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Ariane Web: Conseil d'État 452939, lecture du 21 mars 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:452939.20230321

Décision n° 452939
21 mars 2023
Conseil d'État

N° 452939
ECLI:FR:CECHR:2023:452939.20230321
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Joachim Bendavid, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP POUPET & KACENELENBOGEN ; SARL LE PRADO - GILBERT, avocats


Lecture du mardi 21 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 30 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission partielle des conclusions du pourvoi de Mme D... E..., de M. C... E... et de Mme B... E..., agissant en leur qualité d'ayants droit de M. E..., leur mari et père, et en leur nom propre, dirigées contre l'arrêt n° 18VE00882 du 29 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles, en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des droits de succession, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E... et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).

Par un mémoire en défense et un autre mémoire, enregistrés les 27 juin et 26 octobre 2022, le centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et la SHAM concluent au rejet du pourvoi. Ils soutiennent que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 27 septembre 2022, Mme E... et autres reprennent les conclusions de leur pourvoi par les mêmes moyens.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de Mme E... et autres et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier de Juvisy-Sur-Orge et de la société hospitalière d'assurances mutuelles.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le tribunal administratif de Versailles a été saisi par Mme E..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante de ses enfants mineurs, d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à les indemniser, en leur qualité d'ayants droit et en leur nom propre, des préjudices résultant du décès de M. E..., admis dans cet établissement hospitalier dans un état grave après avoir chuté d'un toit. Par un jugement du 29 décembre 2017, le tribunal administratif a jugé que le centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge avait commis une faute dans le diagnostic et la prise en charge médicale de M. E..., ayant entraîné une perte de chance de 30 % d'éviter le décès, et condamné le centre hospitalier et la SHAM à leur verser une somme totale de 311 848,22 euros. Sur appel du centre hospitalier et de la SHAM et appel incident de Mme E... et autres, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 29 mars 2021, ramené cette somme à 228 166,29 euros. Par une décision du 30 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission partielle des conclusions du pourvoi de Mme E... et autres dirigées contre cet arrêt en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des droits de succession, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E... et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique :

2. En retenant, pour rejeter la demande d'indemnisation des frais futurs de soutien psychologique de la jeune B... E..., dont elle n'a pas contesté la nécessité, que les requérants n'avaient pas produit d'éléments permettant de " chiffrer précisément " ce poste de préjudice, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que Mme E... et autres avaient déjà produit, avant même une mesure d'instruction en ce sens, un certificat médical évaluant le besoin en cause à deux séances mensuelles de 60 euros chacune, la cour administrative d'appel de Versailles a entaché son arrêt de dénaturation.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de succession :

3. En jugeant que Mme E... n'était pas fondée à demander, au titre de la réparation de son préjudice patrimonial, le remboursement des frais exposés lors de la liquidation de la succession de M. E..., au motif que ces frais ne peuvent être regardés comme un élément du préjudice résultant directement de la prise en charge fautive de la victime, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E... et sur les revenus de substitution perçus par ses enfants :

4. En premier lieu, il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour rejeter l'indemnisation des pertes de revenus liées aux dividendes perçus avant son décès par M. E... en sa qualité de gérant de la société GDS, la cour administrative d'appel a estimé qu'il ne pouvait être tenu pour certain que l'intéressé aurait pu reprendre cette activité en l'absence de faute dans sa prise en charge par l'établissement hospitalier, compte tenu de la gravité de l'accident dont il avait été victime. En statuant ainsi, alors que, si le rapport d'expertise du 15 octobre 2013 relevait que " les patients polytraumatisés sont des patients victimes de traumatismes violents susceptibles d'avoir provoqué des lésions multiples ou menaçant le pronostic vital ou fonctionnel ", il n'en ressortait nullement que les traumatismes subis en l'espèce par l'intéressé auraient été, en l'absence de faute du centre hospitalier, de nature à l'empêcher d'exercer à nouveau ses fonctions de gestionnaire d'entreprise, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

5. En second lieu, en estimant que les deux enfants de M. E... avaient perçu jusqu'à l'âge de 21 ans une pension d'orphelin d'un montant total de 37 621,80 euros chacun, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment de l'attestation du régime social des indépendants produite par Mme E..., qu'ils n'avaient perçu qu'un capital orphelin d'un montant de 1 767,6 euros chacun, la cour administrative d'appel a également entaché son arrêt de dénaturation.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance ". Aux termes du neuvième alinéa du même article : " Si le juge compétent, saisi par la victime qui refuse l'offre de l'assureur, estime que cette offre était manifestement insuffisante, il condamne l'assureur à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue, sans préjudice des dommages et intérêts dus de ce fait à la victime".

7. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique citées au point 6 qu'il appartient au juge, s'il est saisi de conclusions en ce sens par la victime ou ses ayants droit, et s'il estime que l'offre d'indemnisation faite par l'assureur de l'établissement de santé responsable du dommage était manifestement insuffisante, de condamner l'assureur au paiement d'une indemnité destinée à réparer les préjudices ayant résulté directement pour la victime ou ses ayants droit de ce caractère manifestement insuffisant. Ce préjudice est constitué par le fait, pour la victime ou ses ayants droit, de s'être vu proposer une offre d'indemnisation manifestement insuffisante au regard du dommage subi et d'avoir dû engager une action contentieuse pour en obtenir la réparation intégrale en lieu et place de bénéficier des avantages d'une procédure de règlement amiable.

8. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour refuser de condamner la SHAM à indemniser le préjudice subi par Mme E... et autres du fait du caractère manifestement insuffisant de son offre d'indemnisation, la cour administrative d'appel a jugé que cet élément de préjudice ne se distinguait pas des préjudices moraux que le centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et la SHAM ont été condamnés à indemniser. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il s'agissait d'un préjudice distinct, dont la réparation incombait d'ailleurs au seul assureur du centre hospitalier, la cour a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E... et aux pensions d'orphelin des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et de la SHAM une somme de 3 000 euros à verser à Mme E... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 mars 2021 est annulé en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E... et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Le centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et la SHAM verseront à Mme E... et autres la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme D... E..., première requérante dénommée, au centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge et à la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


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