Conseil d'État
N° 498461
ECLI:FR:CECHR:2025:498461.20250520
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Marie Prévot, rapporteure
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du mardi 20 mai 2025
Vu les procédures suivantes :
L'établissement public Voies navigables de France (VNF) a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société La Forge de Longuyon à lui verser à titre de provision la somme de 51 382,03 euros correspondant au montant des taxe hydraulique et redevance hydraulique qu'elle n'avait pas acquittées entre 2014 et 2023, assortie des intérêts au taux légal. Par une ordonnance n° 2401171, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 24NC02067 du 2 octobre 2024, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a annulé cette ordonnance et condamné la société La Forge de Longuyon à verser à VNF une provision de 51 382,03 euros.
1°) Sous le n° 498461, par un pourvoi, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires enregistrés les 16 et le 31 octobre 2024 et les 7 février et 25 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Forge de Longuyon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la requête d'appel ;
3°) et de mettre à la charge de VNF la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) Sous le n° 498679, par une requête enregistrée le 31 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Forge de Longuyon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance attaquée ;
2°) de mettre à la charge de VNF la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la société La Forge de Longuyon et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de VNF ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit français La Forge de Longuyon, qui est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nancy, exploite une centrale hydroélectrique sur la Meuse, située sur le territoire de la commune de Donchery, dans le cadre d'une autorisation de droit d'eau consentie par le préfet des Ardennes le 8 avril 1999, dont le bénéfice lui a été transféré en 2007. Elle a conclu avec l'établissement public Voies navigables de France (VNF) une convention d'occupation du domaine public fluvial pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2017 puis s'est vu délivrer, par cet établissement, une autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2027, chacun de ces actes rappelant qu'elle était, au titre de cette occupation, redevable de la taxe sur les titulaires d'ouvrages de prise d'eau, rejet d'eau ou autres ouvrages hydrauliques, puis de la redevance hydraulique, pour un montant de 4 837,86 euros par an, calculé à partir de la puissance maximale brute de la centrale, sous déduction d'une puissance fondée en titre. La société La Forge de Longuyon ayant cessé de s'acquitter des sommes dues à ce titre à compter de l'année 2014, VNF a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de la condamner à lui verser à titre de provision la somme de 51 382,03 euros correspondant au montant, majoré d'intérêts au taux légal, de la taxe hydraulique due au titre des années 2014 à 2019 et de la redevance hydraulique due au titre des années 2020 à 2023. Par une ordonnance du 11 juillet 2024, le juge des référés a rejeté sa demande. La société La Forge de Longuyon se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 2 octobre 2024 par laquelle la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir annulé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a fait droit à la demande de VNF.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence. ". Aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". L'ordonnance de référé accordant ou refusant une provision en application des dispositions précitées de l'article R. 541-1 est rendue à l'issue d'une procédure particulière, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'une décision rapide.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le greffe de la cour administrative d'appel de Nancy a communiqué à la société La forge de Longuyon, par courrier recommandé avec accusé de réception, le 2 août 2024, la requête d'appel formée par VNF à l'encontre de l'ordonnance du tribunal. Le pli n'ayant pas été réclamé, la cour a mis la requérante en demeure, par un courrier du 16 septembre 2024, de présenter ses observations en défense dans un délai de huit jours. Ce courrier a été retiré par la société La forge de Longuyon le 30 septembre suivant, soit dans le délai de mise en instance du pli. En statuant en l'absence d'observations de la société et sans tenir d'audience le 2 octobre 2024, date à laquelle, compte tenu de celle de retrait du pli, le délai imparti à la société La Forge de Longuyon pour produire un mémoire n'était pas expiré, le juge des référés de la cour a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure.
4. Il suit de là que l'ordonnance attaquée, rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, doit être annulée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 4316-1 du code des transports, dans sa version applicable jusqu'au 30 décembre 2019 : " Les ressources de Voies navigables de France comprennent : / 1° Le produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques prévue à la section 2. (...) ". Selon l'article L. 4316-3 du même code, dans sa version applicable jusqu'au 30 décembre 2019 : " Dans les conditions prévues par la présente section, Voies navigables de France, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, perçoit une taxe sur les titulaires d'ouvrages de prise d'eau, rejet d'eau ou autres ouvrages hydrauliques destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial qui lui est confié ". En vertu de l'article L. 4316-1 du même code, dans sa version en vigueur depuis le 31 décembre 2019 : " Les ressources de Voies navigables de France comprennent : 1° Le produit des redevances de prise et de rejet d'eau ", au paiement desquelles sont assujettis, en vertu de l'article R. 4316-1 de ce même code, les titulaires de titres d'occupation ou d'utilisation du domaine public fluvial confié à Voies navigables de France qui implantent ou exploitent des ouvrages destinés à la prise ou au rejet d'eau, ou d'autres ouvrages hydrauliques destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial. Enfin, en vertu de l'article R. 4316-2 du même code : " Lorsque le titre d'occupation ou d'utilisation du domaine public mentionné à l'article R. 4316-1 est délivré en vue d'utiliser la force motrice de l'eau à des fins de production électrique, le montant de la redevance est déterminé par l'autorité compétente de Voies navigables de France (...) ".
7. D'autre part il résulte de l'article R. 4313-1 du code des transports que : " Sous réserve des modalités particulières de la présente section, l'établissement public est soumis aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ". Il résulte des dispositions de l'article 18 de ce décret que " Dans le poste comptable qu'il dirige, le comptable public est seul chargé : (...) 5° Du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ; ". Enfin, il résulte des dispositions de l'article 28 du même décret que : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales. / Le comptable public muni d'un titre exécutoire peut poursuivre l'exécution forcée de la créance correspondante auprès du redevable, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. / Le cas échéant, il peut également poursuivre l'exécution forcée de la créance sur la base de l'un ou l'autre des titres exécutoires énumérés par l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. "
8. Une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance. Toutefois, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d'un référé-provision engagé sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Cependant et plus généralement, elle ne peut saisir directement le juge lorsqu'elle a émis un tel titre préalablement à la saisine du juge, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement. Dans ce cas, la demande présentée est dépourvue d'objet et par suite irrecevable. Il en va cependant différemment lorsque la collectivité publique justifie, d'une part, de vaines tentatives d'exécution du titre exécutoire qu'elle a préalablement émis, notamment sur des biens situés en France, et d'autre part, de l'utilité d'une décision rendue par une juridiction française pour le recouvrement de sa créance sur des biens ou fonds à l'étranger.
9. VNF, qui a émis, sur le fondement des articles L. 4316-3 puis R. 4316-1 précités du code des transports, des titres exécutoires à l'encontre de la société La Forge de Longuyon en vue du recouvrement de la créance de taxe hydraulique et de redevance hydraulique dont elle estime cette société redevable au titre des années 2014 à 2023, soutient que, cette société ayant organisé l'insaisissabilité de ses actifs sur le territoire français, il se trouve dans l'obligation, pour saisir les biens de cette société situés en Belgique, de disposer d'une décision juridictionnelle exécutoire au sens du règlement n° 1215/2012 susvisé, dont l'article 36, paragraphe 1, prévoit qu'en matière civile et commerciale, toute décision rendue par une juridiction dans un État membre de l'Union européenne est reconnue dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.
10. VNF ne conteste pas sérieusement, par ces seules allégations, que la société débitrice, laquelle exploite son activité de production d'électricité en France, dispose en France d'actifs saisissables. Il ne justifie pas, en outre, avoir vainement tenté, avant de saisir le juge administratif, d'exécuter, en particulier auprès des débiteurs de cette société, les titres exécutoires qu'il a lui-même délivrés. Dans ces conditions, à supposer même que le règlement européen précité soit applicable pour le recouvrement des taxes et redevances en cause, l'établissement public n'était pas recevable à saisir le juge des référés d'une demande de provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
11. Il résulte de ce qui précède que VNF n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaqué, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête.
12. Les conclusions aux fins de sursis à exécution présentées par la société La Forge de Longuyon étant devenues sans objet, il n'y a pas lieu d'y statuer.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société La forge de Longuyon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 2 octobre 2024 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulée.
Article 2 : La requête de VNF devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 498679.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société La Forge de Longuyon et à l'établissement public Voies navigables de France.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 20 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 498461
ECLI:FR:CECHR:2025:498461.20250520
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Marie Prévot, rapporteure
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du mardi 20 mai 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
L'établissement public Voies navigables de France (VNF) a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société La Forge de Longuyon à lui verser à titre de provision la somme de 51 382,03 euros correspondant au montant des taxe hydraulique et redevance hydraulique qu'elle n'avait pas acquittées entre 2014 et 2023, assortie des intérêts au taux légal. Par une ordonnance n° 2401171, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 24NC02067 du 2 octobre 2024, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a annulé cette ordonnance et condamné la société La Forge de Longuyon à verser à VNF une provision de 51 382,03 euros.
1°) Sous le n° 498461, par un pourvoi, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires enregistrés les 16 et le 31 octobre 2024 et les 7 février et 25 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Forge de Longuyon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de rejeter la requête d'appel ;
3°) et de mettre à la charge de VNF la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) Sous le n° 498679, par une requête enregistrée le 31 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Forge de Longuyon demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance attaquée ;
2°) de mettre à la charge de VNF la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la société La Forge de Longuyon et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de VNF ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit français La Forge de Longuyon, qui est immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nancy, exploite une centrale hydroélectrique sur la Meuse, située sur le territoire de la commune de Donchery, dans le cadre d'une autorisation de droit d'eau consentie par le préfet des Ardennes le 8 avril 1999, dont le bénéfice lui a été transféré en 2007. Elle a conclu avec l'établissement public Voies navigables de France (VNF) une convention d'occupation du domaine public fluvial pour la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2017 puis s'est vu délivrer, par cet établissement, une autorisation d'occupation temporaire du domaine public fluvial pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2027, chacun de ces actes rappelant qu'elle était, au titre de cette occupation, redevable de la taxe sur les titulaires d'ouvrages de prise d'eau, rejet d'eau ou autres ouvrages hydrauliques, puis de la redevance hydraulique, pour un montant de 4 837,86 euros par an, calculé à partir de la puissance maximale brute de la centrale, sous déduction d'une puissance fondée en titre. La société La Forge de Longuyon ayant cessé de s'acquitter des sommes dues à ce titre à compter de l'année 2014, VNF a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de la condamner à lui verser à titre de provision la somme de 51 382,03 euros correspondant au montant, majoré d'intérêts au taux légal, de la taxe hydraulique due au titre des années 2014 à 2019 et de la redevance hydraulique due au titre des années 2020 à 2023. Par une ordonnance du 11 juillet 2024, le juge des référés a rejeté sa demande. La société La Forge de Longuyon se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 2 octobre 2024 par laquelle la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir annulé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, a fait droit à la demande de VNF.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence. ". Aux termes de l'article R. 541-1 du même code : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". L'ordonnance de référé accordant ou refusant une provision en application des dispositions précitées de l'article R. 541-1 est rendue à l'issue d'une procédure particulière, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'une décision rapide.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le greffe de la cour administrative d'appel de Nancy a communiqué à la société La forge de Longuyon, par courrier recommandé avec accusé de réception, le 2 août 2024, la requête d'appel formée par VNF à l'encontre de l'ordonnance du tribunal. Le pli n'ayant pas été réclamé, la cour a mis la requérante en demeure, par un courrier du 16 septembre 2024, de présenter ses observations en défense dans un délai de huit jours. Ce courrier a été retiré par la société La forge de Longuyon le 30 septembre suivant, soit dans le délai de mise en instance du pli. En statuant en l'absence d'observations de la société et sans tenir d'audience le 2 octobre 2024, date à laquelle, compte tenu de celle de retrait du pli, le délai imparti à la société La Forge de Longuyon pour produire un mémoire n'était pas expiré, le juge des référés de la cour a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure.
4. Il suit de là que l'ordonnance attaquée, rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, doit être annulée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. D'une part, aux termes de l'article L. 4316-1 du code des transports, dans sa version applicable jusqu'au 30 décembre 2019 : " Les ressources de Voies navigables de France comprennent : / 1° Le produit de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydrauliques prévue à la section 2. (...) ". Selon l'article L. 4316-3 du même code, dans sa version applicable jusqu'au 30 décembre 2019 : " Dans les conditions prévues par la présente section, Voies navigables de France, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, perçoit une taxe sur les titulaires d'ouvrages de prise d'eau, rejet d'eau ou autres ouvrages hydrauliques destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial qui lui est confié ". En vertu de l'article L. 4316-1 du même code, dans sa version en vigueur depuis le 31 décembre 2019 : " Les ressources de Voies navigables de France comprennent : 1° Le produit des redevances de prise et de rejet d'eau ", au paiement desquelles sont assujettis, en vertu de l'article R. 4316-1 de ce même code, les titulaires de titres d'occupation ou d'utilisation du domaine public fluvial confié à Voies navigables de France qui implantent ou exploitent des ouvrages destinés à la prise ou au rejet d'eau, ou d'autres ouvrages hydrauliques destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial. Enfin, en vertu de l'article R. 4316-2 du même code : " Lorsque le titre d'occupation ou d'utilisation du domaine public mentionné à l'article R. 4316-1 est délivré en vue d'utiliser la force motrice de l'eau à des fins de production électrique, le montant de la redevance est déterminé par l'autorité compétente de Voies navigables de France (...) ".
7. D'autre part il résulte de l'article R. 4313-1 du code des transports que : " Sous réserve des modalités particulières de la présente section, l'établissement public est soumis aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ". Il résulte des dispositions de l'article 18 de ce décret que " Dans le poste comptable qu'il dirige, le comptable public est seul chargé : (...) 5° Du recouvrement des ordres de recouvrer et des créances constatées par un contrat, un titre de propriété ou tout autre titre exécutoire ; ". Enfin, il résulte des dispositions de l'article 28 du même décret que : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales. / Le comptable public muni d'un titre exécutoire peut poursuivre l'exécution forcée de la créance correspondante auprès du redevable, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. / Le cas échéant, il peut également poursuivre l'exécution forcée de la créance sur la base de l'un ou l'autre des titres exécutoires énumérés par l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. "
8. Une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance. Toutefois, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d'un référé-provision engagé sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Cependant et plus généralement, elle ne peut saisir directement le juge lorsqu'elle a émis un tel titre préalablement à la saisine du juge, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement. Dans ce cas, la demande présentée est dépourvue d'objet et par suite irrecevable. Il en va cependant différemment lorsque la collectivité publique justifie, d'une part, de vaines tentatives d'exécution du titre exécutoire qu'elle a préalablement émis, notamment sur des biens situés en France, et d'autre part, de l'utilité d'une décision rendue par une juridiction française pour le recouvrement de sa créance sur des biens ou fonds à l'étranger.
9. VNF, qui a émis, sur le fondement des articles L. 4316-3 puis R. 4316-1 précités du code des transports, des titres exécutoires à l'encontre de la société La Forge de Longuyon en vue du recouvrement de la créance de taxe hydraulique et de redevance hydraulique dont elle estime cette société redevable au titre des années 2014 à 2023, soutient que, cette société ayant organisé l'insaisissabilité de ses actifs sur le territoire français, il se trouve dans l'obligation, pour saisir les biens de cette société situés en Belgique, de disposer d'une décision juridictionnelle exécutoire au sens du règlement n° 1215/2012 susvisé, dont l'article 36, paragraphe 1, prévoit qu'en matière civile et commerciale, toute décision rendue par une juridiction dans un État membre de l'Union européenne est reconnue dans les autres États membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.
10. VNF ne conteste pas sérieusement, par ces seules allégations, que la société débitrice, laquelle exploite son activité de production d'électricité en France, dispose en France d'actifs saisissables. Il ne justifie pas, en outre, avoir vainement tenté, avant de saisir le juge administratif, d'exécuter, en particulier auprès des débiteurs de cette société, les titres exécutoires qu'il a lui-même délivrés. Dans ces conditions, à supposer même que le règlement européen précité soit applicable pour le recouvrement des taxes et redevances en cause, l'établissement public n'était pas recevable à saisir le juge des référés d'une demande de provision sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
11. Il résulte de ce qui précède que VNF n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaqué, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête.
12. Les conclusions aux fins de sursis à exécution présentées par la société La Forge de Longuyon étant devenues sans objet, il n'y a pas lieu d'y statuer.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société La forge de Longuyon, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 2 octobre 2024 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulée.
Article 2 : La requête de VNF devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 498679.
Article 4 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société La Forge de Longuyon et à l'établissement public Voies navigables de France.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 20 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle