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Ariane Web: Conseil d'État 462434, lecture du 18 juillet 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:462434.20220718

Décision n° 462434
18 juillet 2022
Conseil d'État

N° 462434
ECLI:FR:CECHR:2022:462434.20220718
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du lundi 18 juillet 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association Ensemble pour la planète et l'association Sea Shepherd Nouvelle-Calédonie ont demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision d'autorisation d'abattage de requins-tigres prise conjointement par la présidente de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie et la maire de Nouméa.

Par un jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté leur demande. Par un arrêt du 17 mars 2022, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association Ensemble pour la planète, annulé ce jugement et transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 205 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le dossier de la requête pour examen de la question de savoir si, au regard des règles de compétences déterminées par les articles 20, 22 (10e) et 46 de cette loi, les provinces sont compétentes et, le cas échéant, dans quelles conditions, en matière de destruction des spécimens appartenant à des espèces marines protégées susceptibles de se déplacer indifféremment dans la zone économique exclusive et dans les eaux de la mer territoriale.





Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;
- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;


REND L'AVIS SUIVANT :

1. Aux termes de l'article 204 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " I. - Les actes (...) de l'assemblée de province, de son bureau et de son président mentionnés au II sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie ou à leur notification aux intéressés, ainsi qu'à leur transmission au haut-commissaire ou à son représentant dans la province, par le président du congrès, par le président de la commission permanente, par le président du sénat coutumier ou par le président de l'assemblée de province (...) : II. - Sont soumis aux dispositions du I les actes suivants : (...) /D. - Pour les assemblées de province :/ 2° Les décisions réglementaires et individuelles prises par leur président en application des articles 40, 173 et 174 (...) ". L'article 205 de la même loi organique dispose : " Lorsque le tribunal administratif est saisi d'un recours pour excès de pouvoir ou d'un recours en appréciation de légalité dirigé contre les actes mentionnés aux (...) 1° à 3° du D du II de l'article 204 et que ce recours est fondé sur un moyen sérieux invoquant l'inexacte application de la répartition des compétences entre l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes ou que ce moyen est soulevé d'office, il transmet le dossier sans délai pour avis au Conseil d'Etat, par un jugement qui n'est susceptible d'aucun recours. Le Conseil d'Etat examine la question soulevée dans un délai de trois mois et il est sursis à toute décision sur le fond jusqu'à son avis ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de la publication de l'avis au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie ou de l'expiration du délai imparti au Conseil d'Etat ".

2. Après avoir annulé pour irrégularité le jugement par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté les demandes de l'association Ensemble pour la planète (EPLP) et de l'association Sea Shepherd Nouvelle-Calédonie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté autorisant M. G... à procéder à la capture et à l'euthanasie de requins-bouledogues et de requins-tigres, pris le 17 juin 2020 par la présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie, la cour administrative d'appel de Paris a, en application des dispositions de l'article 205 de la loi organique du 19 mars 1999, sursis à statuer et transmis le dossier au Conseil d'Etat en lui posant la question de savoir si, au regard des règles de compétences déterminées par les articles 20, 22 (10e) et 46 de cette loi, les provinces sont compétentes et, le cas échéant, dans quelles conditions, en matière de destruction des spécimens appartenant à des espèces marines protégées susceptibles de se déplacer indifféremment dans la zone économique exclusive et dans les eaux de la mer territoriale.

Sur la saisine du Conseil d'Etat :

3. D'une part, les dispositions de l'article 205 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie précitées qui imposent au tribunal administratif de saisir le Conseil d'Etat, dans certaines conditions, d'une question relative à la répartition des compétences entre l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes, doivent être regardées comme s'appliquant également à la cour administrative d'appel, qu'elle statue en tant que juge d'appel ou en qualité de juge de premier ressort. D'autre part, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, qui doit seulement s'assurer que les conditions fixées par l'article 205 sont remplies, de se prononcer sur la régularité ou le bien-fondé de la décision juridictionnelle qui lui a transmis cette demande d'avis.

4. L'arrêté par lequel la présidente de la province, sur le fondement des dispositions de l'article 240-5 du code de l'environnement de la province Sud, a confié à une personne compétente le soin de procéder à la capture et à l'euthanasie d'un nombre limité de requins-bouledogues et de requins-tigres, par dérogation aux interdictions de porter atteinte à des espèces protégées prévues par l'article 240-3 du même code, constitue une décision individuelle entrant dans le champ d'application du 2° du D du II de l'article 204 de la loi organique et, par suite, dans celui de l'article 205.

Sur la répartition des compétences :

5. L'article 20 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit: " Chaque province est compétente dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat ou à la Nouvelle-Calédonie par la présente loi, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie (...) ". L'article 21 de la même loi organique dispose : " I. -L'Etat est compétent dans les matières suivantes :/ (...) 12° Exercice, hors des eaux territoriales, des compétences résultant des conventions internationales, sous réserve des dispositions du 10° de l'article 22 relatives aux ressources de la zone économique exclusive (...)". Selon l'article 22 : " La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes :/ (...) 10° Réglementation et exercice des droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques de la zone économique exclusive ; / (...)". Aux termes de l'article 46 : " Sous réserve des compétences de l'Etat mentionnées au 3° du I de l'article 21, les provinces réglementent et exercent les droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles biologiques et non biologiques des eaux intérieures, dont celles des rades et lagons, de leur sol et de leur sous-sol, et du sol, du sous-sol et des eaux surjacentes de la mer territoriale./ Les provinces prennent, après avis du conseil coutumier concerné, les dispositions particulières nécessaires pour tenir compte des usages coutumiers ".

6. Si en vertu du 10° de l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, celle-ci est compétente en matière de réglementation et d'exercice des droits d'exploration, d'exploitation, de gestion et de conservation des ressources naturelles, biologiques et non biologiques dans la zone économique exclusive, l'article 46 de la loi organique confie la même compétence aux provinces dans les eaux intérieures et les eaux surjacentes de la mer territoriale, sous réserve de la compétence de l'Etat en matière de défense nationale.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en Nouvelle-Calédonie les provinces sont compétentes pour établir la liste des espèces animales qu'elles entendent protéger et réglementer, dans les eaux intérieures, telles que définies par l'article 46 de la loi organique du 19 mars 1999, et dans les eaux surjacentes de la mer territoriale, les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux interdictions qu'elles édictent dans le cadre de cette protection, y compris s'agissant d'espèces animales qui se déplacent également dans la zone économique exclusive.

8. Le présent avis sera notifié à la présidente de la cour administrative d'appel de Paris, au président du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, à la présidente de l'assemblée de la province Sud, au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Il sera publié au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie.


Délibéré à l'issue de la séance du 1er juillet 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. J... H..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme N... D..., Mme A... O..., M. B... C..., M. E... F..., M. Alexandre Lallet, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 18 juillet 2022

Le président :
Signé : M. P... K...


La conseillère d'Etat-rapporteure :
Signé : Mme M... I...


La secrétaire :
Signé : Mme L... Q...





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