À l’occasion de la 4e édition de la rentrée du Conseil d’État, Didier-Roland Tabuteau, vice-président, a présenté l’étude annuelle 2025, « Inscrire l’action publique dans le temps long ». Cette nouvelle publication dresse un diagnostic des difficultés de l’État à se projeter dans la durée et formule 20 propositions concrètes, destinées aux décideurs publics, pour donner au temps long toute sa place dans l’action publique. Elle clôt un cycle de trois études explorant les grandes dimensions de l’action publique : le territoire dans lequel elle se déploie (étude 2023), l’espace dans lequel elle s’inscrit souverainement (étude 2024) et le temps dans lequel elle se mène (aujourd’hui).
À travers cette étude, le Conseil d’État analyse les obstacles à l’inscription de l’action publique dans le temps long. D’abord, parce que le débat public est aujourd’hui marqué par une polarisation accrue et par la difficulté à élaborer des compromis. L’établissement d’un constat objectivé et partagé, pourtant indispensable pour définir des orientations durables, est de plus en plus difficile.
Ensuite, parce que l’action publique se trouve prise dans l’urgence et soumise à des crises appelant un besoin de protection immédiate qui tend à renforcer la préférence pour le présent. Or le Conseil d’État rappelle que l’horizon naturel de l’action publique est d’anticiper les grandes tendances, malgré les aléas qui viennent régulièrement bouleverser notre trajectoire collective.
Enfin, le Conseil d’État relève que si la pensée du temps long est bien présente, elle est inégale, souvent trop dispersée et a du mal à « embrayer » sur la décision publique.
C’est pourquoi, dans son étude publiée aujourd’hui, le Conseil d’État formule 20 propositions pour permettre à l’action publique de mieux s’inscrire dans le temps long. Ces propositions s’organisent autour de trois axes :
Donner toute leur place aux institutions de notre démocratie pour définir les stratégies de temps long
Le Conseil d’État souligne le rôle indispensable du Parlement, lieu naturel de la délibération sur les grands enjeux collectifs, dans la définition des orientations de long terme de l’action publique. Il recommande l’élaboration de nouveaux outils et de nouvelles procédures pour mieux y parvenir (proposition n° 1), y compris dans le domaine législatif et budgétaire (propositions n° 3 et 5). De son côté, l’exécutif devrait favoriser la prise en compte des enjeux du temps long, par exemple par l’organisation d’un débat régulier sur ces enjeux en Conseil des ministres puis au Parlement (proposition n° 2) et par une prise en compte plus systématique de ces enjeux en amont (proposition n° 9). Enfin, l’association plus systématique des parties prenantes, des partenaires sociaux et des citoyens constitue une condition de réussite de l’inscription des politiques publiques sur le temps long (proposition n° 4).
Mieux mobiliser la science et l’expertise
Le Conseil d’État insiste sur l’importance de la science et de l’expertise pour éclairer les choix de long terme. Il préconise de mieux mobiliser le savoir scientifique dans la société, dès l’école, comme auprès des décideurs publics (propositions n° 6 et 7). Il appelle également à une utilisation plus efficace de l’expertise détenue par certains organes de type « hauts conseils », en lien avec le monde académique, universitaire et de la recherche. Il recommande aussi de renforcer la formation à la prospective et son utilisation au sein des administrations (propositions n° 8, 10 et 12) et au service du débat public (proposition n° 11).
Structurer l’action publique pour anticiper et évaluer
Le Conseil d’État insiste également sur la nécessité de conforter les fonctions d’étude et de recherche au sein des administrations, afin notamment d’améliorer les processus de prise de décision au sein des ministères et au niveau interministériel (proposition n° 16). Il souligne que l’État doit également garantir la continuité de son action dans le temps, en veillant notamment à renforcer la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (proposition n° 17) ainsi que sa cohérence (propositions n° 13 et 14) et sa bonne articulation avec les niveaux européen (proposition n° 15) et territoriaux (proposition n° 18). Il rappelle l’importance d’une évaluation régulière des politiques publiques. Il préconise aussi de favoriser, dans la logique ouverte par la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, le développement d’une approche qualitative de long terme au plan européen, international et mondial (proposition n° 19).
Enfin, pour donner à l’action publique la stabilité nécessaire, le Conseil d’État propose de fixer des priorités stratégiques de long terme par secteur, prioritairement dans l’éducation, la recherche et la mutation des métiers ; la défense et la sécurité ; la transition écologique et énergétique ; la politique de la population (santé, démographie…) ; une politique industrielle et de recherche dans le domaine numérique et notamment de l’intelligence artificielle (proposition n° 20).
[En savoir plus] L’étude annuelle du Conseil d’État, un outil au service de l’intérêt général
Au-delà de ses missions de juge et de conseiller juridique, le Conseil d’État assure également une mission de prospective. Grâce à son expertise juridique et à sa connaissance des politiques publiques, grâce aussi à la position particulière que lui confèrent son indépendance et son devoir d’impartialité, le Conseil d’État réalise des études qui offrent aux décideurs des solutions concrètes, directement opérationnelles.
Avec cette étude annuelle 2025, le Conseil d’État clôt un cycle de trois années de réflexion consacré aux dimensions fondamentales de l’action publique. Après avoir étudié en 2023 le territoire dans lequel l’action publique se déploie (« L’usager, du premier au dernier kilomètre : un enjeu d’efficacité de l’action publique et une exigence démocratique »), en 2024 l’espace dans lequel elle s’inscrit souverainement (« La souveraineté »), il consacre cette année sa réflexion au temps dans lequel elle se mène (« Inscrire l’action publique dans le temps long »).
L’étude annuelle est fondée sur une démarche stratégique permettant d’identifier, pour la problématique retenue, les difficultés, les secteurs et acteurs concernés ; sur l’écoute d’experts – à travers un cycle de cinq conférences et plus de 200 auditions de personnalités françaises et étrangères – et sur la réalisation de comparaisons internationales.
Télécharger l'étude « Inscrire l’action publique dans le temps long »