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Ariane Web: Conseil d'État 441913, lecture du 10 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:441913.20220310

Décision n° 441913
10 mars 2022
Conseil d'État

N° 441913
ECLI:FR:CECHR:2022:441913.20220310
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Laurent-Xavier Simonel, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du jeudi 10 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt du 19 septembre 2019, la cour d'appel de Poitiers, saisie d'un litige entre l'association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières (" Ecole des Etablières ") et M. A... B..., maître contractuel en fonction dans cet établissement, a transmis au tribunal administratif de Poitiers une question préjudicielle, renvoyée au tribunal administratif de Nantes par une ordonnance du 27 septembre 2019 du président du tribunal administratif de Poitiers, afin que la juridiction administrative dise :
" - si les heures de dotation doivent être strictement réservées à l'accomplissement par l'agent sous statut public d'une obligation de service et donc d'enseignement ;
- si la décharge d'activité de M. B... décidée par l'Ecole des Etablières a respecté le régime d'utilisation des heures accordées par l'Etat dans le cadre de la dotation globale horaire ;
- si, par ce procédé, l'Ecole des Etablières a modifié unilatéralement le statut contractuel de M. B... en lui imposant de consacrer ses heures de dotation à l'exercice de son mandat de représentant du personnel ".

Par un jugement n° 1910928 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a déclaré que :
" 1°) Les heures de dotation accordées aux établissements d'enseignement agricole privés sous contrat d'association, donnant lieu à rémunération par l'Etat des contractuels agents publics, doivent être réservées à l'accomplissement par ces derniers d'une obligation de service sous forme d'un service d'enseignement exercé dans les conditions prévues par le contrat d'association, mais des heures de décharges d'activité peuvent être déduites des horaires correspondant à cette obligation de service, dans la mesure où elles correspondent soit à des dispositions applicables aux personnels de l'enseignement public, soit à la possibilité de bénéficier d'autorisations d'absence dans les conditions prévues à l'article R. 813-76 du code rural et de la pêche maritime.

2°) En décomptant de la dotation horaire globale accordée la décharge de service accordée à M. B... pour l'exercice de ses mandats de délégation du personnel, alors que ces fonctions sont distinctes de celles de délégué syndical et qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le principe d'une telle décharge s'agissant des personnels de l'enseignement public, l'Ecole des Etablières a méconnu le régime d'utilisation de cette dotation.

3°) L'Ecole des Etablières, tiers au contrat public qui lie M. B... à l'Etat, n'a pu modifier unilatéralement un tel contrat. Elle a toutefois influé irrégulièrement sur son exécution ".

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juillet et 12 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ecole des Etablières, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code du travail ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 89-406 du 20 juin 1989 ;
- le décret n° 2006-79 du 26 janvier 2006 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de l'Ecole des Etablières et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., enseignant en qualité d'agent contractuel de droit public, depuis 1990, dans l'établissement sous contrat d'association avec l'Etat géré par l'association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole Les Etablières (" Ecole des Etablières "), a été élu, en décembre 2009, membre titulaire de la délégation unique du personnel de cet établissement et, en septembre 2010, secrétaire de cette délégation. L'Ecole des Etablières se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a répondu à la question préjudicielle posée par l'arrêt avant-dire-droit du 19 septembre 2019 de la cour d'appel de Poitiers, saisie du litige opposant M. B... à l'Ecole des Etablières au sujet du paiement par celle-ci d'heures de délégation qu'il a accomplies à partir de novembre 2014 pour remplir ses mandats au sein de la délégation unique du personnel.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 2315-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " L'employeur laisse aux délégués du personnel le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions dans les limites d'une durée qui, sauf circonstances exceptionnelles, ne peut excéder : / 1° Dix heures par mois dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; / 2° Quinze heures par mois dans les entreprises de cinquante salariés et plus ". Aux termes de l'article L. 2315-3 du même code : " Le temps passé en délégation est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l'échéance normale / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans les établissements dont les formations sont dispensées dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 811-5, l'association ou l'organisme responsable, et lié à l'Etat par contrat, désigne le chef d'établissement qui doit détenir les titres et présenter les qualifications comparables à ceux requis dans l'enseignement agricole public. (...). / Les personnels enseignants et de documentation de ces établissements sont nommés par le ministre de l'agriculture, après vérification de leurs titres et de leurs qualifications, sur proposition du chef d'établissement. Ils sont liés par un contrat de droit public à l'Etat, qui les rémunère directement par référence aux échelles indiciaires des corps équivalents de la fonction publique exerçant des fonctions comparables et ayant les mêmes niveaux de formation. En leur qualité d'agent public, ils ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l'Etat, liés par un contrat de travail à l'établissement au sein duquel l'enseignement leur est confié. / Nonobstant l'absence de contrat de travail avec l'établissement, les personnels enseignants mentionnés à l'alinéa précédent sont, pour l'application des articles L. 236-1, L. 412-5, L. 421-2 et L. 431-2 du code du travail, pris en compte dans le calcul des effectifs de l'établissement, tel que prévu à l'article L. 620-10 du même code. Ils sont électeurs et éligibles pour les élections des délégués du personnel et les élections au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et au comité d'entreprise. Ils bénéficient de ces institutions dans les conditions prévues par le code du travail. Les rémunérations versées par l'Etat à ces personnels sont prises en compte pour le calcul de la masse salariale brute, tel que prévu à l'article L. 434-8 du même code, et la détermination du rapport entre la contribution aux institutions sociales et le montant global des salaires, mentionné à l'article L. 432-9 du même code. / (...) ". Aux termes de l'article R. 813-76 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve des nécessités du service, des autorisations spéciales d'absence et un crédit de temps syndical sont accordés aux personnels enseignants et de documentation mentionnés à l'article L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime chargés d'un mandat syndical, afin de leur permettre de remplir les obligations résultant de ce mandat ". Aux termes de l'article 2 du décret du 26 janvier 2006 portant diverses mesures sociales applicables aux personnels enseignants et de documentation mentionnés à l'article L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime : " La rémunération des personnels enseignants et de documentation continue d'être assurée par l'Etat en cas de congé de formation, de congé de mobilité et de décharge d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical ". Enfin, aux termes de l'article 23 du décret du 20 juin 1989 relatif aux contrats liant l'Etat et les personnels enseignants et de documentation des établissements mentionnés à l'article L. 813-8 du code rural : " Les enseignants contractuels des établissements d'enseignement agricole privés contribuent à assurer la formation initiale des élèves de ces établissements dans leurs disciplines respectives. Cette formation comprend tant l'enseignement au sein des établissements que celui dispensé dans des exploitations et des entreprises qui leur sont extérieures ; elle est assurée dans tous les cas sous l'autorité et le contrôle du chef d'établissement. Elle s'étend notamment à la préparation et à l'organisation des travaux en exploitation et en entreprise, à l'encadrement des élèves pendant ces périodes et à l'évaluation de ces travaux. / (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'Etat est tenu, au titre de la dotation horaire globale destinée au financement des différentes charges de formation de leurs élèves incombant aux établissements d'enseignement agricole privés sous contrat, d'assurer la rémunération à laquelle ont droit les enseignants en service au sein de ces établissements, après service fait conformément à leurs conditions et obligations de service qui sont identiques à celles qui s'appliquent aux enseignants de l'enseignement public, y compris pour le temps passé à accomplir un mandat syndical pendant le temps du service et en exécution d'une décharge d'activité de service. Toutefois, il ne revient pas à l'Etat de prendre en charge la rémunération des heures de délégation effectuées par ces enseignants pour accomplir un mandat électif au sein de l'une des institutions représentatives du personnel, qui sont régies exclusivement par les dispositions applicables à la représentation collective des salariés du secteur privé et auxquelles les personnels de l'enseignement public ne peuvent participer d'aucune manière. Ces heures de délégation, dédiées à la qualité du dialogue social au sein de la communauté de travail constituée par l'établissement privé d'enseignement à laquelle les maîtres sont, indépendamment du contrat de droit public qui les lie à l'Etat, intégrés de façon étroite et permanente, doivent être rémunérées exclusivement par cet établissement comme du temps de travail effectif et payées à l'échéance normale. Elles ne peuvent être effectuées, dans les conditions fixées par le chef d'établissement, qu'en dehors du temps du service et, sauf circonstances exceptionnelles ou convocation d'une réunion par le chef d'établissement, qu'en dehors des périodes de vacances scolaires.

5. Dès lors, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif de Nantes a déclaré, d'une part, qu'en l'absence de dispositions du droit de la fonction publique relatives aux délégués du personnel, un tel mandat de représentation au sein d'une institution représentative du personnel ne pouvait pas être exercé dans le cadre de l'obligation de service et ne pouvait donc pas faire l'objet d'une décharge d'activité de service décidée par l'Ecole des Etablières de telle sorte que les heures qui y sont consacrées soient rémunérées par l'Etat au titre de la dotation horaire globale et, d'autre part, que l'Ecole des Etablières avait méconnu le régime d'utilisation de cette dotation et irrégulièrement influé sur l'exécution du contrat public de M. B... en imputant à cette dotation les heures couvertes par la décharge de service qu'elle lui avait accordée pour l'exercice de son mandat de représentant du personnel.

6. Par suite, l'Ecole des Etablières n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Ecole des Etablières une somme de 3 000 euros à verser, au même titre, à M. B....



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'Ecole des Etablières est rejeté.
Article 2 : L'Ecole des Etablières versera la somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à M. A... B....


Voir aussi