre part, une attestation d'absence de dépense et de recette, ne permet pas de le regarder comme ayant satisfait à l'obligation imposée par l'article L. 52-12 du code électoral. Par suite, c'est à bon droit, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, que la CNCCFP a constaté cette irrégularité et saisi, sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, le tribunal administratif de Nantes.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, qu'alors qu'il a été mis en demeure par la CNCCFP le 19 août 2020 de déposer le compte de campagne qu'il était tenu d'établir, M. F... n'a pas régularisé sa situation devant cette commission, rendant impossible tout contrôle en la privant de la faculté de prendre connaissance des recettes perçues et des dépenses versées. Si M. F... invoque les difficultés rencontrées par son mandataire financier pour ouvrir un compte bancaire et, plus généralement, les effets du contexte sanitaire, ni ces circonstances, ni la faiblesse du montant en cause, qui s'élève à 578,40 euros, ne permettent, en l'espèce, de ne pas retenir un manquement caractérisé et d'une particulière gravité à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a prononcé son inéligibilité pour une durée d'un an.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. L... F... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Copie en sera adressée au préfet de la Sarthe et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H... K...,
M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. I... O..., Mme A... N... et
M. C... G..., M. E... P... et M. Jean-Yves Ollier conseillers d'Etat ; Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 9 novembre 2021.
Le Président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme J... B...


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