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Ariane Web: Conseil d'État 449749, lecture du 29 novembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:449749.20221129

Décision n° 449749
29 novembre 2022
Conseil d'État

N° 449749
ECLI:FR:CECHR:2022:449749.20221129
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Ségolène Cavaliere, rapporteur
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du mardi 29 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Périgord Shooting club, la société civile agricole et forestière du 87 et l'association Périgord Shooting club ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 juin 2017 par lequel le préfet de la Dordogne a suspendu à titre conservatoire l'activité de l'établissement de ball-trap " Périgord Shooting club " situé dans la commune de Servanches, et la décision du 8 septembre 2018 par laquelle le préfet a refusé de lever cette suspension, et, à titre subsidiaire, de désigner un expert aux fins de la réalisation d'une expertise acoustique. Par un jugement n° 17902983, 1703751 et 1704192 du 10 octobre 2018, le tribunal administratif a annulé cet arrêté du 29 juin 2017 du préfet de la Dordogne ainsi que sa décision de rejet du recours gracieux.

Par un arrêt n° 18BX04459 du 31 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 16 février 2021, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités locales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la société Périgord Shooting club, de la société civile agricole et foncière du 87 et de l'association Périgord Shooting club.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 29 juin 2017 pris sur le fondement du 3° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, le préfet a suspendu à titre conservatoire l'activité de l'établissement de ball-trap permanent " Périgord Shooting Club " implanté sur le territoire de la commune de Servanches (Dordogne), aux motifs que l'activité de cet établissement générait des nuisances sonores, elles-mêmes à l'origine de troubles à l'ordre public, et que cette activité ne respectait pas certaines règles de sécurité prévues par le code du sport. Par un jugement du 10 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux, faisant droit à la demande présentée par la société Périgord Shooting Club, la société civile agricole et forestière du 87 et l'association Périgord Shooting Club, a annulé l'arrêté du 29 juin 2017 ainsi que de la décision du préfet du 8 septembre 2017 refusant de lever la mesure de suspension. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 31 décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : /1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; / 2° Si le maintien de l'ordre est menacé dans deux ou plusieurs communes limitrophes, le représentant de l'Etat dans le département peut se substituer, par arrêté motivé, aux maires de ces communes pour l'exercice des pouvoirs mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2213-23 ; / 3° Le représentant de l'Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (...) ".

3. En premier lieu, il ressort des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que les dispositions citées ci-dessus du 3° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ne confèrent aucune compétence au préfet de département pour prendre un arrêté de suspension des activités de l'établissement à l'origine de troubles à l'ordre public, en l'espèce des nuisances sonores et des manifestations de protestation en réaction à celles-ci, la cour s'est fondée sur ce que, dès lors que l'établissement ne disposait que d'installations situées dans la commune de Servanches, le champ d'application de la mesure n'excédait pas le territoire de cette commune. En jugeant ainsi que le champ d'application d'une mesure prise sur le fondement du 3° de l'article pour réglementer l'activité d'un établissement qui cause des troubles à l'ordre public s'apprécie au regard de l'objet de la mesure, en fonction de la localisation de l'établissement dont l'activité est à l'origine du litige, et non au regard des effets de la mesure, en fonction de la portée des troubles à l'ordre public auquel elle entend remédier, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

4. En second lieu, pour rejeter la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, la cour administrative d'appel a jugé que les dispositions citées ci-dessus du 2° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ne sauraient davantage fonder la compétence du préfet pour prendre l'arrêté litigieux. Dès lors que ces dispositions ne confèrent de compétence au préfet que pour se substituer, dans l'exercice de certains pouvoirs de police, si le maintien de l'ordre est menacé dans deux ou plusieurs communes limitrophes, aux maires de ces communes, et qu'il résultait de ses propres constatations que la mesure en cause, consistant en la suspension des activités de l'établissement à l'origine des troubles à l'ordre public situé sur le territoire d'une seule commune, ne relevait pas de la compétence des maires de deux ou plusieurs communes, la cour n'a commis aucune erreur de droit en se prononçant par ces motifs.

5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser tant à la société Périgord Shooting club qu'à l'association Périgord Shooting club et à la société civile agricole et forestière du 87, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Périgord Shooting Club, l'association Périgord Shooting club et à la société civile agricole et forestière du 87 une somme de 1 000 euros chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Société Périgord Shooting club, première défenderesse dénommée.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 29 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


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