Arrêt des traitements

Décision de justice
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Le Conseil d’État juge illégale la suspension de la deuxième procédure d’examen de l’interruption des traitements de M. Vincent Lambert.

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L’Essentiel :

  • Le Conseil d’État juge que la décision du 11 janvier 2014 de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert ne peut plus recevoir application dès lors que le médecin qui l’a prise n’est plus en charge du patient.

  • Le médecin en charge de M. Lambert en 2015 avait engagé une procédure d’examen d’un arrêt des traitements mais a ensuite décidé de la suspendre, sans donner de terme à cette suspension, au motif que les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à sa poursuite, tant pour le patient que pour l’équipe soignante, n’étaient pas réunies.

  • Le Conseil d’État juge, dans le même sens que la cour administrative d’appel de Nancy, que le médecin ne pouvait en l’espèce se fonder sur un tel motif pour prendre la décision de suspendre la procédure pour une période indéterminée. Il confirme donc l’annulation de cette décision.

  • Il en résulte que le médecin actuellement en charge de M. Vincent Lambert devra à nouveau se prononcer sur l’engagement d’une procédure d’examen de l’arrêt des traitements de l’intéressé.

Les faits et la procédure

Le 11 janvier 2014, le médecin en charge de M. Vincent Lambert au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims avait pris la décision de mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles de ce patient. Cette décision avait été jugée légale par une décision du Conseil d’État du 24 juin 2014, rendue après expertise médicale.

Par un arrêt du 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a ensuite jugé qu’il n’y aurait pas violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’État.

Après l’intervention de cet arrêt, M. François Lambert, neveu de M. Vincent Lambert, a demandé, en juin 2015, au CHU de Reims de mettre en œuvre la décision qui avait été prise par le médecin en charge de Vincent Lambert le 11 janvier 2014. Le nouveau médecin en charge l’a alors informé, ainsi que les autres membres de la famille, de sa décision d’engager une nouvelle procédure collégiale. Toutefois, par un communiqué de presse du 23 juillet 2015, le CHU a annoncé la décision de ce médecin de suspendre la procédure collégiale en indiquant que « les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure tant pour Vincent Lambert que pour l’équipe soignante ne sont pas réunies ».

M. François Lambert a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a rejeté sa demande par un jugement du 9 octobre 2015. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Nancy a infirmé ce jugement : elle a annulé la décision de suspension de la procédure collégiale et a enjoint au CHU de Reims de mettre le médecin en charge de M. Vincent Lambert, ou tout autre praticien susceptible de lui succéder, en mesure de répondre aux obligations lui incombant vis-à-vis du patient. Mais elle a refusé d’enjoindre au CHU de mettre en œuvre la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin alors en charge de M. Vincent Lambert.

Les deux parties de cet arrêt ont été contestées devant le Conseil d’État :
- plusieurs membres de la famille, dont les parents, de M. Vincent Lambert l’ont contesté en ce qu’il annulait la suspension de la procédure et prononçait une injonction ;
- M. François Lambert l’a contesté en ce qu’il refusait d’enjoindre de mettre en œuvre la décision prise le 11 janvier 2014.

La décision du Conseil d’État

Par la décision de ce jour, le Conseil d’État rejette les deux requêtes dont il est saisi.

1. Il juge tout d’abord que la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin en charge de M. Vincent Lambert ne peut plus recevoir application.

Il déduit du code de la santé publique que les décisions de limiter ou d’arrêter les traitements dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable, qui ne peuvent intervenir que dans le cadre d’une procédure collégiale, sont prises par le médecin en charge du patient et ne peuvent être mises en œuvre que par ce même médecin ou sous sa responsabilité. Par suite, dans le cas où le médecin qui a pris une telle décision n’est plus en charge du patient à la date où cette décision peut commencer à être mise en œuvre, la décision en cause cesse de produire effet et ne peut plus légalement recevoir application. Le nouveau médecin en charge doit alors prendre lui-même une décision.

2. Le Conseil d’État juge ensuite que le médecin en charge de M. Vincent Lambert, qui avait précisément engagé une nouvelle procédure collégiale pour examiner la question de l’arrêt des traitements, ne pouvait pas décider d’interrompre cette procédure pour les raisons qu’il a retenues. Selon le communiqué, ces raisons tenaient à ce que « les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure tant pour Vincent Lambert que pour l’équipe soignante [n’étaient] pas réunies », étant précisé que « les conditions d’un échange serein [devaient] absolument être rétablies dans l’intérêt de Vincent Lambert et de son accompagnement ». 

Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence de 2014 sur la façon selon laquelle il y a lieu d’apprécier si les conditions d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation artificielles sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves qui se trouve hors d’état d’exprimer sa volonté. Le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient :
- les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique ;
- le médecin doit en outre accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu’en soient la forme et le sens ; il doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l’un de ses proches, en s’efforçant de dégager une position consensuelle.

Le Conseil d’État juge que l’existence d’éventuelles menaces pour la sécurité de M. Vincent Lambert et de l’équipe soignante n’est pas un motif légal pour justifier l’interruption d’une procédure engagée en vue d’évaluer si la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles traduit une obstination déraisonnable.

Le Conseil d’État rappelle ensuite que, dans le cas particulier de M. Vincent Lambert, il avait jugé, par sa décision du 24 juin 2014, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, que la décision prise le 11 janvier 2014 par le médecin alors en charge respectait les conditions posées par la loi. Il avait notamment jugé que M. Vincent Lambert avait clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans un état de grande dépendance. Et il avait relevé que le médecin en charge avait pu estimer que le fait que les membres de la famille n’avaient pas eu une opinion unanime n’était pas de nature, dans les circonstances de l’affaire, à s’opposer à la prise d’une décision mettant fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielles de M. Vincent Lambert.

Par la décision de ce jour, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce, les seules considérations relatives à la recherche d’un climat apaisé, telles qu’elles ont été exprimées de façon très générale, ne permettaient pas de suspendre, sans fixer de terme à cette suspension, le cours de la procédure collégiale. 

Le Conseil d’État en déduit que le médecin en charge ne pouvait décider la suspension de la procédure pour ces motifs et confirme ainsi l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy.

Le Conseil d’État rejette donc les pourvois dont il est saisi. Il en résulte que le médecin nouvellement en charge de M. Vincent Lambert devra se prononcer sur l’engagement d’une procédure d’examen du maintien de son alimentation et son hydratation artificielles.